Notre invité dâaujourdâhui est Me Hervé Duval jr, le nouveau président du Bar Council. Dans lâinterview que nous vous invitons à lire, Me Duval explique pourquoi il sâest présenté à lâélection du Bar Council et ce quâil compte faire pour redonner à la profession le respect du public auquel il a droit et qui est en train de sâétioler.
Quâest-ce qui vous a poussé, vous qui êtes généralement assez discret, à présenter votre candidature à la présidence du Bar Council ?
Je me suis déjà engagé dans les activités du Bar Council quand lâassociation a eu quelques âsoucisâ il y a deux ans. Il y a quelque temps, un groupe de jeunes et moins jeunes avocats se sont livrés à une réflexion sur la profession. Dâailleurs, les avocats sont nombreux à réfléchir sur leur profession. Ils sont venus me voir, ont partagé leurs réflexions. Nous avons discuté et on a décidé que pour changer les choses, il fallait constituer une équipe et se présenter à lâélection du Bar Council. Câest ce que nous avons fait.
Vous avez déclaré que cette équipe avait été constituée à partir dâun constat de la situation de la profession légale à Maurice. Quelles sont les grandes lignes de ce constat ?
En premier lieu, le manque de respect du public pour la profession, ce qui nous chagrine, parce que nous sommes fiers de notre métier qui a un rôle défini dans le système dans lequel nous croyons. Nous ne venons pas avec des solutions toutes faites pour changer la situation au sein de lâassociation. Nous voulons surtout provoquer une prise de conscience pour que la profession soit respectée.
Pour être respecté, ne faut-il pas dâabord se conduire de manière respectable ? Est-ce le cas de tous les membres de la profession ?
Il y a une combinaison de beaucoup de choses qui mène à lâimage dégradée de la profession. Ce sont toujours les mauvais élèves qui font parler dâeux, alors que la grande majorité des professionnels du droit font bien leur travail. On était un peu fatigués de lâamalgame tout en reconnaissant que pour être mieux respectée, il faut que la profession règle ses problèmes internes et ramène à lâordre ceux qui le méritent. Il y a aussi une certaine incompréhension du rôle de lâavocat par le public. On a une certaine idée de la justice et du rôle de lâavocat qui ne cadre pas avec la réalité.
Cette majorité qui fait son travail ne semble pas sâintéresser au Bar Council puisque seulement 20% des inscrits se sont dérangés pour la dernière élection. à quoi faut-il attribuer ce fait : à un désintérêt ou un manque de confiance dans le Bar Council ?
Je nâai pas de réponse à votre question, mais je ne crois pas que cela soit propre au Bar Council, il y a dâautres institutions/associations dont les membres ne sont pas actifs. Un des objectifs que nous nous sommes fixés est de comprendre ce manque dâintérêt et faire quelque chose. Je me dis quâon doit se demander quel est le champ dâaction du Bar Council. La majorité ne sent pas concernée puisquâelle se dit : moi, je nâai pas de problème puisque je fais bien mon travail, je nâai pas besoin du Council. Le message aujourdâhui est : le Bar Council a besoin de la présence active des avocats, de leur engagement pour rétablir lâimage de la profession.
Comment expliquer ce désintérêt alors que la profession légale a la réputation dâêtre très corporatiste ?
Je nâaime pas le terme corporatiste, que lâon confond souvent à Maurice avec confrérie, surtout confrérie maçonnique. Le Bar Council nâest pas là pour protéger et défendre les avocats quoi quâils aient pu faire. Le rôle de lâassociation est de veiller aux intérêts de la profession et il est de son devoir de faire savoir quâelle ne tolère pas ses membres qui ne respectent pas les règles.
Une étude dâAfrobarometer vient de révéler que le taux de confiance des Mauriciens dans le judiciaire est passé de 72% en 2014 à 51% en 2017. Votre commentaire ?
