A suivre le soleil tout le temps dans sa course
On en oublie la nuit qui s’en vient doucement
On se retrouve alors planté sur la Grande Ourse
Ou sur Vénus la belle ou sur Aldébaran.
Et l’on parcourt alors la galaxie entière
Quelque habitant des lieux nous montre le chemin
On y croise soudain une belle étrangère
Que l’on ne connaît pas et qui nous tend la main.
On la suit fasciné sans chercher à comprendre
Chaque étoile est un port ou pouvoir s’arrêter
On espère en secret que son cœur soit à prendre
La belle n’en a cure et nous laisse rêver.
Mais sur la voie lactée les dangers sont de taille
Et l’on n’y trouve pas toujours le paradis
Les anges, les démons s’y livrent des batailles
Puis font de nous souvent leur unique ennemi.
Le soleil retrouvé nous entrouvre sa porte
Ca n’était qu’un moment, une courte évasion
Une étape de plus au flot des amours mortes
Sur sa lune Pierrot en a fait des chansons.
T’es comme fou tu cours toujours
Tu cours toujours à perdre haleine
Après l’argent après l’amour
Sans que rien jamais ne te freine.
Tu t’enivres de ces trésors
Tout en haut du mat de cocagne
Tu jouerais même avec la mort
Tout en craignant qu’elle ne gagne.
Mais de l’amour que connais-tu
Hors ces conquêtes improbables
Ces coups de vents inattendus
Ces pas effacés sur le sable.
Et si la vie n’était pas ça
S’il fallait autrement la vivre
Etre juste un petit soldat
Tracer sa route et puis la suivre.
Trouver beau un coin de ciel bleu
S’enthousiasmer pour une rose
Se sentir vraiment amoureux
Sans qu’on en sache trop la cause.
Oublier les choses futiles
Chercher ailleurs la vérité
S’inventer quelque part une île
Pour y rêver de liberté.
Ne plus lutter avec le temps
A vouloir en devenir maître
Le laisser filer doucement
Et savoir le perdre peut-être.
Mais non tu cours tu cours toujours
Tu cours toujours à perdre haleine
Après l’argent après l’amour
Sans que rien jamais ne te freine.
Le vieux coq à présent n’est plus le roi du monde
Il arpente la cour sans beaucoup de succès
Elles venaient jadis de dix lieues à la ronde
Pour flatter son ramage et pouvoir l’admirer.
Il avait en ces temps une crête superbe
Qu’il dressait vers le ciel, plus rouge que rubis
Elles, elles attendaient amoureuses dans l’herbe
De passer seulement un moment avec lui.
Les voilà aujourd’hui qui gloussent, qui caquettent
Qui vont jusqu’à railler ses tristes oripeaux
Le bougre, s’il a bien des idées plein la tête
Cherche en vain des atouts pour rester jeune et beau.
C’est qu’un autre est venu qui rallie les suffrages
Arrogant, tout vêtu d’habits d’or et d’argent
Nul ne peut résister aux rudesses de l’âge
Qui font que peu à peu rien n’est plus comme avant.
Il se résigne alors et cherche en sa mémoire
Quelques bons souvenirs qu’il conte à sa façon
Levé tôt le matin comme au temps de sa gloire
Face au soleil levant il en fait des chansons.
Ils s’en sont tous allés vers le grand cimetière
Il attend patiemment qu’arrive enfin son tour
Il est le vétéran le plus que centenaire
Campé face à la mort, qui la nargue toujours.
Nul ne sait d’où lui vient pareille résistance
Peut-être du soleil ou du bon vin d’ici
A moins que ne l’ait pas frappé d’obsolescence
Le bon dieu qui là-haut décide des sursis.
Il a connu l’amour, ses plaisirs, ses caresses
Il a connu la peur quand soufflaient les grands vents
Il a fait de la vie son unique maîtresse
Sans doute est-ce pour çà qu’elle l’épargne tant.
Il nous dit que parfois l’existence lui pèse
Qu’il est grand temps pour lui de partir voir ailleurs
De la chaise à son lit, de son lit à la chaise
Le chemin est bien court pour un grand voyageur.
