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N'ayez par peur des caméras CCD
La révolution digitale (I) Les amateurs sont quelquefois réticents à utiliser les nouvelles technologies en raison d'un manque d'information ou d'une complexité apparente. Pourtant depuis des années bon nombre d'amateurs utilisent des ordinateurs et des appareils électroniques pour développer leur hobby. De nos jours les caméras CCD sont à un prix abordable à l'exception de quelques modèles haut de gamme, elles sont proposées dans différentes définitions (nombre de pixels contenus dans l'image), en noir et blanc et en couleurs, avec plus ou moins de fonctions incorporées. Mais avant d'investir dans une caméra CCD, il faut connaître ses performances, la comparer avec ses concurrentes, apprendre à travailler avec une caméra CCD et accessoirement avec quel logiciel de traitement d'image. Nous allons répondre à toutes ces questions et à bien d'autres. Dans un marché en constante évolution, nous allons passer en revue les thèmes suivants : - L'Histoire des caméras CCD amateurs, leur spécifications et performances (cette page ci) - Les webcams et autres caméras vidéos - Le temps d'intégration et les problèmes habituels - La calibration ou prétraitement d'image This document is available in English Histoire d'un succès mérité Invention du capteur CCD La caméra CCD (charge-coupled device ou dispositif à couplage de charge) fut mise au point en 1969 dans les Bell Labs Electronics Technology à Murray Hill, dans le New Jersey (USA). Le 17 octobre de cette année là, Willard Boyle et George Smith réussirent à concevoir un système mémoire analogique vers bulle magnétique en utilisant la technologie des semi-conducteurs. Lors d'une réunion, les deux ingénieurs expliquèrent à Jack Morton, vice-président de l'entreprise la structure de base du CCD, les principes de fonctionnement et quelques idées préliminaires concernant les applications, notamment en imagerie. Peu après, en avril 1972 ils publièrent un article consacré aux applications possibles de leur invention dans le "Bell System Technical Journal". Pour cette invention, ils reçurent le prix Nobel de Physique en 2009. Ensuite, Michael F. Tompsett et son équipe, notamment Ed Zimany et Carlo Sequin des Bell Labs développèrent spécifiquement ce système pour les applications d'imagerie. En 1972, Tompsett proposa une modification de la conception originale afin que le CCD puisse lire une image et la stocker dans une autre partie de l'appareil, tandis que l'image suivante était enregistrée sur la surface du silicium. Ce saut intuitif lui permit, ainsi qu'à son équipe, de produire les premiers imageurs CCD et la première caméra couleur à semi-conducteurs (cf. l'article "All-Solid-State Color TV Camera, the First, Is Built Experimentally" publié dans la revue "Electronic Design", Vol. 20 en 1972. Première caméra CCD amateur Quand fut commercialisée la première caméra CCD destinée aux astrophotographes amateurs ? En excluant les APN également équipés de capteur CCD, c'est en 1988 que SBIG, racheté par Diffraction Limited en 2014, proposa la première caméra CCD ST-1 "Star Tracker", une caméra de guidage qui fut remplacée en 1989 par la célèbre ST-4 munie d'un capteur Texas Instruments TC-211. Dédiée à l'auto-guidage, cette caméra disposait d'un convertisseur A/D de 8 bits permettant 256 nuances de gris, pesait 200 g et était livrée avec un contrôleur de 900 g mesurant 15x23x5 cm, un oculaire IFocus parfocal, un réduceur focal, des adaptateurs et les câbles de connexion à l'ordinateur et de l'ordinateur à la monture de l'instrument. Elle était proposée à 995$ soit 1555$ actualisés en 2016. La ST-4 était suffisamment sensible pour suivre une étoile de 8e magnitude au foyer d'une lunette de 60 mm de diamètre ou de 12e magnitude au foyer d'un instrument de 200 mm de diamètre. Les avantages de la ST-4 étaient déjà nombreux. Elle était refroidie environ 30° en dessous de la température ambiante, disposait d'une fonction anti-blooming, elle était sensible de 400 à 900 nm et surtout elle pouvait transmettre l'image oculaire par liaison série à l'écran d'un ordinateur afin de contrôler le cadrage, la mise au point et la photographie au format 8 bits. Un logiciel pour PC ou McIntosh assurait également les fonctions de base de traitement d'image. SBIG arrêta la production de ce modèle en 2001 au profit de nouveaux modèles plus performants.