Il existe une baisse de confiance pas seulement dans le judiciaire mais dans les institutions tout court, et câest sans doute un phénomène mondial. à Maurice, on a une tendance, une facilité à penser le pire des autres. Si quelquâun donne la perception dâavoir réussi, tout de suite on a le réflexe : ça cache quelque chose de louche, quelquâun dâhonnête ne peut pas réussir aussi rapidement
Dans certains cas, le doute est avéréâ¦
Dans certains cas. Je nâaurais pas aimé croire que câest souvent ou tout le temps le cas. Quand on dit judiciaire à Maurice, de quoi parle-t-on ? On fait un amalgame entre la police, qui a ses problèmes, certains avocats qui font la une pour des raisons, disons malheureuses, et le fonctionnement de la cour et ses lenteurs. Lâavocat ne fait pas partie du judiciaire, il a un rôle important à jouer dans un système légal, câest différent. Je trouve dommage que les Mauriciens perdent confiance dans le judiciaire parce que, malgré ses problèmes, son indépendance est fondamentale pour le fonctionnement de notre société. Je ne dis pas que tout est pour le mieux dans le judiciaire, mais on a beaucoup de chance de lâavoir tel quâil est. Câest pour cette raison quâil est important pour moi de rétablir lâimage et la confiance de la profession légale.
Vous voulez faire respecter la réputation, lâhonneur, la dignité, lâindépendance des membres de la profession. Mais est-ce que ce ne sont pas des membres de la profession qui, par leur comportement et leurs déclarations, ont conduit à ce manque de respect du public ?
Regardez la manière dont on rapporte ce qui se passe devant la commission dâenquête sur la drogue et surtout le comportement de certains avocats, qui sont même parodiés. Je ne dis pas quâil faut mettre sur un piédestal toute personne qui porte la robe dâavocat. Il y a des problèmes et il faut les prendre à bras-le-corps. Câest pourquoi le propos de notre équipe au Bar Council est quâil faut que la profession se remette en question.
Comment allez-vous faire pour améliorer lâimage de la profession, alors que les déclarations et commentaires controversés continuent ? Il y a quelques jours, un avocat a révélé, dans une conférence de presse, la stratégie quâil avait mise au point et exécutée avec son client pour éviter la police ! Lâavocat nâest-il pas censé protéger la confidentialité de ses relations avec son client ?
Cette affaire est devant le Council, qui a reçu une plainte du client de cet avocat et je ne la commenterai pas. Mais en règle générale, un des principaux devoirs dâun avocat est le respect de la confidentialité avec son client. Il y a également des règles qui interdisent à un avocat de donner publicité à son rôle dans une affaire quâil a traitée. Il faut aussi savoir quels sont les pouvoirs du Bar Council. Nous avons le devoir dâenquêter sur toute doléance concernant un breach of etiquette, de faire une médiation entre les deux parties, de donner lâopportunité à lâavocat de sâexpliquer. Ensuite, le Bar Council estime si lâentorse mérite une reprimand ou une severe reprimand, ou, si câest plus grave encore, il réfère le cas au judiciaire pour une éventuelle sanction. Mais que faisons-nous en attendant que le judiciaire prenne une décision, surtout si les manquements continuent ? Rien. Le nouveau bureau du Bar Council estime quâil est impératif que le barreau puisse sâautodiscipliner et prendre lui-même des sanctions, sujet à un droit dâappel à la cour. Mais il y a une disparité entre ce quâon attend du Bar Council dans son rôle de protecteur de la profession et le fait quâil doit demander au judiciaire de prendre des sanctions.
Allez-vous amender les règlements du Bar Council pour pouvoir sanctionner en cas de besoin ?
Ce nâest pas possible. Il ne faut pas amender les règlements mais changer la loi. Mais je dois dire que ce changement que nous préconisons, dâautres avant nous y ont pensé et ont commencé à travailler dessus avant nous. Il y a même eu, il y a deux ans, une assemblée générale de lâassociation pour discuter de ce sujet. Il y a un consensus à plusieurs niveaux en faveur de cet amendement et nous allons travailler pour faire aboutir ce projet. Je sais quâil y aura de la résistance, un certain conservatisme contre la démarche de faire tester en cour certaines provisions de la Mauritius Bar Association Act et voir jusquâoù on peut aller pour protéger lâintégrité de la profession. Câest essentiel.
