Harrish Reedoy, président de l’United Deputy Rectors and Rectors Union (UDRRU), jette un pavé dans la mare. Il réclame l’interdiction de l’utilisation du téléphone portable à l’école. Une mesure pour contrer l’indiscipline, dit-il, mais aussi, pour amener les élèves à se concentrer sur leurs cours. Une démarche qui, si elle est adoptée, amènerait Maurice à emboîter le pas à d’autres pays, comme le France et le Japon, et à suivre les recommandations de l’Unesco. Harrish Reedoy s’exprime également sur le Nine-Year Continuous Basic Education (NYCBE) et ses limites.
Vous avez eu une première rencontre avec le nouveau ministre de l’Éducation. Qu’est-ce qui en ressort ?
En ma qualité de président de l’UDDRU, je tiens à saluer l’initiative louable prise par le nouveau ministre de l’Éducation de dialoguer avec toutes les parties prenantes du secteur éducatif lors de la réunion tenue ce lundi 25 novembre. Cette démarche marque une rupture positive avec l’approche de l’ancienne ministre, où l’absence de consultations était flagrante.
Nos discussions ont mis en lumière des enjeux critiques, tels que la montée de l’indiscipline dans les écoles secondaires, le manque de personnel enseignant et non-enseignant, les lacunes du système de NYCBE, en particulier l’Extended Programme, ainsi que les préoccupations urgentes liées à la santé et à la sécurité dans les établissements scolaires.
L’Union a souligné l’urgence de traiter la question de l’indiscipline des élèves en proposant l’interdiction de l’utilisation des téléphones portables dans l’enceinte scolaire. En s’inspirant des recommandations de l’Unesco et des meilleures pratiques adoptées dans des pays comme la France et le Japon, où de telles mesures se sont avérées efficaces. Nous croyons fermement que cette initiative réduira les distractions, améliorera la concentration en classe et renforcera le comportement général des élèves.
Nous avons également suggéré la possibilité de redoubler le Primary School Achievement Certificate (PSAC), comme cela se faisait auparavant, au lieu de canaliser ceux qui échouent dans la filière Extended Programme. Car ils n’ont pas les bases nécessaires pour s’adapter au programme du secondaire. De plus, la promotion automatique entre les Grades 7 et 9 devrait aussi être abolie. Cela compromet la rigueur académique et laisse les élèves mal préparés pour les niveaux supérieurs. En rétablissant un système de promotion basé sur le mérite, nous espérons encourager une culture de responsabilité et d’apprentissage.
Pendant trop longtemps, les contributions des recteurs et de leurs adjoints ont été sous-estimées. Nous avons demandé des mesures pour revaloriser leur statut, reconnaissant leur rôle essentiel dans le développement de la culture scolaire, l’excellence académique et l’efficacité administrative. L’UDDRU reste optimiste quant à la volonté du ministère de considérer ces propositions et de travailler en collaboration pour relever ces défis.
Avec l’arrivée du nouveau gouvernement, c’est une page qui se tourne sur la réforme éducative enclenchée en 2017. Que retenez-vous du NYCBE ?
Le NYCBE avait été introduit dans le but d’apporter un changement transformateur dans le système éducatif, avec comme objectif d’offrir une éducation inclusive et équitable à tous les enfants. Cependant, il y a eu des manquements au niveau de la mise en pratique, le manque d’innovations et l’incapacité de répondre aux besoins évolutifs des élèves et de la société.
Au niveau du primaire, une tendance a émergé depuis quelque temps, où les parents optent pour des écoles privées payantes. Selon une étude du ministère de l’Éducation réalisée en 2023, 16,9% des élèves du primaire fréquentent de telles écoles. Ce qui démontre qu’il y a une insatisfaction concernant l’école publique et soulève des questions au sujet de la qualité d’éducation dans les écoles.
Quelles en sont les raisons, selon vous ?
D’abord, nos écoles manquent d’infrastructures modernes, affectant ainsi le Learning Environment. Des recherches de l’Unesco ont démontré que des classes bien équipées peuvent améliorer la participation des élèves et fournir de meilleurs résultats par 25%. Par ailleurs, la dimension orale a été négligée dans les écoles publiques.
