La kayfabe de la politique mauricienne, notre triste réalité

NISHAL JOYRAM

- Publicité -

Adolescent, fanatique de catch (wrestling), pénible fut ma déception — bien plus pénible que quand j’avais appris que le père Noël n’existait pas — quand je me rendis à l’évidence que les matches de catch n’étaient que des mises en scène. La kayfabe est donc l’illusion que ces combats ne sont pas arrangés. Si dans le passé, cela consistait à tromper l’audience dans l’unique but de préserver l’illusion de la réalité des combats, de nos jours, avec des amateurs bien plus avisés, la kayfabe est une simple convention, entre spectateurs et catcheurs, d’immersion dramatique, juste pour le fun. La politique mauricienne serait-elle une kayfabe… se résumant à tromper dans le passé mais de nos jours serait une adéquation théâtrale entre un peuple instruit et politiciens ?

La mélodie se répète en boucle depuis notre indépendance. Après quelques années de règne, un régime répugné est rejeté pour être remplacé par une équipe salvatrice, la même que l’on avait tantôt éjectée. Les promesses sont multiples, beaucoup tant attendues, certaines irréalisables d’autres désastreuses pour l’économie ou encore celles qui ne seront jamais respectées.

Je me permets d’accoucher ces réflexions en toute objectivité tout en sachant que cela m’attirera la foudre d’un peuple toujours dans une ambiance lune de miel après le tant attendu BLD. Bien que je n’aie jamais eu beaucoup d’estime pour « le petit coq », je dois acquiescer que ce dernier ait posé des questions pertinentes lors de la dernière séance parlementaire. Dommage que ces questions n’aient eu d’échos devant une salle comble dans les rangs de la majorité.

La Premier ministre a présenté un bilan catastrophique de l’économie. Ne le savait-on pas déjà avant les élections ? Pourquoi est-on entré dans la surenchère ? Pourquoi se permet-on toujours des largesses en dépit de cette situation économique ? L’exemple ne devrait pas venir d’en haut ?

Commençons par la nomination dans les institutions. Peuple, ne t’avait-on pas promis qu’un collège électoral, constitué de personnes indépendantes, serait responsable des nominations ? Le poste de vice-président de la République ne devait-il pas être aboli ? Shakeel ne s’était-il pas engagé à ne pas faire partie d’un gouvernement qui n’abolira pas ce poste ? Subron ne se présentait-il pas comme le chien de garde qui veillerait à ce que le gouvernement respecte ses engagements ? Dans le passé, avant les élections de 2014, SAJ avait promis que les nominés politiques à la tête des institutions publiques et parapubliques toucheraient une rémunération mensuelle de pas plus de 30,000 roupies. Mais après nous avons compris que certaines rémunérations allaient jusqu’à 30,000 euros. Kayfabe la nek kontinie MAM.

Qu’en est-il des produits pétroliers ? La baisse n’était pas prévue pour le lendemain des élections ? Peuple, selon la promesse, la baisse ne devait-elle pas être plus conséquente que celle de Rs 16 proposée par l’ancien gouvernement ? Jusqu’à 30% de baisse disait-on ! Ce retard à baisser les produits pétroliers n’est certainement pas sans inconvénients. Les distributeurs et stations-service anticipant la baisse s’abstiennent de tout grand stockage, résultant à d’importantes perturbations liées au commerce de ces produits. D’après mes calculs, auxquels je consacrerais un autre papier, le gouvernement a la possibilité de baisser l’essence de Rs 14 dans l’immédiat tout en conservant les taxes pré-Covid et en appliquant la TVA uniquement sur le produit et services. Dans le moyen terme nous avons tout à gagner avec des négociations G2G (Government to Government), au lieu de nous approvisionner auprès des courtiers. Avant 2014, avec le deal Mangalore, révoqué par le gouvernement Lepep  après les élections de 2014, nous nous approvisionnions en carburant à bien moins cher. La baisse aura certainement un impact positif sur le pouvoir d’achat et le redémarrage de l’économie.

