A cette date, Philippe tenait les Thermopyles
; il était maître de la Thessalie, de la Phocide, d'une partie
de l'Eubée. Thèbes, dans l'Hellade, Messène, Argos et
les cités arcadiennes, dans le Péloponnèse, étaient
dévouées à sa politique. Il occupait aussi presque toute
la Thrace, et convoitait la Chersonèse. Cette contrée appartenait
à Athènes, qui y attachait une extrême importance, parce
qu'elle dominait les détroits par lesquels les navires, chargés
des blés du Pont-Euxin, avaient accès vers les ports de la Grèce.
Déjà, dans la Guerre Sociale, Byzance avait échappé
au joug d'Athènes et détenait le Bosphore ; mais tant qu'Athènes
conservait la Chersonèse, elle avait peu à redouter Byzance,
qui, menacée par Philippe, ne pouvait se dispenser de s'appuyer sur
son ancienne métropole. Celle-ci, pour asseoir plus solidement son
autorité sur la Chersonèse, y avait récemment envoyé
des colons, répartis dans les principales villes de la contrée.
Cardie, située au nord de la péninsule, et dont l'autonomie
avait été reconnue par le traité de 346, refusa de recevoir
les colons athéniens. Philippe soutint Cardie ; comme représailles,
Diopithe, qui commandait les forces d'Athènes dans la Chersonèse,
lança ses mercenaires sur un canton de la Thrace, devenu possession
macédonienne. Philippe se plaignit vivement de cette violation flagrante
de la paix, et menaça, s'il n'en obtenait pas réparation, de
châtier les colons d'Athènes. En face de cette menace d'une guerre
qui, une fois engagée, ne pourrait plus guère se terminer que
par la ruine définitive d'un des deux adversaires, le peuple d'Athènes
fut très ému ; on accusa Diopithe de ne vivre que de rapines,
et de compromettre le salut d'Athènes par ses incursions sur le territoire
macédonien ; on demanda qu'il fût révoqué sur l'heure,
et que, s'il résistait, on envoyât une armée pour le réduire.
Démosthène combat énergiquement cette proposition : la
guerre est inévitable ; il ne faut pas que, pour la différer
de quelques jours, Athènes se prive elle-même des ressources
qui peuvent lui permettre de la soutenir avec avantage. Loin de désavouer
Diopithe, il faut faire, des troupes qu'il commande, le noyau d'une armée
permanente, qui défendra la Chersonèse, mais sera prête
surtout à prendre l'offensive contre la Macédoine ; quant aux
déprédations reprochées à Diopithe, elles étaient
nécessaires pour nourrir ses soldats ; elles cesseront dès qu'Athènes
voudra pourvoir à leur solde et à leur entretien.
L'heure de la crise suprême est venue ; on doit châtier les traîtres
; on doit faire appel aux Grecs, les grouper autour d'Athènes ; mais,
pour obtenir leur confiance, il faut donner l'exemple, il faut que les citoyens
contribuent de leurs biens, fassent campagne de leurs personnes, montrent
enfin, par tous leurs actes, que la Grèce peut compter sur eux, qu'ils
sont dignes et capables de la conduire à la victoire contre l'ennemi
commun.
Un orateur ne devrait jamais, Athéniens,
être mû par la haine ou le désir de plaire ; il faudrait
que chacun énonçât seulement ce qu'il croirait le meilleur,
surtout quand ce sont des questions publiques d'une grande importance qui
sont soumises à vos délibérations ; mais, puisque, parfois,
c'est la jalousie ou quelque autre mobile de ce genre qui anime l'orateur,
vous, Athéniens, le peuple assemblé, vous devez, oubliant toute
autre considération, ne songer, dans vos votes et vos actes, qu'à
l'intérêt de la cité. Ce qui vous préoccupe en
ce moment, ce sont les affaires de la Chersonèse, et l'expédition
que Philippe dirige en Thrace depuis dix mois : or la plupart des discours
ont pour sujet les actes et les projets de Diopithe(1)
!
Ces griefs contre tel ou tel des hommes que les lois vous permettent de châtier,
quand vous le voulez, il me semble que vous êtes libres d'en hâter
ou d'en différer l'examen, et qu'il n'y a nullement lieu, ni pour moi
ni pour personne, de s'échauffer à cet égard. Mais quand
il s'agit de l'ennemi de votre cité, qui, à la tête de
nombreux soldats, cherche à s'assurer de fortes positions sur l'Hellespont(2),
tarder d'un jour, c'est tout perdre, et je suis d'avis qu'il importe de délibérer
et de se préparer au plus vite, sans permettre que des discussions
tumultueuses, ou des accusations détournent notre esprit vers d'autres
sujets.
