Lorsque l’on évoque le changement climatique, nos yeux se tournent quasi inexorablement toujours vers le ciel, porteur de cette cruciale atmosphère nous protégeant des dangereux rayonnements solaires. Avec cette certitude que si le Soleil est encore porteur de vie, celui-ci pourrait très vite être un jour à l’origine d’une hécatombe, et ce, du fait de notre course sans fin pour une croissance et un développement irréfléchis. Jamais donc, si ce n’est lorsqu’il est question de nos cultures ou de nos élevages, nous ne posons les yeux vers ce sol qui, pourtant, soutient le vivant depuis près de quatre milliards d’années. Or, non seulement les sols se dégradent à une vitesse accélérée, mais cette détérioration impacte désormais sept des neuf limites planétaires. Preuve (s’il en fallait encore une) que nous sommes arrivés au bord du mur.
Ce constat n’est cependant pas nouveau. Mieux : il est actuellement au cœur d’une COP axée sur la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification. Et si vous n’en avez jamais entendu parler, c’est plus que certainement parce que cette énième Conférence des parties, qui en est pourtant à sa 16e édition, aura été en grande partie escamotée par la COP16 sur la diversité biologique et la COP29 sur les changements climatiques. Qu’à cela ne tienne, nous sommes là pour remédier à notre ignorance collective. Ce qui tombe finalement assez bien puisque des chercheurs de l’Institut pour la recherche sur l’impact climatique de Potsdam, en Allemagne, viennent justement de publier un rapport majeur sur la question.
S’il y a quelque chose que l’on a en effet tendance à oublier, c’est que la stabilité du Système Terre tient en grande partie à la qualité de nos sols. Est-il en effet nécessaire de rappeler que ces mêmes sols nous fournissent de l’eau douce et des ressources vitales – comme de la nourriture et des matières premières –, tout en participant à la régulation de notre climat et à la préservation de notre biodiversité ? Or, le problème, c’est que ces terres se dégradent chaque jour un peu plus du fait notamment de la déforestation, de l’urbanisation et de l’agriculture intensive, et ce, à une échelle sans précédent.
L’intensité du phénomène est aujourd’hui telle que sur les neuf limites planétaires (définies en 2009, soit il y a 15 ans déjà), sept sont en passe d’être dépassées, ou le sont déjà, en raison de la mauvaise qualité de nos sols – induite, doit-on encore le préciser, par les activités humaines. Parmi ces limites, citons le changement climatique, la disparition des espèces et la viabilité des écosystèmes, ou encore les systèmes d’eau douce et la circulation d’éléments naturels tels que l’azote ou le phosphore. En sus de la modification de l’occupation des sols, qui constitue à elle seule une limite planétaire.
Pour se convaincre de l’urgence de la situation, intéressons-nous un instant sur cette dernière limite, laquelle fait notamment référence à l’étendue des forêts. Ainsi était-il convenu au sein de la communauté scientifique que pour rester « à l’abri » et voir l’avenir sereinement, la superficie des forêts devait rester au-dessus de la barre des 75% en comparaison avec l’occupation forestière précédant l’ère préindustrielle. Or, à en croire les derniers chiffres disponibles, la couverture mondiale en forêts atteint aujourd’hui seulement 60% de sa superficie d’origine. « Nous nous trouvons au bord du précipice et devons décider si nous ferons ou non un pas de plus en avant », commentait d’ailleurs à ce propos Johan Rockström, auteur principal de l’étude et initiateur du concept de limites planétaires.
Pour nous éloigner du gouffre, nous devons donc d’abord comprendre, mais surtout « accepter », les causes à l’origine de la dégradation des sols, et qui sont intrinsèquement liées à notre mode de vie général, que l’on soit ou non de nature sédentaire d’ailleurs. Et la première, dans la liste de nos activités les plus nocives, est sans aucun doute l’agriculture intensive, à l’origine de la déforestation, de l’érosion et la pollution des sols, et l’épuisement des ressources en eau potable. En plus bien entendu de l’excès d’engrais et autres composés chimiques, qui déstabilisent les écosystèmes.
Dit autrement, si nous avons décidé d’appeler notre planète « Terre », ce n’est pas sans raison. Car cette terre non seulement nous porte, mais nous nourrit, ainsi que les autres espèces animales et végétales sans qui le monde ne pourrait exister. Ainsi le moment semble venu de poser, de temps en temps, un regard un peu plus bienveillant sur nos sols. Avant que ceux-ci ne se dérobent définitivement sous le poids de notre inconscience !
Michel Jourdan