Un texte que j’avais écrit il y a quelques semaines… Commentaires bienvenus
La succession d’événements ayant finalement ouvert en partie le mariage aux Etats-Unis n’a reçu que peu d’écho en France. Rappelons les en quelques mots : en juin la Cour Suprême des Etats-Unis rend caduques les lois de quelques États fédérés (comme la Georgie ou le Texas) qui criminalisaient la sodomie ; en août un évêque gay (vivant en couple) était élu au sein de l’Église épiscopalienne, bastion religieux de l’upper class ; en novembre, la Cour Suprême du Massachusetts décidait que la constitution de l’État permet le mariage des couples du même sexe ; en février enfin, le maire de San Francisco, en Californie, se mettait à marier les couples gays ou lesbiens se présentant à la mairie (plus de 4 000 couples seront mariés en un mois).
Depuis, les micro-événements se multiplient. L’édile a fait des émules : tel comté du Nouveau Mexique marie une quinzaine de couples, le maire d’un village du centre de l’État de New York en marie deux douzaines, un village côtier du New Jersey une poignée, un comté de l’Oregon plusieurs milliers. Pour pouvoir suivre, l’Associated Press publie pendant quelques jours un résumé quotidien.
Ces micro-événements, s’accumulant, font boule de neige : la fin de l’hiver semble entièrement consacrée au mariage gay. Et face à cette avalanche, l’observateur est comme emporté. Au début des années 1990, c’était autour d’Andrew Sullivan, que s’était constituée une revendication néo-conservatrice en faveur de l’ouverture d’un mariage nécessairement « civilisateur » aux gays et aux lesbiennes. Il y a quelques jours, ce même Sullivan déclarait ne plus pouvoir physiquement suivre l’étendue des pratiques. Le mariage gay a quitté le domaine des idées pour celui des usages, variés, divers, flous.
Mais la diversité de ces usages peut être ordonnée : les partisans du « mariage gay » utilisent tous les registres de l’action politique.
Les actions en justice constituent le fond sur lequel les autres événements ont lieu. Ces actions sont l’œuvre d’associations de juristes gais et lesbiens comme le GLAD (Gay and Lesbian Advocates and Defenders) qui ont sélectionné des couples, leur ont demandé de se faire refuser officiellement une licence de mariage, et ont porté plainte contre l’État. L’espoir les mobilise que les juges constitutionnels reconnaîtront la discrimination dont les couples ont été l’objet. Elles n’engagent intensément qu’un petit nombre de personnes, mais les soutiens sont larges : l’Ordre des Avocats du Massachusetts a publiquement reconnu le droit des gays et des lesbiennes au mariage, des groupes d’églises protestantes progressistes leur emboîtent le pas.
Aux actions en justice s’ajoute la pression politique sur les législatures des États fédérés. Cette pression a connu quelques succès récents, sous la forme de lois proches des unions civiles du Vermont, qui donnent aux couples du même sexe les mêmes droits que le mariage donne aux couples de sexes discordants (mais limité au niveau de l’État fédéré). Les États du New Jersey et de Californie (avant l’élection d’Arnold Schwarzenegger) ont notamment voté, sans qu’il y ait débat médiatique, de telles lois : « tout le monde », de droite ou de gauche, reconnaît la légitimité d’une telle reconnaissance de la conjugalité homosexuelle.
La nouveauté vient de nouvelles formes de mobilisation, prenant les contours de la désobéissance civile. Des personnages élus (maires ou juges) et des fonctionnaires locaux (town clerk, avocat du comté), en insistant soit sur le respect de la lettre de la loi (en Oregon) soit sur celui de son esprit (en Californie), ouvrent de leur propre autorité le mariage aux couples du même sexe. Les mariages célébrés ont alors avec eux la force du droit, sans touteois que le précédent fasse encore force de loi. A cette désobéissance civile s’agrègent des membres du clergé, pasteur-e-s ou rabbin-e-s, qui, aux Etats-Unis, sont considérés comme « agents de l’État » quand ils célèbrent un mariage : leur acte religieux a valeur civile.
Ces actions d’insoumission – à la valeur juridique incertaine – reposent toutes sur l’événement qui leur a donné naissance : la décision de la Cour Suprême du Massachusetts rendue en novembre 2003, qui avait donné six mois au Parlement de l’État pour ouvrir le mariage. En conséquence, le 17 mai 2004, le mariage de couples gais ou lesbiens sera reconnu valide par un État. Si le regard s’est tourné vers la désobéissance, il ne faudrait donc pas oublier tout le travail souterrain (de juristes, d’hommes et de femmes politiques), sur lequel repose la sédition.
En quelques mois, et avec une accélération ces dernières semaines, le mariage des gays et des lesbiennes, d’espoir politique à long terme, est devenu une réalité sociale s’appuyant sur des usages stratégiques du droit et de ses frontières.