Je m'étonne souvent du langage de vos orateurs habituels, Athéniens,
mais rien ne m'a plus surpris que ce que j'entendais dire tout récemment
dans le Sénat : il faut, déclarait-on, vous conseiller nettement
ou de faire la guerre, ou de rester en paix. A la bonne heure ! S'il est vrai
que Philippe reste paisible, qu'il ne détient aucune de nos possessions,
contrairement aux traités, et ne cherche pas à ameuter tous
les peuples contre nous, il n'y a plus lieu de discourir ; il faut simplement
demeurer en paix, et je vois que vous y êtes, de votre côté,
tout disposés ; mais regardez ces stèles où sont inscrits,
et nos serments, et les conditions de la paix ; il est manifeste que, tout
d'abord, avant que Diopithe et les colons qu'on accuse d'actes hostiles eussent
mis à la voile, Philippe s'est injustement saisi de nombreuses places,
dont vos décrets - ces décrets qui l'accusent, et que vous voyez
ici gravés - nous assuraient la possession ; et toujours, sans relâche,
il attire à lui les autres Grecs, ainsi que les barbares, et les coalise
contre nous. Que vient-on dire, alors, qu'il faut être en paix ou en
guerre ? Nous n'en avons pas le choix. Il ne vous reste plus qu'un parti à
prendre, juste autant que nécessaire, mais que ces gens-là se
gardent de vous indiquer. Quel est-il ? C'est de nous défendre contre
l'agresseur. Prétendrait-on que, aussi longtemps que Philippe s'abstient
de toucher à l'Attique et au Pirée, il ne fait pas tort à
notre ville et n'engage pas la guerre. Fonder la justice sur de tels principes,
admettre une telle définition de la paix, comme le font ces hommes
vendus, c'est tenir un langage impie, insupportable, périlleux même
pour votre sûreté ; c'est aussi soutenir une thèse contradictoire
aux accusations lancées par vous contre Diopithe. Eh quoi ! nous accordons
toute licence à Philippe, pourvu qu'il ne touche pas à l'Attique,
et Diopithe ne pourra pas même secourir les Thraces, sans que nous disions
qu'il engage la guerre ? A cet argument, certes, il n'y a rien à répondre
; mais on détourne la discussion : nos mercenaires, dit-on, commettent
des excès, ils dévastent les rives de l'Hellespont ; Diopithe
viole le droit des gens en capturant les navires de commerce, et nous ne devons
pas le permettre. Oui, j'admets ces critiques, je n'y réplique pas.
Et cependant, est-ce au nom de la justice qu'on vous donne de tels conseils
? Non ; on cherche ainsi à dissoudre l'armée que possède
Athènes, en poursuivant devant vous celui qui en est le chef, et qui
la fait vivre ; mais montrez-moi que Philippe, de son côté, licenciera
ses troupes au cas où vous suiviez ces avis. S'il n'en est rien, ces
gens-là vont simplement replacer Athènes dans la situation qui
a amené nos désastres récents. Vous le savez, en effet,
la supériorité de Philippe est due par-dessus tout à
ce que ses actes devancent les nôtres. Disposant de forces constituées,
sachant bien ce qu'il veut, il apparaît subitement sur tel point qu'il
lui plaît ; quant à nous, lorsque nous sommes informés
de ce qui se passe, nous faisons grand bruit et commençons nos préparatifs.
Alors, qu'arrive-t-il ? Ce que Philippe a saisi, il le garde en toute sécurité
; pour nous, nous arrivons trop tard ; toutes nos dépenses sont en
pure perte ; nous avons seulement montré notre haine et notre désir
d'entraver Philippe ; et notre retard à agir ne nous laisse que la
honte.
Ne l'ignorez pas, Athéniens, aujourd'hui encore, tout ce qu'on avance,
ce n'est que mots en l'air, et faux prétextes ; on ne vise qu'un but,
c'est que vous restiez chez vous, et que, Athènes ne disposant plus
d'aucune force en dehors de l'Attique, Philippe puisse très tranquillement
régler tout à sa guise. Considérez d'abord ce qui se
passe en ce moment : le roi est en Thrace, à la tête de troupes
nombreuses, et, à ce qu'assurent les témoins oculaires, il fait
encore venir de grands renforts de Macédoine et de Thessalie. Si donc
il attend que soufflent les vents étésiens, et qu'alors il marche
sur Byzance, et l'assiège, croyez-vous, d'abord, que les Byzantins,
persistant dans leur folie actuelle, ne vous appelleront pas à leur
aide ? Ils vous appelleront, je le crois : et s'il était des gens dont
ils se défient encore plus que de nous, ils préféreraient
les introduire dans leurs murs, plutôt que de livrer la ville à
Philippe ; à moins que celui-ci n'ait pris les devants et emporté
la place. En tout cas, si les vents s'opposent à ce que vous fassiez
partir d'ici une expédition maritime et que vous n'ayez en Thrace aucun
secours préparé, rien ne pourra empêcher les Byzantins
de succomber. - Ce sont les plus fous des hommes, dira-t-on ; un mauvais génie
les égare. - Sans doute ; mais il n'en faut pas moins les sauver :
l'intérêt de la ville l'exige. Il n'est, d'ailleurs, nullement
prouvé que Philippe ne se dirigera pas vers la Chersonèse ;
voyez la lettre qu'il nous a adressée : il y déclare qu'il va
punir les habitants de ce pays. Si donc nous disposons encore de l'armée
que nous avons formée en Thrace, elle pourra protéger la Chersonèse
et ravager quelqu'une des provinces de Philippe ; mais, si une fois nous l'avons
dissoute, et qu'il marche sur la Chersonèse, que ferons-nous ? - Eh
bien ! nous citerons Diopithe devant les juges. - Nos affaires en seront-elles
meilleures ? - Nous irons d'Athènes porter secours, servant de nos
personnes. - Et si les vents vous barrent la route ? - Mais il n'ira pas en
Chersonèse. - Qui s'en porte garant ? Songez-y ; voici qu'approche
la saison où quelques-uns veulent que vous ayez dégarni la Chersonèse,
afin de la livrer à Philippe. Ne peut-il pas encore, quittant la Thrace,
et, négligeant la Chersonèse et Byzance - c'est aussi une hypothèse
à examiner, - venir à Chalcis et à Mégare, comme
il est venu naguère à Orée(3),
et vaut-il mieux avoir à nous défendre ici, et laisser la guerre
envahir l'Attique, plutôt que de le tenir occupé là-bas
? Je ne le pense pas.