Ensuite, en 1991 Spectra Source Instruments commercialisa la Lynxx PC Plus qui était refroidie jusque -30°C mais pas thermorégulée si bien que le courant d'obscurité variait en fonction de la température extérieure. Elle offrait une conversion A/D sur 12 bits soit 496 niveaux de gris et était équipée d'un obturateur électro-mécanique. Un adaptateur 31.75/50.8 mm, le câble pour l'ordinateur et un logiciel de traitement d'image et d'analyse photométrique (précision de 0.036 magnitude) étaient également fournis. La Lynxx PC Plus était proposée à 1500$. L'entreprise n'est plus active depuis 2005. Puis il faudra attendre 1994 pour que Meade commercialise la caméra CCD Pictor 201 de guidage rapidement upgradée en 201XT (Extended performance) mais n'offrant pas la possibilité de visualiser l'image. Elle était complétée par la caméra CCD Pictor 416 également rapidement upgradée en 416XT, un imageur 16 bits équipé du nouveau capteur CCD KAF-0400 de Kodak pourvu de fonctions supplémentaires. Cette caméra était refroidi 40° en dessous de la température ambiante. Livrée avec un logiciel de traitement d'image, un oculaire, un réducteur focal et un adaptateur oculaire, elle pouvait directement créer des images RGB à partir d'images individuelles N/B enregistrées au moyen d'une roue à filtres. La Pictor 416XT était proposée à 1695$. Aujourd'hui la production de la série Pictor est arrêtée au profit de modèles plus performants et seul le logiciel PictorView est encore disponible. Grâce à cette invention géniale, les astrophotographes amateurs ont pris l'habitude d'utiliser ces caméras numériques pour enregistrer la faible lumière des astres. Caractéristiques des caméras CCD L'une des nombreuses raisons de cet engouement est la miniaturisation des composants électroniques. La seconde est la définition des chips CCD qui double tous les 2 ans en suivant la loi de Moore. Enfin, parce qu'au siècle de l'Information, cet appareil numérique peut-être contrôlé par ordinateur. Comme les APN, les caméras CCD sont des appareils sensibles à la lumière et sont capables de télécharger les images dans un ordinateur en vue de les traiter (guidage ou traitement d'image).
A quoi ressemble une caméra CCD ? Le capteur d'une caméra CCD ressemble à une petite plaque solaire dont la surface photosensible couvre souvent moins de 1 cm2. Le tout est encapsulée dans un circuit électronique et présente des "pattes" comme un processeur. La carte est fixée dans un boîtier équipé de plusieurs entrées-sorties pour le système de refroidissement, l'oculaire, la roue à filtres, la connexion vers l'ordinateur et son alimentation. Ainsi que nous l'avons expliqué à propos des APN, le chip d'une caméra CCD est constitué de lignes et de colonnes de cellules photosensibles ou photosites que l'on appelle communément des pixels (de l'anglais "picture elements", éléments d'image) bien que ce terme soit trompeur car il caractérise en fait les constituants de l'image résultante. Nous continuerons toutefois à l'utiliser car il est entré dans le langage courant. Comme tous les accessoires électroniques high-tech, les capteurs CCD utilisent le vocabulaire de la physique. C'est pourquoi on ne s'étonnera pas que même un débutant en cette matière emprunte son vocabulaire à la physique quantique et à l'électronique pour expliquer ce qu'il fait. A l'instar de la radioastronomie, "le temps d'intégration" signifie "exposition", "courant d'obscurité" signifie "bruit", "signal parasite" ou "électron", "blooming" signifie "surexposé", "saturé", "binning" signifie "combiner les pixels", etc. Mais ne vous inquiétez pas, après une heure de lecture vous serez prêt à entrer dans ce monde passionnant. Vu leur dimension et leur poids, les caméras CCD supportent difficilement les petites installations légères à quelques centaines d'euros dont le poids excède rarement 1 kg; la caméra et ses accessoires (Barlow, adapteurs et l'éventuelle roue à filtres) sont plus lourdes que toute l'installation ! En revanche, on peut sans problème les monter sur de petits instruments de 70 à 127 mm d'ouverture à condition qu'ils soient soutenus par une monture stable et équipés d'un adaptateur photographique approprié. Les performances des CCD Les caméras CCD présentent une grande efficacité quantique; jusqu'à 82% des photons frappant le détecteur sont enregistrés (par exemple la KAF-3200ME). Elles ont également une excellente linéarité (le signal de sortie est presque proportionnel au nombre de photons incidents), sans échec à la loi de réciprocité durant les longues expositions comme leurs homologues argentiques quand on essaye de photographie les objets du ciel profond. Même une émulsion aussi performante que l'ancien Kodak TP2415 hypersensibilisé ne peut se mesurer face au temps de réponse et à la résolution d'un détecteur CCD. En effet, quand on apprend qu'avec une caméra CCD on peut obtenir en 2 minutes d'exposition ce qu'on aurait péniblement photographié sur film argentique en une demi-heure, on réalise vite l'avantage d'utiliser une caméra digitale. La technologie CCD est une véritable révolution qui a trouvé de nombreuses applications. En astrophotographie, cette remarquable technologie permet d'atteindre la magnitude 15 en une seconde d'exposition et la magnitude 19 en l'espace d'une minute au foyer d'un télescope de 200 mm f/10 ! Ces caméras CCD présentent une sensibilité équivalente à celle d'un film de plus de 20000 à 100000 ISO, le grain en moins (ou presque) ! En résumé, un capteur CCD est environ 20000 fois plus sensible qu'une émulsion argentique !
