Reconstruire Le Mauricianisme : Regards d’un entrepreneur en événementiel

JAVED VAYID

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Ces dernières années, presque insidieusement, j’ai commencé à percevoir les gens autour de moi à travers le prisme de leur communauté ou de leur religion. L’ancien gouvernement était parvenu à nous imposer cette idée que nous appartenons d’abord à une communauté avant d’être Mauriciens. Dans un certain sens, leur stratégie a porté ses fruits. Mais pour moi, cela a créé un profond malaise. Je ne me suis jamais identifié à une communauté particulière, et cette vision fragmentée de la société m’a donné le sentiment de ne plus appartenir à ce pays. C’est d’ailleurs l’une des raisons principales qui m’ont poussé à plier bagage.

Moi, qui avais passé une vie entière à rassembler des individus, sans faire de distinctions fondées sur leur origine ou leur croyance, je me retrouvais désormais à cataloguer les personnes que je rencontrais : créoles, hindous, mulâtres, blancs… Cette réalité était devenue très lourde à assumer. Il était aussi question de chatwas… Il était temps de partir.

De la passion à l’écœurement

Il fut un temps où j’étais passionné par la politique. Depuis 2005, j’y étais profondément impliqué, participant activement aux élections. Mais j’ai dû me résoudre à tourner la page, car ce milieu s’était transformé en un terrain de jeu dangereux et malfaisant, surtout lorsqu’on évolue dans le monde des affaires.

Le dicton dit vrai : « Vous pouvez ignorer la politique, mais la politique ne vous ignorera pas. » Et comment rester indifférent face au racisme institutionnalisé, à la ségrégation flagrante entre les partisans du régime en place et les autres, à la corruption érigée en système, à la culture du « Yes Sir », et à la médiocrité d’une classe dirigeante censée représenter nos intérêts ?

Que cela nous plaise ou non, la politique façonne nos vies ! Les décisions d’un gouvernement en place influencent notre quotidien, nos opportunités, notre avenir et, surtout, celui de nos enfants.

L’asphyxie de l’événementiel

L’événementiel, considéré comme une industrie marginale et insignifiante par le précédent gouvernement, n’a pas seulement été ignoré : il a été délibérément entravé, asphyxié avec un sadisme presque assumé. Les autorités n’hésitaient pas à annuler des événements à la dernière minute, plongeant de petits organisateurs dans des abîmes de dettes. Un tel acharnement était surprenant.

Si l’on en croit les révélations de Monsieur Moustass, nous avons tous été mis dans le même panier : celui des “créoles” qui osaient s’approprier le drapeau mauricien, des citoyens relégués au rang de seconde zone. La joie, le partage et le vivre-ensemble ne figuraient visiblement pas dans le registre des valeurs prônées par ce régime, obsédé par le dieu argent et le communalisme.

Le feel-good factor, cet intangible moteur de bien-être collectif, avait disparu.

Le nouveau gouvernement en place a eu du flair : pourquoi avoir organisé un concert au Plaza immédiatement après la victoire aux élections ? Pourquoi aligner des artistes lors des meetings de remerciement ? Il faut être ignorant ou stupide pour ignorer l’impact crucial des artistes et des événements sur ce feel-good factor.

À la vue des résultats, 63 % des Mauriciens se sentaient emprisonnés dans leur propre pays. Sur les réseaux sociaux, on ne pouvait plus s’exprimer par crainte d’être “installés” par des “unités spéciales”. Il valait mieux se taire et continuer sa petite vie, mais nous n’avions plus notre liberté. Aujourd’hui est un nouveau jour.

Un paradoxe culturel : la régression au fil des ans

Il est paradoxal de constater à quel point la culture semble régresser avec les années. Trente ans en arrière, l’organisation de concerts et la vie nocturne en général occupaient une place bien plus importante qu’aujourd’hui. À cette époque, les événements rassemblant plus de 5 000 personnes étaient fréquents, et leur diversité était remarquable : concerts de chanteurs populaires, performances de stars internationales, DJ sets, spectacles de comédie, cirques, manèges et autres divertissements variés. Les Mauriciens sortaient, vibraient, et savouraient un bonheur collectif palpable.

Alors, que s’est-il passé ? Comment sommes-nous passés des années 90, où liberté et joie de vivre dominaient, à une ère où, il y a encore quelques semaines, les autorités promulguaient des lois sorties du fin fond d’un tiroir pour interdire manifestations et vente d’alcool, tels les pires pays religieux ?