Il redevient enfant, il relit tous les livres
De peur d’avoir raté quelque part l’essentiel
Un chapitre oublié, une histoire à revivre
Comme un dernier bonheur qu’il voudrait éternel.
Un de ces jours sans doute il claquera la porte
Comme ça par hasard et sans nous alerter
Nous serons là pourtant à lui faire une escorte
Un tout dernier salut en gage d’amitié.
Alors lui le doyen des anciens du village
Il se retournera dans un dernier regard
Merci de me souhaiter un aussi bon voyage
Je m’absente un moment, rendez-vous à plus tard.
J’ai jeté le passé dans l’eau de la rivière,
Et je l’ai vu s’enfuir à travers les roseaux
Assez des souvenirs, des regards en arrière
Faut aller droit devant sur le pont du bateau.
S’éloignent ces amours qui n’ont pas eu de suite
Ces serment échangés comme ça par hasard
Parce qu’à dix sept ans le cœur d’enflamme vite
Victime d’un sourire ou d’un simple regard.
S’éloignent tous ces mots s’éloignent tous ces gestes
Ceux-là que l’on faisait, qui nous sont interdits
Parce qu’on est obligé d’accepter ceux qui restent
Et qu’on veut oublier ceux qui étaient permis.
S’éloigne au fil de l’eau un peu de la jeunesse
Celle quand on vieillit qui fait tellement mal
Parce qu’on ne sait pas accepter la vieillesse
Que ce n’est plus pour nous que résonne le bal.
Alors on fait le vide, alors on se résigne
On sait qu’il va falloir prendre un autre chemin
Et ces raisins laissés aux pampres de la vigne
On les voudraient enfouis avant qu’il soit demain.
Pourtant au gré parfois d’un moment de silence
Quelques bribes d’hier s’en viennent faire un tour
Et l’on se dit alors qu’au fond c’est une chance
De voir tout un passé rééclairer le jour.
Si tu as échappé aux fusils aux canons
Si tu n’as de l’amour pas connu les souffrances
N’invoque pas les dieux ou toute autre raison
Dis-toi tout simplement que t’as eu de la chance.
La vie ça n’est au fond qu’un vaste restaurant
La table on ne sait pas si elle sera bonne
A certains mieux lotis le caviar le vin blanc
Aux autres le mépris et le peu des aumônes.
A chacun de se battre à chacun de lutter
Pour tenter de changer un peu le cours des choses
Faire d’un triste hiver un éternel été
Et dans un sombre hiver cueillir enfin des roses.
D’aucuns se soucient peu des moyens dits légaux
Quand il ne suffirait que d’un brin de courage
Ils trouvent leur bonheur au noir des caniveaux
Peu importe le prix faut payer le voyage.
Beaucoup et c’est heureux préfèrent les efforts
Et font de leur sueur l’onguent indispensable
Ils jouent de ces atouts contre le mauvais sort
Fiers d’avoir triomphé de pièges redoutables.
Et puis restent ceux-là mi soleil mi brouillard
Bateleurs, musiciens, artistes et poètes
Ceux qui laissent au rêve une si grande part
Que leur parcours n’est plus qu’une éternelle quêt
Quand je vois ces autos filer sur l’autoroute
Je pense à ces chemins où l’on cueillait des fleurs
Le temps sans se presser s’écoulait goutte à goutte
De la course des jours personne n’avait peur.
On ne connaissait pas le fracas des machines
Les chevaux en sueur étiraient les sillons
A quoi auraient servi ces immenses usines
Chacun était un peu mécano, forgeron.
On avait peu d’argent on vivait de la terre
Juste assez pour manger mieux que les citadins
Quelques arpents de vigne et l’eau de la rivière
Où pêcher le poisson, animer les moulins.
Deux ou trois fois par an on faisait une fête
Il y avait Louis pour animer tout ça
Jeunes et vieux dansaient ensemble au bal musette
Sur des airs de tango, de valse de java.
L’école on y allait marchant des kilomètres
La paille atténuait la froideur des sabots
Si le brave curé n’aimait pas trop le maître
Ils étaient du savoir les uniques flambeaux.
Quand l’heure était venue on mariait les filles
Avec des gars du coin, robustes, courageux
Ils faisaient six enfants, belle et grande famille
Pour loger tout le monde on se serrait un peu.