Les performances des caméras CCD diffèrent également les unes des autres par différents aspects. Le premier est le nombre de pixels que contient le chip, le produit du nombre de lignes par le nombre de colonnes; on parle de 1 à ~10 millions de pixels pour un modèle amateur à plus de 100 millions de pixels pour une caméra CCD professionnelle. Le second aspect est la taille physique de chaque pixel (d'ordinaire entre 9 et 24 microns) et s'ils sont carrés ou rectangulaires. Ensuite, il y a la profondeur des pixels; il s'agit de la quantité de valeurs binaires (généralement de 10 à 16 bits) que l'on peut stocker pour coder la brillance ou la couleur d'un pixel. Un autre aspect important est la sensibilité spectrale du chip. Enfin, certains caméras CCD sont dédiées au guidage d'autres à l'imagerie ou rassemblent les deux fonctions grâce à différentes techniques jusqu'à placer dans certains modèles deux capteurs différents dans le même boîtier. Certaines caméras CCD comprennent également des dispositifs ou fonctions supplémentaires : un système de refroidissement régulé, anti-buée, des dispositifs pour assurer le guidage automatique combiné à l'imageur, les longs temps d'intégration, l'anti-blooming (la saturation des pixels) ou la roue à filtres. Toutes ces options très utiles augmentent d'autant le prix de la caméra CCD. Prenons par exemple la caméra CCD Apogée AP-9 l'une des plus performantes du marché à son époque. Elle utilise un chip KAF-1600 contenant 3072 colonnes de 2048 lignes, soit 6.3 millions de pixels. Chaque pixel mesure 9 microns (0.009 mm) de côté, ce qui fait que le chip entier mesure seulement 27.6x18.4 mm, soit la taille d'un sucre. 16 bits sont utilisés pour digitaliser la brillance de chaque pixel, offrant par conséquent 216 soit 65536 niveaux de gris. Comme il faut 2 octets (bytes) pour coder 16 bits, chaque image occupe environ 12 MB sur disque ! Malheureusement, certaines caméras CCD n'ont pas de mémoire (par ex. la SBIG STL-11000M) ce qui signifie qu'après la prise de vue il faut attendre 30 secondes en mode binning 1x1 pour transférer l'image vers l'ordinateur via le port USB 1.1 et on ne peut donc pas enregistrer une nouvelle image tant que la précédente n'est pas totalement téléchargée. En revanche, l'avantage de cette caméra est de disposer d'un capteur guide intégré qui évite d'utiliser une lunette de guidage. Comme tous les capteurs CCD, leur sensibilité spectrale est assez élevée dans le rouge et l'infrarouge jusqu'à environ 1100 nm mais chute du côté des courtes longueurs d'ondes pour devenir très faible dans le proche ultraviolet, en dessous de 350 nm, à l'image de la courbe de réponse des photoamplificateurs. A lire : High Performance Cooled CCD Camera Systems (PDF), Apogee, 2011
Notons qu'enregistrer une galaxie de 21e magnitude par seconde d'arc carré sur un chip dont les pixels ont une résolution d'une seconde d'arc équivaut à essayer d'enregistrer une étoile de 21e magnitude ! On comprendra dès lors pourquoi il faut trouver une corrélation optimale entre le rapport focal de l'instrument et la dimension des pixels pour obtenir la meilleure sensibilité. Un bon compromis donnera une image qui présente un rapport signal/bruit élevé et un contraste normal sans réduire trop fortement la résolution. Un truc : pour les étoiles, le niveau de détection optimal d'une CCD est atteint lorsque l'image de l'étoile mesure environ deux fois la dimension d'un pixel (environ 20-25 microns) mais des pixels trop larges augmenteront aussi le bruit électronique. D'un autre côté, de plus grands pixels donnent une meilleure sensibilité pour enregistrer les nébuleuses mais de plus petits permettent d'enregistrer les étoiles faibles... Enfin, pour photographier les galaxies, vous aurez besoin d'une grande ouverture et d'un rapport focal très court afin d'obtenir des images stellaires bien définies sur toute la surface du détecteur. Que faut-il donc choisir ? C'est ici que vous démontrerez votre savoir-faire ! Pour vous aider, on peut dire que la résolution doit être définie en fonction du