Des études ont démontré que la maîtrise des Oral Language Skills très tôt a un impact sur la réussite académique. Malheureusement, l’accent n’est pas mis sur l’oral de l’anglais et du français à l’école primaire. Ce qui est important pour un pays bilingue comme le nôtre. En Finlande, qui a la réputation d’être un leader dans le domaine de l’éducation, la communication orale est une composante centrale dès le préscolaire, avec 30% des évaluations axées sur les Speaking and Listening Skills. Les écoles privées à Maurice ont compris cela. Raison pour laquelle les parents sont de plus en plus nombreux à y envoyer leurs enfants. Les examens du PSAC doivent davantage mettre l’accent sur l’Oral English et l’Oral French, préparant ainsi les enfants à une bonne maîtrise des deux langues.
Mais l’une des plus grandes faiblesses du NYCBE a été la promotion automatique des enfants ayant échoué au PSAC dans le secondaire. Il était évident que ces enfants allaient se retrouver en grandes difficultés, exacerbant davantage le décrochage scolaire. Le mieux aurait été de permettre à ces enfants de redoubler le PSAC. De même, il n’y a pas eu un parcours alternatif structuré pour les enfants échouant au PSAC.
À mon avis, ils auraient dû être dirigés vers la filière Technical and Vocational Education and Training (TVET). Ce système aurait pu comprendre trois jours de cours académiques et deux jours de formations techniques. En Allemagne par exemple, 67% des jeunes sortant du TVET sont engagés professionnellement dans les six mois, suivant la fin de leurs cours. Cela entraîne une intégration structurée de cours académiques et techniques.
Que pensez-vous des réformes au niveau du secondaire ?
Le NYCBE devait également réformer le secondaire, mais les initiatives n’ont pas donné les résultats escomptés. À commencer par l’Extended Programme. Il y a eu des effets négatifs sur le moral des enfants et la perception de la société. Les résultats des candidats de l’EP au NCE parlent d’eux-mêmes : 2,15% en 2022 et 8,9% en 2023. Même avec une année en plus, par rapport aux élèves de la filière régulière, les enfants font face à de grandes difficultés à s’adapter au curriculum et, évidemment, ont échoué aux examens. Même ceux qui parviennent à réussir le NCE ne peuvent s’adapter en Grade 10, car le fossé entre la Foundational Knowledge nécessaire pour le School Certificate et la préparation pour le NCE est évident. Il y a donc un mismatch entre le curriculum du NCE, le système d’examen et les besoins des enfants de l’Extended Programme.
Un nouveau parcours vers le TVET doit être élaboré pour les enfants ayant échoué au PSAC deux fois. L’approche intégrée cours académiques et techniques donnerait aux enfants l’opportunité de développer des Marketable Skills, tout en continuant leurs études académiques. Ce programme prendrait aussi en considération plusieurs styles d’apprentissage en s’appuyant sur les forces des enfants.
Que pensez-vous de la création des académies ?
C’est un fait que la création des académies a causé une disparité entre ces institutions et les collèges régionaux. Comme on le sait, les académies accueillent des élèves avec un potentiel académique plus élevé que ceux des collèges régionaux. Cette ségrégation a donné lieu à des conséquences qui n’ont pas été prises en considération. Les enseignants dans les collèges régionaux se retrouvent souvent face à des enfants peu motivés. Il y a une stigmatisation des collèges régionaux, décourageant élèves et enseignants.
Les académies ont connu des problèmes de gestion et de discipline avec la mixité. Il aurait été plus approprié d’introduire la mixité dès le Grade 7 dans tous les collèges régionaux, comme c’est d’ailleurs le cas à l’école primaire. Il faut aussi se poser la question de savoir quelle est la particularité des académies. Qu’ont-elles de plus que les collèges régionaux ? Quel en était l’objectif selon le NYCBE ? À mon avis, elles ne servent qu’à attirer les meilleures élèves venant des collèges régionaux. Ce qui pose un problème d’équité et d’inclusion.
La nécessité de développer les cours en ligne a aussi été évoquée. Concrètement, comment cela se passe-t-il ?
Pendant la pandémie de Covid-19, avec la fermeture des écoles, il y a eu le recours aux cours en ligne qui, malheureusement, n’ont pas été un succès. Et ce, pour plusieurs raisons, comme les difficultés d’accès aux outils technologiques ou à l’Internet pour certains élèves, surtout les plus vulnérables, l’absence de formation des enseignants et le faible taux de participation aux classes virtuelles.