Le petit cimetière en garde quelques traces
Même si la Toussaint le fleurit moins souvent
Les paysans partis nul n’aura pris leur place
La ville et ses démons sont de meilleurs aimants.
Les années ont sévi sans qu’on y prenne garde
Mais le village est là dans ses murs désertés
Les touristes l’été quelquefois s’y attardent
Sans doute aiment-ils bien ces senteurs du passé.
Dis-moi n’importe quoi, parle-moi de Verlaine
Dis-moi le temps qu’il fait ou celui qu’il va faire
Chante-moi le bottin ou les sabots d’Hélène
Et de là où tu es fends-toi d’une prière.
Surtout ne te tais pas je n’ai pas l’habitude
De vivre la maison sans le son de ta voix
Ca manque un peu de mots tu sais la solitude
Raconte-moi la vie comme si t’étais là.
Oublie le temps d’avant je détestais le bruit
Le silence avec toi n’était pas le silence
Il était comme un souffle, il était comme un cri
Qui me disait l’amour, calmait mon impatience.
Aujourd’hui sache-le si parfois je t’appelle
C’est que ton souvenir en moi ne peut mourir
Si les peines de cœur ne sont pas éternelles
Elles teintent de gris le bleu de l’avenir.
Bien sûr j’écris, j’attends et je parle pour deux
Et je demande aux murs d’improbables réponses
C’est presque une addiction, c’est devenu un jeu
Un étrange trou noir dans lequel je m’enfonce.
Ne passez pas ainsi, ne tournez pas la tête
En faisant comme si vous ne me voyiez pas
J’ai mal de devenir celui que l’on rejette
Ou celui qui fait peur qu’on condamne déjà.
Aujourd’hui c’est trop tard vous auriez loupé l’heure
De votre rendez-vous passez votre chemin
A présent vous savez où trouver ma demeure
Sur mon bout de trottoir je vous attends demain.
Pas pour vos quelques sous jetés dans ma sébile
Mais bien pour quelques mots, un bonjour, un bonsoir
Je n’entends guère plus que les bruits de la ville
Et de me rassurer ils n’ont pas le pouvoir.
Qui sait peut-être un jour serez-vous à ma place
Parce que le bonheur vous aura délaissé
C’est vrai la vie parfois se joue à pile ou face
Qui peut dire comment la pièce va tomber.
De ce que j’ai été ne reste plus qu’une ombre
Un visage ruiné par les assauts du temps
Je suis là embarqué sur ce bateau qui sombre
Seul sur le bastingage à la merci des vents.
Pourtant je tiens le coup, pourtant je veux y croire
Je sais que le soleil brillera à nouveau
Enfant je me souviens qu’à la fin des histoires
Les plus humbles logis pouvaient être châteaux.
Ne passez pas ainsi, ne tournez pas la tête
En faisant comme si vous ne me voyiez pas
J’ai mal de devenir celui que l’on rejette
Ou celui qui fait peur qu’on condamne déjà.
La forêt certains soirs en secret fait la fête
Brille de mille feux se répand en chansons
Parfois même il se dit que la lune s’arrête
Pour éclairer le bal de ses quelques rayons.
Le chêne en majesté raconte des histoires
De hiboux suspicieux ou d’écureuils taquins
Le châtaignier y va de ses chansons à boire
Sans se préoccuper de l’austère sapin.
Dans les roseaux le vent se risque à quelques gammes
Entre mistral et brise il en connaît beaucoup
Les tortues en retard s’inquiètent du programme
Table ouverte aujourd’hui pour les lynx et les loups.
Même le ruisselet d’ordinaire timide
Ose deux trois refrains au fil des ses galets
Ces petits gazouillis lui font naître des rides
Qu’il arbore très fier de si bien les porter.
Les peuples des forêts seront là tous ensemble
A chanter cette vie dont ils sont si gourmands
De la pie qui jacasse à la feuille qui tremble
Du la truite qui file au terrible serpent.
La fête n’est donc pas des humains l’apanage
Elle se tient partout quand rien ne l’interdit
Ni les lois les décrets ni les tristes ravages
Trop souvent répétés que la terre subit.