Avez-vous le sentiment que la profession, dans son ensemble, soutient cette démarche ?
Surtout â et je le sens dans votre question â que je nâai été élu quâavec 20% des membres ! Je suis réaliste. Je parle au nom du Council, mais je crois aussi que je parle pour ceux qui sentent le besoin de faire partie activement de la vie de lâassociation. Je crois que je parle aussi pour la majorité de ceux qui veulent que la profession joue son rôle comme il le faut et soit respectée. Ãa fait toujours bien dans les dîners de taper sur les avocats, les notaires, les journalistes. Lâavocat a mauvaise presse, mais depuis quelque temps on dirait quâil y a contre les avocats une suspicion que je ne comprends pas.
On vous explique. Nous avons depuis plus dâun an une commission dâenquête sur la drogue qui a permis de découvrir que certains des avocats convoqués ont des liens très étroits avec les trafiquants de drogue. Est-ce une nouvelle pratique ou une vieille habitude révélée par les auditions de la commission dâenquête ?
Effectivement, grâce à la commission, il y a eu beaucoup dâattention médiatique sur le rôle des avocats. Quelques-uns dâentre eux ne se sont pas rendu service en faisant les déclarations quâils ont faites après leurs audiences. Mais combien dâavocats ont été entendus par la commission ? Une, deux douzaines ? On ne peut pas sâétonner quâun avocat qui fait du pénal ait des criminels qui ont des casiers judiciaires comme clients. Ces derniers ont le droit de prendre un avocat pour les défendre. Quâun avocat qui fasse du pénal ait des relations avec un criminel ne mâétonne pas.
Ãtes-vous étonné quâun avocat qui fait du pénal puisse rendre visite en prison à une trentaine de condamnés en une seule journée ?
Je ne voudrais pas faire de commentaires sur cette affaire qui est devant la commission. Mais bien sûr, il y a des faits qui nécessitent des explications, sinon ces avocats nâauraient pas été convoqués par la commission. Je ne tomberai pas des nues si demain on me dit quâil y a des avocats qui ont franchi les barrières, mais il faut plus pour moi pour dire quâils sont de mèche avec ces clients-là .
Pensez-vous quâau final la commission dâenquête sur la drogue va faire du bien à la profession légale ?
Oui. Je crois que la commission sera profitable à la profession, sans passer de jugements sur les avocats qui ont été convoqués devant elle. Tout le battage médiatique autour de la commission amène à une prise de conscience salutaire. Parfois, les avocats peuvent pécher par orgueil et se dire quâen plaidant, ils sont arrivés. Ãtre avocat ce nâest pas une fin, mais lâacceptation dâune responsabilité dans un système de rule of law où, finalement, câest le judiciaire qui va décider des droits et des obligations des uns et des autres. Devenir avocat câest continuer à être élève, car pour chaque affaire, il faut apprendre, les lois changent et il faut se tenir au courant pour défendre son client. Câest surtout accepter de toujours se remettre en question, de se demander si on va être à la hauteur, ce qui empêche dâavoir la grosse tête.
On note que vous parlez souvent de la presse, de la médiatisation des affaires. Mais la presse se contente généralement de reprendre les déclarations des avocats, dont certains savent très bien commenter leurs actions et leurs victoires et faire leur publicité.
Je suis de ceux qui croient que la presse a un rôle important à jouer dans notre société. On ne peut pas vouloir redonner à la profession légale le respect du public sans mettre la presse dans la problématique. La presse devrait être un garde-fou de la société, tout comme la profession légale doit lâêtre aussi. Ce que je remets en cause, câest que la presse reprend parfois lâamalgame que font certains en reprenant les lieux communs sur la manière dont fonctionnent les avocats, pourquoi ils défendent ce client, en oubliant que câest la base de notre métier. Tout cela engendre des jugements rapides, faciles et sans fondement qui peuvent mener à un mépris de la profession en niant son rôle de défendre tous ceux qui ont besoin de ses services.