Avec le changement climatique et des conditions climatiques extrêmes de plus en plus fréquentes, il faut se préparer à être plus efficace. Pour gérer cette situation, le gouvernement doit faire en sorte de donner des tablettes aux élèves et des laptops aux éducateurs, avec accès à l’Internet. Il faut aussi une formation structurée à l’intention des enseignants sur l’Online Teaching. Avec une bonne organisation, les ressources nécessaires et une bonne formation, les cours en ligne peuvent devenir une méthode d’enseignement alternative en cas d’urgence.
Il y a eu des critiques sur le niveau des examens du NCE. Quelle est votre position ?
Le curriculum du NCE ne permet pas de combler le fossé entre l’éducation de base et la rigueur académique nécessaire pour le School Certificate. La conséquence est qu’un certain nombre d’étudiants qui passent le NCE se retrouvent en difficultés en Grade 10 et échouent. Il faut revoir le curriculum du NCE pour aligner le plus possible avec les exigences au niveau cognitif et académique du SC. Ce qui implique un renforcement des Core Subjects, le développement du critical thinking and problem solving, tout en incorporant une approche de Skill Building progressif. Ce qui permettra aux étudiants de se préparer pour des niveaux supérieurs au SC. Il faut aussi prévoir un accompagnement pour ceux ayant des difficultés pendant les vacances scolaires. Cela leur permettra de rattraper leur retard et envisager une transition en douceur vers le niveau supérieur.
Quels sont les autres problèmes auxquels les collèges ont eu à faire face ?
La bonne gestion d’une école repose également sur un personnel adéquat. Or, il y a un manque accru de personnel administratif, dont des Word Processing Operators, Clerks et Superintendents. Ce qui a pour conséquence que les chefs d’établissement doivent consacrer leur temps à faire du travail administratif, alors qu’il aurait dû se concentrer sur la pédagogie. Cela a un impact sur la qualité de l’enseignement et les enfants. Pour une bonne rentrée 2025, il est impératif d’accélérer le processus de recrutement de personnel administratif. Il faut aussi prévoir le recrutement d’éducateurs permanents et planifier le personnel temporaire.
Par ailleurs, l’argent octroyé aux collèges est nettement insuffisant et ne permet même pas de couvrir les besoins de base au niveau de la maintenance. Le mobilier, dont les pupitres pour les élèves et les tables pour les éducateurs, n’a pas été remplacé depuis cinq ans. Cela ajoute un stress supplémentaire sur le recteur. Surtout quand l’argent de la PTA est utilisé pour les réparations et qu’il n’est pas remboursé par la suite.
Dans beaucoup de cas, les collèges sont contraints d’organiser des levées de fonds pour combler ces manquements. Sans compter qu’il y a beaucoup d’établissements qui n’ont pas les infrastructures de base, comme les gymnases, si importants pour l’éducation physique et les activités extrascolaires. Tout ceci explique la nécessité d’augmenter les ressources financières des collèges.
Comment les recteurs peuvent-ils contribuer à améliorer la situation ?
L’un des grands défis de la réforme éducative a été l’autonomie accordée aux recteurs pour la gestion de leurs établissements. La Top-Down Approach du ministère a souvent résulté en une prise de décision centralisée, qui laissait peu de flexibilité aux recteurs pour une implémentation adaptée aux besoins de leurs établissements. L’absence d’autonomie est un obstacle à l’innovation et résulte en une déconnexion entre les décisions prises au niveau du ministère et les réalités du collège. Les chefs d’établissement devaient se tenir à des règlements rigides et ne pouvaient adapter les stratégies pédagogiques aux besoins de leurs élèves.
Les recteurs doivent avoir plus de pouvoirs de décisions, particulièrement dans le Curriculum Design, le développement du personnel et l’allocation des ressources. Tout cela en lien avec les besoins de leurs établissements. Il faut shifter de cette « top-down approach » à un modèle plus collaboratif, où les recteurs, les éducateurs et tous les autres partenaires ont leurs voix dans les réformes éducatives et les Policies. Le ministère devrait investir dans la formation en leadership pour les recteurs afin de leur donner les outils nécessaires pour les prises de décisions et la bonne gestion de leurs établissements. Ils seront ainsi plus actifs dans la transformation de l’expérience éducative au sein de leur collège.
Propos recueillis par Géraldine Legrand