Mais soyons réalistes, cette baisse de prix des carburants n’aura pas un impact instantané sur le prix d’autres commodités. D’autres paramètres devront être alignés ; l’économie, la dépréciation de la roupie ou encore l’efficience du port.

Parmi tant d’autres, deux principaux facteurs font que le fret reste élevé pour Maurice : l’inefficience du port et un volume de trafic maritime très bas. Le port opère à environ 30% de sa capacité à ce jour. Parmi les 8 grues Panamax, 3 sont en panne et les 5 autres effectuent 21 manœuvres de l’heure au lieu de 40. Le gouvernement précédent n’a jamais pu réconcilier la convention collective et le sureffectif afin d’augmenter la productivité. La possibilité de sous-traitance à travers une filiale ou avoir recours à une main-d’œuvre étrangère aurait probablement été une solution.

Il est clair que le gouvernement précédent n’a quasiment rien fait pour moderniser le port et augmenter le volume du trafic maritime. On s’est focalisé sur notre petit marché captif alors que nos voisins, le Madagascar ou encore le Sri Lanka, ont trouvé des partenaires stratégiques, notamment le Japon et la Chine respectivement, afin de moderniser leurs ports et accroître leur volume maritime à travers le transbordement.  L’Afrique du Sud est également dans la course. La recommandation de la Banque mondiale et celle du Port Master Plan 2016 concernant la mise en place d’une Island Terminal a été complètement ignorée. Espérons que redynamiser le port sera une priorité de ce gouvernement. C’est la seule façon de faire baisser le fret.

D’autre part, le 14e mois est une promesse qui pèsera lourd sur l’économie et le peuple semble peu enthousiaste à y renoncer. Plus grave encore serait le transport gratuit. Introduit au Luxembourg en 2020, les villes qui ont emboîté le pas se comptent sur les doigts d’une main. À Maurice, mis à part le coût d’un tel projet, cela engendrerait plus de chaos dans le secteur du transport. Nombreux ont été les témoignages, personnes âgées et étudiants, qui sont délibérément négligés parce qu’ils ne paient pas. Certains opérateurs ont même perçu de l’agent même s’ils n’avaient pas transporté des personnes âgées et étudiants. Contrairement au 14e mois, le gouvernement actuel n’avait aucune pression de promettre le transport gratuit… alors pourquoi ?

Le Premier ministre a décrit la situation économique de tempête financière et il est bien déterminé à mener le pays à bon port.  Souhaitons bonne chance à notre pays et à la nation mauricienne!

Pour conclure, enseignant moi-même, je ne peux m’abstenir de saluer le défi audacieux que s’est fixé le ministre de l’Éducation. Le secteur avait besoin d’une renaissance et le ministre actuel semble avoir toutes les compétences requises pour incarner cela.

Chers compatriotes, tout en vous adressant mes meilleurs vœux pour les festivités, je vous demande d’attacher vos ceintures afin de passer à la caisse. Qui paiera pour les gaffes de nos décideurs sinon… après Betamax vient BAI ? Espérons que l’adage jamais deux sans trois ne nous propulsera pas vers une encyclopédie de A à Z. Kayfabe pas Kayfabe MAM?

…

« Il est clair que le gouvernement précédent n’a quasiment rien fait pour moderniser le port et augmenter le volume du trafic maritime. On s’est focalisé sur notre petit marché captif alors que nos voisins, le Madagascar ou encore le Sri Lanka, ont trouvé des partenaires stratégiques, notamment le Japon et la Chine respectivement, afin de moderniser leurs ports et accroître leur volume maritime à travers le transbordement.  L’Afrique du Sud est également dans la course. La recommandation de la Banque mondiale et celle du Port Master Plan 2016 concernant la mise en place d’une Island Terminal a été complètement ignorée. Espérons que redynamiser le port sera une priorité de ce gouvernement. C’est la seule façon de faire baisser le fret. »

- Publicité -
EN CONTINU ↻

l'édition du jour