Antoine Domingue a été un président du Bar Council très présent sur la scène médiatique, Joseph Tsang Man Kin a été plus effacé. Quel président serez-vous Hervé Duval ?
Je vais appréhender ce rôle comme tout ce que je le fais dans ma vie professionnelle : avec sérieux. Pendant que je serai président, je mâinterdirai de commenter publiquement les sujets qui ne concernent pas le Bar Council. Je ne veux pas quâil y ait dâamalgame entre ce que je peux penser et la direction du Bar Council qui est, je le souligne, une équipe dont je suis le porte-parole. La mission que nous nous sommes donnée va faire que nous allons prendre des positions qui ne vont pas faire lâunanimité, surtout au sein de la profession. La seule façon dâêtre crédible et inspirer le respect est de prendre des actions contre ceux qui, au sein de la profession, ne respectent pas les règles, ne se montrent pas à la hauteur de la responsabilité qui est la nôtre. Nous allons donc militer pour avoir plus de pouvoirs disciplinaires.
Le mandat dâune année de votre équipe va-t-il suffire pour réaliser ces objectifs ?
Une année nâest certainement pas assez pour tout accomplir. Mais jâespère que câest assez pour réaliser une prise de conscience et pour faire que dâautres sâintéressent à ce que nous voulons faire. Je serai personnellement très heureux si dans un an il y a plus de 20% dâélecteurs et quâil y ait beaucoup de candidats pour me succéder et prendre des responsabilités au sein de lâassociation pour continuer dans la même direction.
Au niveau personnel, cette présidence est-elle importante pour vous ?
Câest important pour moi dâavoir lâoccasion de faire ce qui, à mon sens, doit être fait. Câest important dâavoir obtenu la confiance de lâéquipe qui mâentoure. Et câest surtout très important de ne pas décevoir ceux qui au sein de la profession comptent sur nous pour donner une nouvelle impulsion au Bar Council. Jâaimerais que les avocats soient fiers de la profession. Je ne crois pas quâil y a beaucoup dâavocats qui soient heureux de la perception que le public en général a de la profession aujourdâhui.
Dans une interview accordée à un hebdomadaire, vous disiez que « les avocats sont certainement sujets à bien des tentations. » Avez-vous été souvent tenté dans votre carrière, Me Hervé Duval ?
Entendons-nous bien sur ce nous comprenons par le mot âtentationâ pour éviter un possible amalgame. La question qui mâétait posée concernait les barons de la drogue. Je ne dis pas quâon va céder à la tentation, mais que lâon y est exposé, ce qui nâest pas la même chose. Un avocat est exposé à la tentation de par la nature même de son métier, ce qui explique pourquoi nous avons un code dâéthique et des règles précises pour nous encadrer.
Quâest-ce que la tentation pour lâavocat ?
De vouloir plaire à tout prix à son client. Effectivement, jâai souvent été tenté de trouver des solutions pour des clients, qui nâavaient pas forcément toutes les cartes de leurs côtés. Ce client qui vient vous voir, il a envie dâavoir raison et vous demande de le démontrer en cour. Bien sûr que la tentation câest de tout faire pour prouver quâil a raison. Câest là que se situe la tentation, car il y a des règles à respecter, des règles à ne pas enfreindre pour faire gagner le client. Et il faut commencer par convaincre le client que tout nâest pas possible. Lâégo est aussi une tentation. On a tout le temps envie de gagner, cela fait partie de lâADN de lâavocat. On a tout le temps envie de plaire à son client, mais cela nâest pas toujours possible dans les limites imposées par la loi. Lâavocat doit se dire que son travail doit se faire dans le respect strict de la loi et que si jamais on sâen écarte, il est très difficile, pour ne pas dire impossible, de retourner dans la ligne droite. Il faut que lâavocat soit confiant quâil aura suffisamment de clients sâil fait bien son travail, même sâil ne gagne pas toutes ses affaires.