Un vent de panique a saisi les homosexuels sénégalais depuis la condamnation à huit ans de prison ferme, le 6 janvier par un tribunal de Dakar, de neuf jeunes Sénégalais interpellés dans un domicile privé après dénonciation à la police par un voisin. Complaisamment, la presse a rapporté leur découverte « en flagrant délit » le 19 décembre 2008 à 23 heures, l’invasion « spontanée » de leur logement par les « jeunes du quartier », leur fuite, leur quasi-lynchage et la saisie par la police de « matériel pornographique » : préservatifs, brochures et godemichés de démonstration.
La peine maximale prévue par le code pénal pour « acte impudique ou contre nature avec un individu de même sexe » s’élève à cinq ans de prison. Mais le tribunal a retenu en outre l’incrimination d’« association de malfaiteurs » du fait que plusieurs des interpellés appartiennent à des associations de lutte contre le sida. Diadji Diouf, l’un des condamnés, est le président de l’association Aides-Sénégal.
« La décision du tribunal a créé un climat de terreur, témoigne Cheikh Ibrahima Niang, socio-anthropologue à Dakar, auteur de travaux de référence sur l’homosexualité au Sénégal. Toutes les associations de prévention du sida se sentent visées. L’Etat n’assure pas leur sécurité. Les animateurs se cachent ou s’exilent, ce qui affaiblit la lutte contre la maladie. »
Appelant les autorités françaises à « réagir contre cette atteinte aux droits humains », Aides-France indique qu’au Sénégal la prévalence du VIH-Sida est de 21,5 % chez les gays contre 0,7 % dans la population globale.
Le Sénégal est l’un des 38 Etats africains (sur 53) dont la législation pénalise l’homosexualité, mais la question prend une tournure obsessionnelle. Une ambiance de chasse au « goorjiguen » (« homme-femme » en wolof) avait suivi la publication dans un magazine people, en février 2008, de photos censées représenter un « mariage gay ». L’interpellation des protagonistes puis leur libération avaient suscité un tollé des associations islamiques. Des imams avaient appelé les autorités à agir contre « des lobbies homosexuels » financés par « les Européens et les Américains ».
MÉCONTENTEMENT SOCIAL
Le Sénégal, qui a accueilli en 2008 le sommet de l’Organisation de la conférence islamique, oscille entre répression et ouverture. Début décembre, le président Abdoulaye Wade a ouvert une conférence consacrée à la lutte contre le sida en évoquant les « minorités sexuelles ». Mais le sujet sert aussi de dérivatif à un vif mécontentement social.
« L’Etat a tendance à avoir la main lourde à l’égard de tous ceux qui apparaissent comme différents de la normalité aussi bien sexuelle que sociale », explique M. Niang. Des peines de cinq à dix ans de prison ferme ont été infligées, le 9 janvier, pour « dégradation d’édifices publics » contre une vingtaine de manifestants qui à Kédougou, le 23 décembre, avaient réclamé une meilleure gestion des emplois dans le secteur minier.