Voilà ce qu'il vous faut savoir et méditer. N'allez donc pas,
quand Diopithe s'efforce de vous constituer une force militaire, chercher,
de votre côté, à la dissoudre, et dénigrer son
chef. Équipez vous-mêmes une seconde armée ; envoyez à
Diopithe des secours en argent ; soutenez-le d'ici par tous les moyens. Si
l'on demandait à Philippe : Dites-moi ? les soldats que commande actuellement
Diopithe, quoi qu'ils vaillent (à cet égard, je ne discute pas),
souhaitez-vous qu'on les estime à Athènes, qu'ils prospèrent
et grossissent en nombre, grâce aux renforts expédiés
par la cité, ou préférez-vous que cette armée,
accusée, injuriée à la tribune d'Athènes, se dissolve
et périsse ?- Qu'elle périsse ! dirait-il à coup sûr.
- Eh bien ! la prière que Philippe adresserait aux dieux, quelques-uns
de nous ici veulent l'exaucer ! Et vous cherchez la cause des désastres
qui ont frappé les affaires de la ville !
Examinons, en toute franchise, la situation présente d'Athènes
: quelle conduite nous tenons, comment nous réglons nos affaires. Nous
ne voulons ni contribuer de notre argent, ni servir de nos personnes, nous
ne pouvons nous abstenir de toucher aux deniers publics ; nous ne fournissons
pas à Diopithe les subsides convenus, et, loin de le louer de ce qu'il
se procure les ressources nécessaires, nous le décrions, nous
recherchons à quelles sources il puise, quels sont ses projets, nous
l'inquiétons de mille façons ; mais, malgré notre sévère
critique, nous ne voulons pas agir par nous-mêmes : en paroles, nous
comblons d'éloges les orateurs qui tiennent un langage digne d'Athènes
; en fait, nous soutenons ceux qui les combattent. A quiconque monte à
la tribune, vous avez coutume de demander : Que faut-il faire ? et moi je
vous demande : Que faut-il dire ? Si vous ne voulez ni contribuer, ni servir
de vos personnes, ni respecter les deniers publics, ni payer les subsides
dus, ni laisser Diopithe user des ressources qu'il s'est procurées,
ni, en un mot, régler vous-mêmes vos affaires, je n'ai qu'à
me taire. Si vous accordez une telle licence aux accusateurs et aux calomniateurs,
que, quand ils vous entretiennent des prétendus projets de Diopithe
et fondent là-dessus d'avance leurs diatribes, vous leur prêtez
l'oreille, comment qualifier votre conduite ?
De tout cela, que peut-il résulter c'est mon devoir d'en instruire
ceux qui l'ignorent. Je le dirai avec franchise ; car je ne saurais parler
autrement(4) ; quelles sont les habitudes
de tous vos généraux qui commandent sur mer ? - si je mens,
j'accepte tel châtiment qu'on voudra ; - les habitants de Chio, d'Erythrée(5),
tous les peuples qui ont quelques ressources (je parle des cités asiatiques)
leur paient des subsides ; moins ou plus importants, selon que ces généraux
n'ont qu'un ou deux navires, ou qu'ils disposent d'une force plus considérable.
Mais qu'ils paient peu ou beaucoup, ces peuples ne sont pas assez fous pour
n'attendre rien en retour : ils s'assurent, ainsi, que les marchands qui sortent
de leurs ports ne sont pas maltraités, ou pillés, que leurs
propres navires sont escortés, et autres avantages semblables. Sous
le nom de libéralités, ce sont de vrais tributs qu'ils acquittent.
Eh bien ! Diopithe a une armée ; il est clair que toutes ces cités
lui verseront de l'argent. Et comment voulez-vous qu'un homme qui ne reçoit
rien de vous, s'il n'a pas par lui-même de ressources pécuniaires,
puisse entretenir ses soldats ? L'argent lui tombe-t-il du ciel ? Non, c'est
grâce à ce qu'il ramasse, mendie, emprunte, qu'il peut subsister.
