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[26] XXVI. Les dieux nous avertissent encore d'empêcher
que des desseins cachés ne nuisent à la
république. Or, quels projets plus cachés que les
siens, lorsqu'il a osé dire en pleine assemblée
qu'il fallait remettre toutes les affaires, interrompre
la justice, fermer le trésor, ne permettre
aucune action aux tribunaux? Croyez-vous que
l'idée d'une telle confusion, d'un tel bouleversement
dans l'État, se soit tout à coup présentée
à lui sur la tribune, sans qu'il s'en fût occupé
auparavant? Je sais que son âme est abrutie par
le vin, la débauche et le sommeil; je sais qu'il est le
moins réfléchi et le plus extravagant des hommes.
Cependant c'est dans les veilles de la nuit, et
même dans des assemblées nombreuses, que ce
projet de fermer les tribunaux a été conçu et
médité. Souvenez-vous; pères conscrits, qu'on
veut vous pressentir par cette horrible menace;
on veut, en vous accoutumant à l'entendre, s'assurer
les moyens de l'exécuter.
On lit à la suite : N'ACCORDEZ PAS DE NOUVEAUX
HONNEURS AUX HOMMES PERVERS ET
REJETÉS. Je vous dirai bientôt quels sont ces
pervers; au reste, peut-on nier que ce mot ne
désigne surtout celui qui sans contredit est le
plus perverti de tous les mortels? Voyons quels
sont ces hommes rejetés. Sans doute ce ne sont
pas ceux qui, méritant les honneurs, ont essuyé
un refus dont la honte n'est que pour leur république.
Tel a été souvent le sort des meilleurs
citoyens et des hommes les plus respectables. Les
hommes rejetés, ce sont les intrigants qui prétendent
à tout, qui préparent des combats de
gladiateurs, au mépris des lois, et répandent
l'argent avec la plus grande publicité, et que cependant
les étrangers, que dis-je? leur famille,
leurs voisins, leur propre tribu, les habitants de
la ville et de la campagne ont repoussés avec indignation.
Voilà ceux qu'on nous avertit de ne
pas élever à de nouveaux honneurs. Rendons
grâces aux dieux de qui nous vient cet avis. Cependant
le peuple romain n'a pas attendu la voix
des aruspices pour détourner ce malheur.
Gardez-vous des PERVERS. Le nombre en est
grand; mais Clodius est le premier et le chef de
tous. En effet, si un poète d'un génie supérieur
voulait exercer son imagination pour nous pré-
senter dans un homme l'assemblage des vices
les plus rares et les plus extraordinaires, il n'en
pourrait trouver un seul qui ne fût dans Clodius;
et combien il lui en échapperait, qui sont enracinés
dans cette âme impure!
| [26] XXVI. Monent enim eidem Ne occultis consiliis res publica laedatur.
Quae sunt occultiora quam eius qui in contione ausus est dicere iustitium edici oportere,
iuris dictionem intermitti, claudi aerarium, iudicia tolli? nisi forte existimatis hanc tantam
conluuionem illi tantamque euersionem ciuitatis in mentem subito in rostris cogitanti uenire
potuisse. Est quidem ille plenus uini stupri somni, plenusque
inconsideratissimae ac dementissimae temeritatis; uerum tamen nocturnis
uigiliis, etiam coitione hominum, iustitium illud concoctum atque meditatum est.
Mementote, patres conscripti, uerbo illo nefario temptatas auris nostras et
perniciosam uiam audiendi consuetudine esse munitam.
