Dans un monde dominé par les enjeux environnementaux, nos déchets restent une de nos plus importantes priorités, tout autant quâils sont sources dâinquiétude dâailleurs. Avec, comme point dâorgue, une seule véritable question : que faire pour sâen débarrasser, sous-entendu le plus efficacement possible mais, surtout, à moindre coût ? Ainsi sera né le concept dâéconomie circulaire, que lâon nous serine à la moindre occasion, histoire pour nos décideurs de nous rappeler quâ« ils » ont à cÅur de régler le problème, pour le bien de la population et de la planète cela va sans dire. Sauf quâau final, on en sera resté aux discours dâintention, sans que rien de concret ne soit mis en chantier. Preuve que les seules matières qui soient de nos jours réellement recyclables demeurent les promesses et les slogans politiques.
Avant dâen venir à ce qui nous freine, rappelons quâà Maurice, nos déchets sont principalement envoyés sur le site dâenfouissement de Mare-Chicose. Or, avec une moyenne de 1 500 tonnes dâordures générées chaque jour, câest aujourdâhui plus de 10 millions de tonnes qui sây entassent. Dâoù la lumineuse idée quâavait eu un temps notre bon ministre Ramano de proposer une expansion du site, devenu un dossier tout aussi encombrant quâil est encombré. En gros, son idée est la suivante : puisquâil ne peut être question dâétendre Mare-Chicose sur un plan horizontal, dans ce cas, il ne reste plus quâà imaginer une expansion verticale, et le tour sera joué. Câest pas malin, ça, hein ?
Ãvidemment, il est clair quâau-delà de lâaspect saugrenu de lâérection dâune Waste Tower, cela ne réglerait en rien la question; tout au plus la repoussera-t-on. Dâoù lâémergence de la formule dâéconomie circulaire, qui favorise un traitement des déchets pour les relancer, une fois reconditionnés, dans les chaînes de production. Lâidée, formulée pour la première fois par un certain Kenneth Boulding en 1966, est certes alléchante. Sauf que, dans les faits, tout nâest pas recyclable, et ne peut dâailleurs lâêtre indéfiniment, rendant de facto caduque lâargument dâune société « zéro déchet ». Pour autant, cela ne veut pas dire quâil ne faille pas emprunter cette voie. Voie que Maurice hésite depuis longtemps à emprunter, soit dit en passant.
Là encore, le concept du tri collectif et individuel nâa rien de nouveau. Les poubelles et les sacs-poubelles de couleur â et qui permettent de différencier les différents types de déchets ménagers (organiques, verre, cartons, etc.) â ont dâailleurs vu le jour un peu partout dans le monde dans les années 70â, pour finir par devenir obligatoires dans les foyers dans les deux à trois décennies suivantes, selon les pays. Chez nous, un demi-siècle plus tard, on les attend toujours. Et pour cause : collecter des ordures préalablement triées, câest bien, mais encore faut-il pouvoir réinjecter dans des circuits de recyclage celles qui peuvent lâêtre. Et ça, ça demande des moyens, mais aussi et surtout une véritable politique environnementale, sachant que câest justement cette dernière qui nous fait le plus défaut.
Pour autant, le sujet de la gestion des déchets est loin dâêtre un problème typiquement local. Dans les pays dits développés, lâéconomie circulaire, sous-entendu dans le sens le plus strict du terme, reste là aussi relativement utopique; les chiffres en matière dâextractions de ressources naturelles, en hausse continuelle, sont à ce titre assez éloquents. Si ce concept, fer de lance des adeptes de la croissance verte, marchait en effet réellement, pourquoi aurions-nous à piller autant le peu quâil reste à notre planète à nous offrir ?
De fait, la véritable question à se poser nâest plus tant de savoir ce que nous devons faire de nos déchets, mais plutôt de savoir pourquoi nous continuons dâen générer autant ! Et là , on touche à un point sensible, celui de notre incapacité à revoir notre modèle productiviste, lequel sous-tend notre sacro-sainte croissance économique. Pourtant, il semble évident que si nous opérions un premier tri afin de dissocier ce qui nous est essentiel de ce qui lâest moins et ce qui ne lâest pas du tout, la question de nos déchets serait vite réglée. Encore faudrait-il pour cela faire preuve de cette même volonté dont nous nâavons jamais manqué lors des précédentes crises. Volonté qui, semble-t-il, nâest donc plus recyclable.
Michel Jourdan