Que font donc en réalité ces orateurs qui l'accusent devant
vous ? Ils crient d'avance à tous : Ne lui donnez rien ; il va être
châtié non de méfaits accomplis, mais de ceux qu'il médite.
Écoutez-les : " Il va commencer le siège ; il trahit les
Grecs. " Il y a des gens, en effet, qui s'intéressent surtout
aux Grecs d'Asie ; plus soucieux des autres cités que de leur patrie.
Et c'est pour cela, aussi, qu'ils veulent envoyer contre Diopithe, sur l'Hellespont,
un autre général.
Mais si Diopithe se conduit mal et confisque à son profit les navires
de commerce, une simple tablette suffit pour empêcher tous ces excès.
Les lois défèrent aux tribunaux ceux qui commettent de tels
abus ; mais il n'y a pas lieu d'équiper à grands frais tant
de galères(6) pour le surveiller
; ce serait le comble de la folie. C'est contre les ennemis, qui ne tombent
pas sous le coup de la loi, qu'il faut entretenir des soldats, expédier
des galères, et contribuer de ses deniers ; il y a là nécessité
absolue ; mais contre tel ou tel d'entre vous, un décret, un acte d'accusation,
et la galère paralienne(7), c'est
assez. Voilà comme agiraient des hommes sensés ; mais nous sommes
aujourd'hui le jouet d'envieux malfaisants ; et voyez leur oeuvre !
Qu'il y ait de telles gens parmi vous, c'est déplorable ; mais ce qui
l'est plus, c'est l'état d'esprit de ceux qui siègent dans cette
assemblée. Qu'un orateur vous dise que Diopithe est cause de vos maux,
ou Charès, ou Aristophon, ou tel autre citoyen qu'il lui plaît
de vous nommer : - " Oui, oui, vous écriez-vous aussitôt,
il a raison ! " - Mais qu'un autre soit sincère, et vous dise
: " Quelle folie, Athéniens ! mais l'unique auteur de tous vos
maux, de tous vos embarras, c'est Philippe ! S'il restait paisible, Athènes
serait libre de tout souci " ; - vous ne pouvez pas contester que ce
soit la vérité, mais vous avez l'air irrité ; vous semblez
croire qu'on vous cause un dommage. D'où naît cette disposition
? - au nom des dieux, quand j'ai en vue vos plus chers intérêts,
excusez ma franchise - c'est que, par le fait de quelques-uns de vos hommes
politiques, vous êtes redoutés et intraitables dans vos assemblées,
tandis que, pour préparer la guerre, votre indolence vous livre à
la risée. Qu'on vous indique, comme l'auteur de vos maux, tel que vous
avez sous la main, vous applaudissez, vous voulez agir ; mais qu'on vous désigne
un adversaire si puissant que, pour le châtier, il faut d'abord le vaincre
par la force des armes, vous vous irritez. Ce qu'il faudrait, Athéniens,
c'est le contraire de ce qui se passe actuellement : tous vos hommes politiques
devraient vous habituer à vous montrer doux et humains sur l'Agora,
puisque vous n'y discutez qu'entre vous ou avec vos alliés, mais redoutés
et intraitables quand il s'agit de préparer la guerre ; car alors c'est
à vos ennemis, à vos rivaux acharnés que vous avez affaire.
Aujourd'hui les démagogues, par leurs flatteries outrées, vous
ont amenés à étaler dans vos assemblées un orgueil
hautain ; heureux d'être adulés, vous ne voulez entendre que
ce qui vous flatte ; mais, en face des événements, votre inertie
vous expose aux plus extrêmes périls.
Supposez, Athéniens, que les Grecs vous demandent compte des occasions
que votre indolence a laissé échapper, et vous disent : "
Athéniens, vous nous envoyez sans cesse des ambassadeurs, qui nous
déclarent que Philippe nous tend des pièges, à nous tous
Grecs, qu'il faut nous défier de cet homme, et qui tiennent mille autres
propos semblables. " - Nous ne pouvons le nier ; c'est bien notre habitude.
- " Eh bien ! ajouteraient-ils, quel oubli complet de votre honneur !
Voici neuf mois que Philippe a disparu, entravé par la maladie, l'hiver,
les guerres(8), de sorte qu'il n'a pu rentrer
dans ses États, et, pendant tout ce temps, vous n'avez su ni affranchir
l'Eubée, ni ressaisir aucune des places qu'il vous avait ravies ; vous
restez chez vous, vous prenez du loisir, vous soignez votre santé,
si l'on peut dire qu'on soit en santé quand on agit de la sorte ! Philippe(9)
a établi deux tyrans en Eubée, l'un qui s'est fortifié
en face de l'Attique, l'autre en face de Sciathos ; et vous n'avez pas même
empêché de tels outrages, mais vous avez laissé faire.
N'est-il donc pas évident que vous abdiquez devant lui, et que, quand
il mourrait dix fois, vous n'en bougeriez pas davantage ? Alors pourquoi ces
ambassades, ces reproches, tous ces embarras que vous nous créez ?