(56) Sequitur illud, Ne deterioribus repulsisque honos augeatur. Repulsos
uideamus, nam deteriores qui sint, post docebo. Sed tamen in eum cadere hoc
uerbum maxime qui sit unus omnium mortalium sine ulla dubitatione deterrimus,
concedendum est. Qui sunt igitur repulsi? Non, ut opinor, ii qui aliquando
honorem uitio ciuitatis, non suo, non sunt adsecuti; nam id quidem multis saepe
optimis ciuibus atque honestissimis uiris accidit. Repulsi sunt ii quos ad omnia
progredientis, quos munera contra leges gladiatoria parantis, quos apertissime
largientis non solum alieni sed etiam sui, uicini, tribules, urbani, rustici
reppulerunt: hi ne honore augeantur monent. Debet esse gratum quod praedicunt,
sed tamen huic malo populus Romanus ipse nullo haruspicum admonitu sua sponte
prospexit. (57) Deteriores cauete; quorum quidem est magna natio, sed tamen
eorum omnium hic dux est atque princeps; etenim si unum hominem deterrimum poeta
praestanti aliquis ingenio fictis conquisitisque uitiis deformatum uellet
inducere, nullum profecto dedecus reperire posset quod in hoc non inesset,
multaque in eo penitus defixa atque haerentia praeteriret.
| [27] XXVII. D'abord la nature nous attache à nos
parents, aux dieux immortels, à la patrie; parce
qu'au moment même où nous recevons le jour,
où nous respirons cet air vivifiant qui développe
nos facultés, nous sommes admis aux droits de
la cité et de la liberté. Clodius, en prenant le
nom de Fontéius, a renoncé au nom de ses pères,
aux sacrifices et au souvenir de ses ancêtres,
à sa famille. Par un forfait que rien ne peut expier,
il a souillé les feux sacrés, les autels les
plus saints, les foyers les plus inaccessibles aux
regards profanes, des mystères que l'œil d'un
homme n'a jamais aperçus, que nul discours n'a
jamais dû lui faire connaître. Il a livré aux flammes
le temple de ces déesses qui nous prêtent
leur secours dans les autres incendies.
Que dirai-je de la patrie? d'abord ses violences
et ses armes ont chassé de Rome, ont privé de
tout asile dans Rome celui que vous aviez nommé
plusieurs fois le sauveur de la patrie. Après avoir
accablé un citoyen constamment attaché au sénat,
et qu'il lui plaisait de nommer le chef du sénat,
il a, par le carnage et les incendies, détruit l'autorité
de ce corps auguste, l'âme et l'appui de la
république ; annulé les lois Élia et Fufia, ces lois
les plus salutaires à l'État; aboli la censure, supprimé
le droit d'opposition, anéanti les auspices,
armé les consuls ses complices, en leur prodiguant
le trésor, les provinces, les armées; il a
fait et défait des rois à prix d'argent, contraint
Pompée à se renfermer dans sa maison, renversé
les monuments des généraux, dévasté les maisons
de ses ennemis, inscrit son nom sur vos monuments.
Ah! qui pourrait dénombrer ses crimes
envers la patrie? Et de combien de forfaits le
trouverait-on coupable à l'égard des citoyens
qu'il a fait périr, des alliés qu'il a pillés, des généraux
qu'il a trahis, des armées qu'il a soulevées!
Et combien sont énormes ceux dont il s'est
rendu coupable envers lui-même et les siens!
Quel ennemi jamais épargna moins un camp pris
d'assaut, qu'il n'a épargné toutes les parties de
son corps? Sa jeunesse n'a-t-elle pas été livrée à
qui voulut en abuser? Quel libertin, en se plongeant
dans les excès de la plus grossière débauche,
agit plus librement avec une prostituée,
que Clodius avec sa propre soeur? Non, les poètes
qui ont imaginé Charybde n'inventèrent jamais
un gouffre plus avide et plus insatiable que
lui, quand il se jette sur les dépouilles des Byzantins
et de Brogitare. Les chiens de Scylla s'élançaient
avec moins de fureur, ils étaient moins affamés
que les Gellius, les Clodius et les Ttius,
que vous voyez avec lui dévorer la tribune elle-même.