Ce contraste est d’autant plus frappant que nous sommes censés vivre dans l’un des pays les plus modernes d’Afrique. Le passé semble si lumineux, presque idyllique, comparé au présent. Il est étrange qu’une époque marquée par moins de ressources technologiques et financières puisse évoquer davantage de liberté et de douceur de vivre que notre ère actuelle.

Il est peut-être temps de repenser notre trajectoire et de nous poser les bonnes questions : qu’avons-nous perdu en chemin ? Et surtout, comment retrouver cet équilibre entre modernité et épanouissement culturel ?

Les solutions : des mesures simples pour résoudre 80 % des problèmes

1. Centraliser l’obtention des permis

Le processus d’obtention de permis devrait être entièrement digitalisé, à l’image de ce qui se fait dans les pays développés. L’organisateur fournirait les documents requis, effectuerait le paiement en ligne, et pourrait obtenir son permis – incluant l’autorisation d’organiser son événement et de vendre de l’alcool – en 48 heures. Cela ne devrait pas être plus compliqué que cela.

Aujourd’hui, il n’existe aucun processus standardisé. Les documents demandés varient selon la localisation de l’événement, une absurdité qui ajoute inutilement de la confusion et des retards. La course typique d’un organisateur se résume à un véritable parcours du combattant :

•Déposer une demande à la police de la circonscription.

•Obtenir un Clearance du ministère de l’Environnement.

• Avoir un Clearance de la Tourism Authority ou du District Council.

•Être en présence d’une validation de la MASA (Mauritius Society of Authors).

•Obtenir un accord des services d’incendie.

•Demander un permis de vente d’alcool à la MRA.

Et chaque organisme demande des documents différents…

Ce processus peut prendre entre 3 et 6 semaines, et il n’est pas rare que les permis arrivent la veille de l’événement, si on a de la chance ! Une réforme est urgente : un processus simplifié et centralisé garantirait une meilleure efficacité.

2. Définir une zone dédiée aux fêtes

L’absence d’une planification urbaine adaptée freine considérablement l’industrie du divertissement. Aujourd’hui, il est pratiquement impossible de diffuser de la musique dans les restaurants ou beach clubs, souvent situés trop près des zones résidentielles.

Une solution serait de définir, dans chaque zone touristique, un espace dédié aux loisirs où les événements pourraient se dérouler sans restrictions excessives. Dans ces zones, les établissements seraient autorisés à diffuser de la musique et à organiser des fêtes, de jour comme de nuit, sans que la police intervienne pour couper le son.

Ces espaces permettraient de répondre aux attentes des touristes tout en évitant les nuisances pour les résidents locaux. Un tel projet, bien planifié et intégré dans un schéma d’urbanisme, contribuerait à stimuler l’économie locale et à renforcer l’attrait de Maurice en tant que destination touristique.

Un Festival national : une vitrine pour l’Unité 

Pour véritablement unifier le pays et célébrer sa diversité, il est impératif que Maurice ait son propre festival d’envergure internationale, un événement qui incarnerait la richesse culturelle unique de l’île. Un festival national moderne, mettant en lumière les cultures créole, indienne, chinoise, africaine et européenne qui composent notre identité, offrirait une plateforme aux artistes locaux tout en attirant des talents internationaux, des médias et des touristes du monde entier.

À l’image du célèbre Carnaval de Rio, qui attire chaque année des millions de visiteurs, un tel festival ne serait pas seulement une fête patriotique, mais également un puissant levier économique, renforçant à la fois l’unité nationale et le rayonnement touristique de l’île.

En 1987, Maurice a connu un événement de cette ambition : le Festival de la Mer, un programme exceptionnel échelonné sur deux mois, qui a vu la participation de nombreux pays. À ce jour, cet événement reste gravé dans l’histoire comme la plus grande action promotionnelle jamais réalisée par le pays. Durant deux mois, Maurice a vibré au rythme de festivités internationales, attirant l’attention du monde entier et insufflant un sentiment de fierté nationale.

Près de quatre décennies plus tard, il serait temps de battre ce record.

Reconstruire ensemble

Dans ce contexte, il devient impératif de reconstruire le mauricianisme. Redonner à chaque individu la dignité d’être Mauricien avant tout, la liberté de rêver et d’espérer sans être étouffé par des allégeances politiques. Retrouver cette unité, ce sentiment d’appartenance à une nation unique et inclusive, reste l’un des plus grands défis d’aujourd’hui.

Cet objectif doit être mené, pour nous, pour nos enfants, et pour l’avenir prospère de ce pays que nous chérissons tous. Pour la majorité d’entre nous, nous n’avons qu’une seule allégeance, celle à notre pays.

Vive l’île Maurice !

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