" - A un tel langage que répondre, qu'alléguer ? Rien,
que je sache !
Il y a des gens qui croient m'embarrasser fort en me disant : Eh bien ! que
faut-il faire ? J'aurais une réponse toute prête, la mieux fondée,
la plus vraie ! " Il faut ne pas faire ce que vous faites " ; mais
je préfère traiter chaque point avec précision ; et j'espère
que ceux qui mettent tant d'empressement à me questionner n'en mettront
pas moins à agir.
D'abord, Athéniens, ayez cette conviction bien arrêtée
que Philippe est en guerre avec Athènes, que la paix est rompue par
son fait, et cessez de vous accuser les uns les autres à ce sujet.
Croyez qu'il n'a que de mauvaises intentions à votre égard,
qu'il est l'ennemi de la cité tout entière, et du sol de la
cité, j'ajouterai : de tous les habitants de la cité, de ceux
mêmes qui se croient le plus en faveur auprès de lui. Et que
ceux-là, en effet, songent à Euthycrate et à Lasthène(10),
ces Olynthiens qui semblaient jouir de sa plus étroite intimité
: après qu'ils lui eurent livré leur ville, quel traitement
leur infligea-t-il ? Mais c'est, par-dessus tout, notre système politique
qu'il combat, contre lequel il dirige ses machinations ; sa plus constante
préoccupation, c'est de le détruire. Et il a, pour agir ainsi,
d'excellentes raisons ; il sait clairement que, quand il aurait dompté
tout le reste, sa puissance sera fragile tant que vous restez en démocratie.
Qu'il éprouve un échec, comme il peut s'en produire, puisqu'il
est homme, et aussitôt tout ce qu'il domine aujourd'hui par la force,
se lèvera et accourra se grouper autour de nous. C'est que, en effet,
si, par votre nature, vous n'êtes guère capables de conquérir
et de garder la prééminence, vous excellez à empêcher
qu'un autre la saisisse, et à l'en précipiter ; en un mot, s'il
s'agit de barrer la route à qui veut commander, et de revendiquer la
liberté pour tous les peuples, vous êtes là, toujours
prêts. Il ne veut donc pas que notre libre humeur guette l'occasion
de le frapper ; il ne le veut absolument pas, et c'est là, de sa part,
raisonner bien et juste. Il faut, dans ces conditions, tout d'abord le regarder
comme l'ennemi irréconciliable de notre cité et du gouvernement
démocratique ; car, si vous n'en êtes pas convaincus au fond
du coeur, vous n'aurez pas la volonté de vous adonner sérieusement
à vos affaires. En second lieu, sachez nettement que tous ses plans,
tous ses préparatifs visent notre cité, et que là où
on lui résiste, on combat pour nous.
Ne serait-ce pas le comble de la simplicité de supposer que, s'il s'agit
de bicoques thraces, - et quel autre nom donner à Drongile, à
Cabyle, à Mastira, à ces places qu'il enlève en ce moment
? - Philippe brille de s'en emparer, et que, pour atteindre ce but, il affronte
fatigues, tempêtes, périls extrêmes ; mais qu'il ne convoite
pas les ports, les arsenaux, les flottes d'Athènes, ses mines d'argent,
ses revenus de tout genre, et qu'il vous laisse en possession de tous ces
biens, tandis que le seigle et le millet des silos de Thrace le font hiverner
dans cet enfer ? C'est impossible à croire : oui, ses dernières
campagnes, comme toutes ses autres entreprises, n'ont qu'un but : mettre la
main sur ce qui est à nous. Que conseille donc le bon sens ? Instruits,
convaincus de ces vérités, secouez enfin cette indolence excessive,
inouïe ; contribuez de votre argent, exigez des tributs de vos alliés,
et, quand vous aurez constitué une force armée, veillez, par
tous vos actes, à ce qu'elle soit maintenue. Ainsi, comme Philippe
tient une armée toujours prête à opprimer, à asservir
tous les Grecs, vous, Athéniens, vous en aurez une prête à
secourir toutes les cités, et à assurer leur salut. Ce n'est
pas en envoyant des secours isolés que vous obtiendrez un résultat
: ce qu'il faut, c'est, après avoir organisé une troupe solide,
assurer sa subsistance, y joindre des questeurs et des esclaves publics, établir
ainsi la surveillante la plus rigoureuse sur l'emploi de vos deniers ; vous
demanderez compte à ces agents du maniement des fonds, comme au général
de ses actes militaires. Si vous agissez de la sorte, si vous le voulez réellement,
vous contraindrez Philippe à observer une paix équitable, et
à rester dans ses États - ce qui serait pour vous le plus grand
des biens ; - sinon, vous le combattrez avec des chances égales.