Ainsi, pour obéir aux dernières paroles des
aruspices : PRENEZ GARDE QUE LA RÉPUBLIQUE
N'ÉPROUVE QUELQUE RÉVOLUTION. Ébranlée par
tant de secousses, à peine tous nos efforts réunis
pourront-ils empêcher qu'elle ne s'écroule.
| [27] XXVII. Parentibus et dis immortalibus et patriae nos primum natura conciliat; eodem
enim tempore et suscipimur in lucem et hoc caelesti spiritu augemur et certam in sedem
ciuitatis ac libertatis adscribimur. Iste parentum nomen, sacra, memoriam, gentem
Fonteiano nomine obruit; deorum ignis, solia, mensas, abditos ac penetralis
focos, occulta et maribus non inuisa solum, sed etiam inaudita sacra inexpiabili
scelere peruertit, idemque earum templum inflammauit dearum quarum ope etiam
aliis incendiis subuenitur. (58) Quid de patria loquar? qui primum eum ciuem ui,
ferro, periculis urbe, omnibus patriae praesidiis depulit quem uos patriae
conseruatorem esse saepissime iudicaritis, deinde euerso senatus, ut ego semper
dixi, comite, duce, ut ille dicebat, senatum ipsum, principem salutis mentisque
publicae, ui, caede incendiisque peruertit; sustulit duas leges, Aeliam et
Fufiam, maxime rei publicae salutaris, censuram exstinxit, intercessionem
remouit, auspicia deleuit, consules sceleris sui socios aerario, prouinciis,
exercitu armauit, reges qui erant uendidit, qui non erant appellauit, Cn-
Pompeium ferro domum compulit, imperatorum monumenta euertit, inimicorum domus
disturbauit, uestris monumentis suum nomen inscripsit. Infinita sunt scelera
quae ab illo in patriam sunt edita. Quid? quae in singulos ciuis quos necauit,
socios quos diripuit, imperatores quos prodidit, exercitus quos temptauit? (59)
Quid uero? ea quanta sunt quae in ipsum se scelera, quae in suos edidit! Quis
minus umquam pepercit hostium castris quam ille omnibus corporis sui partibus?
quae nauis umquam in flumine publico tam uulgata omnibus quam istius aetas fuit?
quis umquam nepos tam libere est cum scortis quam hic cum sororibus uolutatus?
quam denique tam immanem Charybdim poetae fingendo exprimere potuerunt, quae
tantos exhauriret gurgites quantas iste Byzantiorum Brogitarorumque praedas
exsorbuit? aut tam eminentibus canibus Scyllam tamque ieiunis quam quibus istum
uidetis, Gelliis, Clodiis, Titiis, rostra ipsa mandentem?
(60) Qua re, id quod extremum est in haruspicum responso, prouidete Ne rei
publicae status commutetur; etenim uix haec, si undique fulciamus iam labefacta,
uix, inquam, nixa in omnium nostrum umeris cohaerebunt.
| [28] XXVIII. Il fut un temps où cette république,
puissante et affermie sur des fondements solides,
pouvait supporter sans péril la négligence du sénat,
et même les excès des citoyens. Elle ne le
peut plus aujourd'hui. Le trésor est épuisé; les
fermiers de l'État ne perçoivent point les revenus;
l'autorité des grands est méconnue; la discorde
divise les différents ordres; les tribunaux
sont abolis; les suffrages sont à la disposition d'un
petit nombre; les bons citoyens ne s'empresseront
plus de seconder la volonté de notre ordre,
et vous chercherez vainement un homme qui
veuille s'exposer à la haine des méchants pour le
salut de la patrie.
La concorde seule peut donc nous maintenir
dans notre situation présente, quelle qu'elle soit.
Car qu'elle devienne meilleure, c'est ce qu'on ne
peut pas même désirer, tant qu'on laissera Clodius
impuni. Il ne nous reste plus rien au delà,
que la mort ou l'esclavage. Puisque les conseils
humains se taisent, les dieux daignent nous avertir,
afin que nous ne soyons pas réduits à ce dernier
excès du malheur.
Pères conscrits, je n'aurais pas entrepris de
vous faire entendre un discours aussi affligeant,
si les honneurs du peuple romain, si tant de distinctions
que vous m'avez accordées, ne m'avaient
fait un devoir, ne m'avaient donné la force
de remplir un ministère aussi pénible. Au reste,
il m'eût été facile de garder le silence comme
tous les autres; mais ce n'est pas en mon nom
que j'ai parlé, je n'ai été que l'interprète de la
religion. Peut-être me suis-je permis trop de paroles :
mais le fond des choses est tout entier des aruspices.
Ou il ne faut pas les consulter, ou, si on les interroge,
il faut faire attention à leurs réponses.