sujet, en prenant pour référence le théorème de l'échantillonnage de Nyquist qui précise que la taille du pixel (photosite) devrait être égale à la moitié du diamètre du disque de diffraction d'Airy. Sachant cela, il est facile de calculer le rapport focal nécessaire pour atteindre cette résolution optimale : f = 2 x Taille du photosite / λ En complément deux autres formules sont utiles : Champ couvert par une caméra CCD (minutes d'arc) = 3438 x taille CCD (mm) / longueur focale (mm) Résolution d'une caméra CCD (en secondes d'arc par pixel) = 206 x taille des pixels (microns) / longueur focale (mm) En résumé, plus les pixels sont petites et plus large est le détecteur (le chip), au plus élevées seront la résolution potentielle et la couverture céleste (couverture plus petite par pixel mais plus grande couverture du chip). Notons que deux facteurs additionnels influencent la taille de l'image : - Le rapport d'ouverture f/ de l'instrument influence directement la taille du champ du capteur - Le "Binning mode" affecte directement la dimension effective des pixels qui double en mode binning 2x2. L'image est donc plus petite mais également plus brillante. Pour un pixel d'une taille de 10 microns et une sensibilité spectrale maximale à λ = 0.7 micron, nous obtenons un rapport focal d'environ f/29 en astrophotographie planétaire. Cela correspond à une résolution d'environ 0.25"/pixel (206 * Taille du pixel / longueur focale), une valeur que l'on rencontre rarement en imagerie planétaires ou la résolution est plus souvent voisine de 0.7"/pixel (pour un télescope de 300 mm d'ouverture à f/10, 0.7"/pixel correspond à une résolution d'environ 1.5 km sur la surface lunaire, suffisante pour photographier de petites formations comme les dômes ou les failles en haute résolution). Pour le ciel profond, en raison de la diminution du rapport d'ouverture d'un facteur 5 ou supérieur, la résolution dépasse rarement 2"/pixel. A télécharger : CCD Calculator v1.4 de Ron Wodaski (et v1.5) Calculatrice : CCD Suitability Calculator Field-of-View Simulator, Cloudmakers Field of view calculator, 12 Dimensional String
Adopter une résolution élevée pour photographier les galaxies donne certainement des images étonnantes mais cette configuration nécessite également des conditions d'observations rarement rencontrées, la résolution étant souvent supérieure à 1.5" durant les longues expositions. Sans oublier que le champ de vision est également réduit. Pour information, un chip CCD comme le KAF-0400 qui est utilisé avec la caméra SBIG ST-7 couvre un champ de 18.5'x12.4' au foyer d'un C8 de 200 mm f/6.3 (6 fois plus petit qu'une image au format 35 mm) et plusieurs chips sont même en dessous de ces valeurs. Heureusement, avec le temps, de plus grands capteurs ont été commercialisés jusqu'à dépasser le format 35 mm et offrant un champ dépassant 1° sur un C8 f/10. Le tableau suivant liste les spécifications de quelques caméras CCD. A lire : How to choose your first camera, SBIG Choosing the right camera, Starizona
Voici quelques exemples de couverture simulée. Ci-dessous à gauche, la taille de Jupiter (0.8 mm) telle qu'elle est enregistrée par un télescope de 200 mm f/10 muni d'une Barlow 2x comparée à la surface d'un film de 35 mm (fond gris). La petite fenêtre représente la taille de l'image sur un chip KAF-0400, la grande fenêtre celle d'un chip KAF-6300. A droite, la taille de la galaxie M51 (5.1 mm) telle qu'elle est enregistrée par un télescope de 200 mm f/10 muni d'un réducteur focal 0.63x comparée à la surface du format 35 mm (fond gris).
Bien sûr chacun aimerait disposer du capteur CCD le plus grand ayant les pixels les plus petits. Mais le prix de tels modèles reste disuasif pour la plupart des utilisateurs occasionnels (jusqu'à 6600 € en 2016 pour une Apogee Alta F16M couvrant 1.3°x1.3° sur un C8 f/10). C'est le prix d'un télescope catadioptrique de 300 mm ou d'un lunette apochromatique de qualité avec sa monture, et vous n'avez pas encore les accessoires ni l'ordinateur... Prochain chapitre Les webcams et autres caméras vidéos |