On objectera que de cette politique résulteront pour nous de grandes
dépenses, beaucoup de fatigues et de préoccupations ; c'est
la vérité. Mais qu'on suppute les malheurs prêts à
accabler la cité, si elle se refuse à prendre ces mesures, et
on trouvera que notre intérêt est de faire de bon gré
notre devoir. Si un dieu - car nul homme ne mériterait créance
en si grave matière, - si un dieu, dis-je, vous garantissait que, en
restant inertes, en négligeant tout, vous ne risquiez pas de voir,
à la fin, Philippe vous attaquer vous-mêmes, il serait honteux
- j'en atteste Jupiter et tous les dieux ! - il serait indigne de vous, de
la renommée d'Athènes, des exploits de vos ancêtres, que
votre indolence livrât tous les Grecs à la servitude ; et, pour
ma part, j'aimerais mieux mourir que de vous donner un tel conseil. Libre
à un autre de tenir ce langage et, s'il vous persuade que rien ne vous
menace, eh bien l alors, libre à vous de laisser tout sans défense,
à l'abandon ! - Mais nul ne croit qu'une telle immunité soit
possible. Tous, au contraire, nous prévoyons que, plus nous laisserons
Philippe étendre ses conquêtes, plus nous aurons en lui un ennemi
dangereux et puissant. Pourquoi ces subterfuges, ces retards ? Quand voudrons-nous,
enfin, accomplir notre devoir ? -" Alors que ce sera vraiment nécessaire
", me dit-on. - Nécessaire pour qui ? Pour des hommes libres ?
Ah ! pour ceux-là l'heure d'agir est venue, ou plutôt elle est
depuis longtemps passée. Quant à ce que les esclaves entendent
par la nécessité, puissent les dieux la détourner de
vous ! Quelle différence y a-t-il entre ces deux façons d'entendre
le même mot ? C'est que, pour l'homme libre, la nécessité
la plus pressante, c'est le déshonneur qui résulterait de ses
actes ; et jamais, à cet égard, situation ne fut plus grave
que la nôtre aujourd'hui ; pour l'esclave, ce sont les coups, les tortures
physiques : puissiez-vous ne les pas connaître ! je rougirais même
d'en parler devant vous.
J'aurais plaisir à vous montrer en détail tous les artifices
que quelques-uns de vos hommes politiques emploient pour vous tromper ; mais
je ne citerai qu'un exemple : vient-on à s'occuper de nos relations
avec Philippe, aussitôt un d'eux se lève, vante les bienfaits
de la paix, dit que l'entretien de forces nombreuses est un lourd fardeau,
qu'il est des gens qui veulent dilapider le trésor, et, par de tels
propos, vous circonviennent et laissent à Philippe sécurité
et liberté d'agir à sa guise. De là, pour vous, une vie
aujourd'hui molle et oisive qui vous aura coûté bien cher, vous
le reconnaîtrez un jour ; mais de là, pour eux, faveurs et salaire.
Mon avis est que ce n'est pas à vous qu'il faut persuader de garder
la paix - vous êtes sur ce point tout à fait convaincus, - mais
à celui dont les actes sont hostiles à Philippe. Qu'on le décide
à suivre une politique de paix, et ce n'est pas vous qui y ferez obstacle.
Je crois aussi que le plus lourd fardeau, ce ne sont pas les dépenses
propres à garantir notre sécurité, mais le sort qui nous
attend, si nous nous refusons à ce sacrifice. Quant aux concussions,
nous pouvons les empêcher, en veillant sur l'emploi des fonds, et non
en trahissant les intérêts de la patrie. Ce qui m'irrite, Athéniens,
c'est de voir certains d'entre vous s'affliger de dilapidations, qu'il est
en votre pouvoir d'empêcher, en châtiant les coupables, tandis
qu'ils supportent que Philippe mette au pillage successivement toutes les
cités grecques, et se prépare ainsi à vous dépouiller
vous-mêmes.
Eh quoi ! Athéniens, quand Philippe, si ostensiblement, entre en campagne,
viole le droit des gens, prend des villes, aucun de ces hommes n'a encore
avoué que le roi nous fait la guerre ; et, si nous conseillons de ne
pas tout tolérer, tout abandonner, c'est nous qu'ils accusent de la
vouloir faire. Pourquoi ? C'est que la colère, bien naturelle, qui
peut s'allumer en vous, si vos armes éprouvent quelque échec,
ils veulent la détourner sur ceux qui vous donnent les plus sages avis,
afin que vous les citiez en justice, au lieu de repousser Philippe, et qu'ils
se portent eux-mêmes accusateurs, au lieu d'avoir à répondre
de leurs propres méfaits. Voilà dans quelles vues ils vous répètent
qu'il y a ici des partisans de la guerre ; or c'est là le point en
litige. Pour moi, je sais pertinemment que, alors qu'aucun Athénien
n'a encore présenté de motion, pour que la guerre soit décrétée,
Philippe détient beaucoup de nos possessions, et vient encore d'envoyer
des secours à Cardie. Si c'est chez nous un parti pris de ne pas reconnaître
qu'il nous combat, ce serait pour Philippe le comble de la folie de nous désabuser.