Si des prodiges plus communs et moins importants
ont souvent fait impression sur vous, la
voix des immortels eux-mêmes ne remuera-t-elle
pas les âmes de tous les citoyens? Ne croyez pas
qu'il soit possible qu'un dieu descende du ciel,
comme vous le voyez dans plusieurs pièces de
théâtre, qu'il vienne se mêler parmi les hommes,
converser avec eux, fixer son séjour sur la terre.
Réfléchissez sur la nature de ce bruit que les habitants
du Latium vous ont annoncé. Rappelez-vous
un autre événement sur lequel vous n'avez
pas encore délibéré, ce tremblement de terre qu'on
vous a dit s'être fait sentir à peu près dans le
même temps à Potentia, dans le Picénum, avec
des circonstances effrayantes; et ces maux que
nous n'apercevons que dans l'avenir, vous les
redouterez comme prêts à fondre sur vous. Car
toutes les fois que le monde lui-même, que l'air
et la terre sont agités par un mouvement nouveau,
et qu'ils nous avertissent par un bruit extraordinaire,
c'est la voix des dieux qui se fait
entendre; ce sont les immortels eux-mêmes qui
nous parlent. Alors il faut, comme on nous le
prescrit aujourd'hui, ordonner des expiations et
des prières. Au surplus, il est facile de fléchir des
dieux qui d'eux-mêmes nous indiquent les moyens
de nous sauver : ce sont nos haines surtout et
nos discordes qu'il nous importe d'apaiser.
| [28] XXVIII. Fuit quondam ita firma haec ciuitas et ualens ut neglegentiam senatus uel etiam
iniurias ciuium ferre posset. Iam non potest. Aerarium nullum est, uectigalibus non fruuntur
qui redemerunt, auctoritas principum cecidit, consensus ordinum est diuulsus,
iudicia perierunt, suffragia descripta tenentur a paucis, bonorum animus ad
nutum nostri ordinis expeditus iam non erit, ciuem qui se pro patriae salute
opponat inuidiae frustra posthac requiretis. (61) Qua re hunc statum qui nunc
est, qualiscumque est, nulla alia re nisi concordia retinere possumus; nam ut
meliore simus loco ne optandum quidem est illo impunito; deteriore autem statu
ut simus, unus est inferior gradus aut interitus aut seruitutis; quo ne trudamur
di immortales nos admonent, quoniam iam pridem humana consilia ceciderunt. Atque
ego hanc orationem, patres conscripti, tam tristem, tam grauem non suscepissem,
non quin hanc personam et has partis, honoribus populi Romani, uestris plurimis
ornamentis mihi tributis, deberem et possem sustinere, sed tamen facile
tacentibus ceteris reticuissem; sed haec oratio omnis fuit non auctoritatis
meae, sed publicae religionis. Mea fuerunt uerba fortasse plura, sententiae
quidem omnes haruspicum, ad quos aut referri nuntiata ostenta non conuenit aut
eorum responsis commoueri necesse est. (62) Quod si cetera magis peruulgata nos
saepe et leuiora mouerunt, uox ipsa deorum immortalium non mentis omnium
permouebit? Nolite enim id putare accidere posse quod in fabulis saepe uidetis
fieri, ut deus aliqui delapsus de caelo coetus hominum adeat, uersetur in
terris, cum hominibus conloquatur. Cogitate genus sonitus eius quem Latinienses
nuntiarunt, recordamini illud etiam quod nondum est relatum, quod eodem fere
tempore factus in agro Piceno Potentiae nuntiatur terrae motus horribilis cum
quibusdam ~multis metuendisque rebus: haec eadem profecto quae prospicimus
impendentia pertimescetis. (63) Etenim haec deorum immortalium uox, haec paene
oratio iudicanda est, cum ipse mundus, cum maria atque terrae motu quodam nouo
contremiscunt et inusitato aliquid sono incredibilique praedicunt. In quo
constituendae nobis quidem sunt procurationes et obsecratio, quem ad modum
monemur. Sed faciles sunt preces apud eos qui ultro nobis uiam salutis
ostendunt: nostrae nobis sunt inter nos irae discordiaeque placandae. | | |