Mais quand il marchera contre nous-mêmes, en conviendrons-nous enfin
? Quant à lui, il ne nous déclarera pas la guerre, pas plus
qu'il ne l'a déclarée aux Oritains, quand ses soldats occupaient
déjà leur territoire, ou, auparavant, aux habitants de Phères(11),
quand il allait donner l'assaut à leurs murs, ou tout d'abord aux Olynthiens,
quand il foulait leur sol, à la tête de son armée. Dirons-nous
alors encore que prêcher la résistance, ce soit provoquer la
guerre ? Que nous restera-t-il à faire ? Subir l'esclavage ; je ne
vois pas d'autre issue, si, d'un côté, on ne nous laisse pas
en paix, et que, de l'autre, nous refusions de nous défendre. Et, songez-y,
nous courons un bien plus grave péril que les autres peuples : Philippe
ne veut pas soumettre notre ville, il veut l'anéantir l Il sait bien
que, habitués à commander, vous ne voudrez pas, ou, en tout
cas, ne saurez pas être esclaves, et que, à la première
occasion, vous retrouverez assez de force pour lui créer, à
vous seuls, plus d'embarras que tous les autres peuples réunis.
Il vous faut donc mesurer vos décisions sur l'extrême gravité
de la lutte, il vous faut maudire ceux qui vous ont vendus à Philippe,
et les faire périr sous le bâton. Car il est impossible, oui,
impossible, de triompher des ennemis du dehors si vous n'avez châtié
d'abord les ennemis qui complotent au sein de la ville même. Pour quel
motif croyez-vous qu'il vous accable d'outrages,- n'est-ce pas ainsi, en effet,
qu'on peut, ce me semble, qualifier sa conduite ? - tandis que, pour tromper
les autres, au moins il leur fait quelque bien ? Vous, il vous menace de suite.
Voyez les Thessaliens : c'est en les comblant de faveurs qu'il les a amenés
à l'esclavage, où il les tient maintenant. Et les malheureux
Olynthiens, ne leur a-t-il pas donné d'abord, pour les abuser, et Potidée,
et bien d'autres places ? Voici de même que, aujourd'hui, il a séduit
les Thébains, en leur livrant la Béotie, et les débarrassant
d'une guerre longue et difficile(12).
Ainsi, c'est après avoir recueilli des avantages que chacun de ces
peuples a subi le sort que tous connaissent, ou le subiront à la première
occasion. Quant à vous, je ne parle pas de tout ce que vous aviez perdu
auparavant ; mais, en pleine paix, avez-vous été assez dupés
et spoliés ! La Phocide, les Thermopyles, les places de Thrace, Dorisque,
Serrhie, le royaume de Chersoblepte, et, tout récemment encore, la
ville de Cardie(13), voilà ce qu'il
a conquis, et il en convient. Pourquoi se conduit-il d'une certaine façon
avec les autres, et différemment avec vous ? C'est que votre cité
est la seule, entre toutes, où vos ennemis aient liberté de
prendre la parole, où les salariés de Philippe puissent impunément
élever la voix en sa faveur, alors même que l'on vous dépouille.
Il était périlleux de soutenir à Olynthe les intérêts
de Philippe, avant que la plupart des Olynthiens lui fussent devenus favorables,
à cause du don de Potidée ; périlleux aussi en Thessalie,
alors que le peuple thessalien n'était pas encore reconnaissant à
Philippe d'avoir chassé les tyrans, et de lui avoir rendu un siège
au conseil amphictyonique ; périlleux, de même, chez les Thébains,
avant qu'il eût replacé la Béotie sous leur autorité
et abattu la Phocide. Mais, à Athènes, alors que non seulement
Philippe nous a enlevé Amphipolis et Gardie, mais qu'il fait de l'Eubée
une citadelle dressée contre l'Attique, et en ce moment même
marche contre Byzance, on peut, en toute sécurité, parler en
faveur de Philippe ! Et parmi ces traîtres, plusieurs, de misérables,
sont devenus riches ; d'autres étaient inconnus et sans gloire ; les
voici glorieux et illustres ! Vous, au contraire, vous avez perdu gloire et
richesse ! La vraie richesse d'une cité, en effet, ce sont ses alliés
; c'est la confiance, la sympathie qu'elle inspire : or vous n'avez plus rien
de tout cela. Et parce que vous avez négligé ces biens, et les
avez laissé passer en d'autres mains, votre ennemi est heureux, puissant,
redoutable à tous les Grecs et aux barbares ; vous, au contraire, vous
êtes, isolés, abaissés ; vous n'avez plus qu'à
vous glorifier de l'abondance des denrées sur vos marchés ;
mais, quant aux préparatifs qu'exigerait le salut de l'État,
ils sont nuls, et votre dénuement est la risée de tous.
Je vois que quelques-uns de vos orateurs sont loin de suivre, dans leur propre
conduite, les conseils qu'ils vous donnent. Vous devez, disent-ils, rester
calmes, quelque injustice que vous subissiez, et ils ne peuvent eux-mêmes
se tenir en repos à Athènes, alors qu'on ne leur fait aucun
tort. Voici que tel ou tel monte à la tribune pour me dire : "
Vous refusez de présenter un décret, de vous engager, vous êtes
timide et mou " ! C'est-à-dire que je ne suis ni téméraire,
ni vantard, ni impudent, et puissé-je ne le devenir jamais ! Mais je
me crois plus courageux que vos politiques éhontés. Quiconque,
oublieux des intérêts de la ville, ne songe qu'à juger,
confisquer, donner au peuple, accuser, ne prouve pas par là sa bravoure
; il a pour garant de sa sûreté son habileté à
ne parler et à n'agir qu'en vue de vous plaire ; il est impunément
audacieux ; mais celui qui, ne songeant qu'au bien public, contrarie vos désirs,
qui ne parle pas pour vous plaire, et ne veut que le mieux, celui qui suit
une voie politique, où la fortune triomphe plus souvent que le calcul,
et accepte d'être responsable de l'une comme de l'autre, celui-là
est un citoyen brave et utile ; et non ces gens qui, à votre faveur
éphémère, sacrifient les intérêts vitaux
d'Athènes. Ceux-là, je suis loin de leur porter envie et de
les regarder comme mes citoyens qui servent dignement leur patrie ; et si
l'on me demandait : " Mais, enfin, en quoi avez-vous été
utile à Athènes ? " - je pourrais citer que j'ai été,
à plusieurs reprises, triérarque, chorège, que j'ai contribué
de mes deniers, payé la rançon de prisonniers, accompli tels
ou tels actes d'humanité ; eh bien de tout cela je me tairais, et je
dirais simplement : " J'ai servi ma patrie, en suivant une route opposée
à celle de ces gens-là ; j'aurais pu, en les imitant, accuser,
flagorner, confisquer, faire ce qu'ils font ; mais je n'ai jamais accepté
aucun de ces rôles, jamais je n'ai cédé à l'amour
du gain ou à l'ambition, je persiste à tenir un langage qui
m'abaisse dans votre opinion, mais qui vous élèverait, si vous
suiviez mes conseils. " Je crois pouvoir parler ainsi sans qu'on m'accuse
d'orgueil. Je crois que je ne ferais pas l'oeuvre d'un citoyen au coeur droit,
si je suivais une politique qui m'élèverait de suite au premier
rang, mais vous abaisserait au dernier. Il faut que la cité grandisse
par les actes des bons citoyens, et que tous conseillent ce qui est le meilleur,
et non ce qui est le plus facile. Notre nature ne nous portera que trop d'elle-même
de ce dernier côté : les sages leçons du bon citoyen doivent
nous entraîner vers l'autre.
On m'a objecté que, sans doute, je donne toujours les meilleurs conseils,
mais que je m'en tiens à des discours, et qu'Athènes a besoin
d'actes, de faits accomplis. Mon sentiment, à cet égard, je
vais vous le dire franchement. Je crois que la tâche du conseiller est
uniquement de donner des avis salutaires ; il me semble facile de montrer
que tel est son rôle. Vous vous rappelez le discours où l'illustre
Timothée vous exhortait à secourir et à sauver les Eubéens(14),
alors que les Thébains cherchaient à les asservir. Voici, à
peu près, comment il s'exprimait. " Eh quoi ! disait-il, les Thébains
sont en Eubée, et vous délibérez sur la conduite que
vous devez tenir ! N'allez-vous pas au plus vite, Athéniens, couvrir
la mer de vos galères levez-vous, courez au Pirée, tirez vos
vaisseaux du rivage ! " - Voilà ce que dit Timothée, et
voilà ce que vous avez fait ; orateur et peuple associés ont
assuré le succès. Si Timothée avait parfaitement parlé,
comme il l'a fait, mais que vous, endormis dans l'indolence, n'eussiez pas
suivi ses conseils, Athènes n'eût pas obtenu alors un si heureux
succès ; c'eût été impossible. De même aujourd'hui,
pour ce qui fait le sujet de ce discours, attendez des actes de vous seuls,
et ne demandez à l'orateur que d'employer les ressources de son art
à vous proposer les meilleures mesures.
En résumé, avant de descendre de la tribune, je déclare
que vous devez contribuer de vos deniers, maintenir l'armée qui existe
en Thrace, en y corrigeant les abus, mais en vous gardant de tout détruire,
pour quelques détails à critiquer. Vous devez envoyer de tous
côtés des députés, avec mission d'instruire, d'encourager,
d'agir. Par-dessus tout, les politiques, vendus à Philippe, doivent
être châtiés, et poursuivis sans relâche de votre
haine, afin qu'on reconnaisse que les hommes sages et intègres sont
aussi ceux qui ont pris le parti le plus utile pour les autres et pour eux-mêmes.
Si vous suivez cette ligne de conduite, et cessez de tout négliger,
peut-être, oui peut-être, ne sera-t-il pas encore trop tard pour
que vos affaires s'améliorent. Mais si vous persistez dans votre inaction,
bornant votre ardeur à des cris et à des applaudissements, et
vous dérobant, dès qu'il faut agir, je ne sache pas qu'aucun
discours, sans que vous fassiez votre devoir, puisse sauver la ville.