Contacter l'auteur / Contact the author

Recherche dans ce site / Search in this site

 

A la recherche de la première cellule vivante

Les cellules primitives ou protocellules seraient à l'image de ces vésicules dont la membrane extérieure est constituée d'une double couche de protéine. Ce type de cellule est capable de s'auto-assembler. En revanche, elle ne résiste pas aux rayonnements ionisants.

En quête de LUCA

Si la vie apparut sur Terre avec le succès que nous connaissons, celui qui a réalisé l'expérience n'a pas laissé d'instructions ni de recette à la postérité ! Bien que nous ayons bien compris et défini ce qui qualifie un organisme vivant - dans le sens anthropocentrique à défaut d'étendre cette définition en toute certitude à tout l'Univers - et connaissant a priori ses ingrédients, nous sommes toujours incapables de la reproduire artificiellement. Expérimentant à l'aveugle un scénario dont nous ignorons les règles, il est évident au vu des échecs successifs des laborantins que sur base de nos connaissances actuelles aucun chercheur en biologie ne pourra jamais élaborer un organisme complexe en laboratoire à partir de quelques réactions chimiques et d'ingrédients inertes mis en culture dans des conditions contrôlées.

Face à cet échec, nous devons réduire nos prétentions démagogiques à jouer au Créateur - pour autant qu'il existe - et nous limiter au domaine plus restreint de la création d'un organisme primitif autonome. 

Un organisme complexe voire même un organe comme un cerveau, un coeur ou un oeil s'est formé à partir d'un seul gamète ou oeuf fécondé. Si on essaye d'aborder globalement le sujet en se demandant comment un gamète pesant un microgramme peut donner naissance à un dinosaure pesant plus de 10 tonnes, on risque d'être ennivré par les grands nombres et perdu dans un abîme d'incompréhension sans plan d'orientation et de construction.

Si on comprend que l'ADN a codé un algorithme de croissance de l'organisme, il fait intervenir une série de règles et d'actions contenant des milliards d'instructions qui se déroulent dans le temps et dans l'espace d'une manière que nous ne comprenons pas encore vraiment. De toute évidence, aborder la question à partir de cette échelle n'est pas la bonne méthode.

Schéma d'une cellule eucaryote animale. Document LadyofHats.

Descendons de quelques facteurs dans la complexité. L'échelle cellulaire serait-elle plus simple ? Aujourd'hui, les cellules qui composent toute vie sur Terre sont regroupées en trois grands groupes : les bactéries, les archées et les eucaryotes. Les deux premiers comprennent les procaryotes, des cellules sans noyau. Les eucaryotes sont des cellules dotées d'un noyau. On les retrouve dans tous les organismes multicellulaires complexes, y compris les plantes et les animaux.

La cellule eucaryote la plus simple est un agencement de structures propres et de symbioses avec des organismes à l'origine "parasitaires" comme des bactéries et des virus à caractère ARN. L'ensemble de cette machinerie biologique est gérée par des instructions génomiques à l'efficacité redoutable. Rien que sa description est déjà un travail à temps plein et remplit des millliers de pages d'ouvrages de cytologie et de génétique. Par conséquent, même cette échelle du vivant ou du moins l'étude de ce type d'organisme est déjà trop complexe à comprendre pour saisir l'origine de la vie.

On peut alors descendre jusqu'à l'échelle moléculaire et étudier de quelle manière l'ordre émerge du chaos dans le monde de l'inerte et en particulier dans les molécules prébiotiques et autres molécules extraterrestres à la base de l'édifice du monde vivant. Malheureusement, les expériences de chimie prébiotique ont montré les limites de cette démarche et semblent indiquer qu'à cette échelle il n'est apparemment pas possible de créer de systèmes vivants qui exigent un niveau de complexité bien plus élevé. On en déduit que les ingrédients de notre recette doivent passer de l'inerte au vivant entre le niveau moléculaire et cellulaire. Par conséquent, les chercheurs sont repassés à l'échelle cellulaire la plus primitive où il semble possible d'entrevoir une voie vers l'assemblage de ce mystérieux puzzle qu'est la vie.

Ceci dit, cette quête reste difficile. La chaîne d'événements chimiques qui conduisit à l'origine de la vie sur Terre est probablement à jamais perdue dans la nuit des temps. Mais certains de nos premiers ancêtres tels que l'Ève microbienne dont descendent toutes les cellules modernes, ont laissé des traces dans les gènes qu'ils ont transmis à leurs descendants. Pour suivre ces gènes partagés, les généticiens ont étudié des millions de génomes de microbes modernes pour tenter d'y trouver de nouvelles informations sur la vie de notre dernier ancêtre universel commun, LUCA (Last Common Universal Ancestor), un acronyme inventé en 1997 par Patrick Forterre, chercheur en biologie à l'Institut Pasteur de Paris (lire aussi P.Forterre et al., 2005).

LUCA serait au moins 2 milliards d'années antérieur à LECA (Last Eukaryotic Common Ancestor), le dernier ancêtre commun des eucaryotes. LUCA serait une cellule autonome déjà très organisée à l'origine de tout le règne du vivant : les archées et les eubactéries (organismes procaryotes), les eucaryotes unicellulaires (protistes) et les eucaryotes pluricellulaires comprenant les champignons, les éponges, les plantes et les animaux et "vivait" il y a plus de 4 milliards d'années dans des conditions qui restent à déterminer. En effet, il y a les défenseurs des conditions extrêmes où on retrouve des formes de vie hyperthermophiles et ceux qui privilégient des conditions plus "supportables" à la Darwin, bien qu'à ce stade de l'évolution, ce qui est supportable soit très relatif.

Selon les biologistes évolutionnistes, LUCA partage son mode de vie avec deux groupes de microbes modernes : le clostridium, un genre de bactéries anaérobies, et les méthanogènes, un groupe d'archées consommant l'hydrogène. Ainsi, même si LUCA a disparu depuis longtemps, ses plus proches parents sont peut-être toujours parmi nous.

Dans ce contexte, on peut se demander si des unités plus simples comme les ancêtres des bactéries ou des champignons ne seraient pas à l'origine de la vie. Depuis plusieurs décennies des hordes de laboratins et de spécialistes en génétique, microbiologie, biologie moléculaire et biochimie parmi d'autres spécialités expérimentent et cherchent les traces de cette hypothétique LUCA. Les hypothèses sont nombreuses, quelquefois hardies.

Quel est l'état actuel de la recherche en ce domaine ? Ce sont ces développements récents que nous allons à présent décrire.

E.coli au secours des chercheurs

Pour comprendre la nature de LUCA, dans un article publié dans les "PNAS" en 2018, la microbiologiste Antonella Caforio de l'Université de Groningue et ses collègues ont expliqué comment ils sont parvenus à convertir la fameuse bactérie Escherichia coli en archéobactérie protégée par une membrane hybride hétérochirale qui comprend 30% de phospholipides mimant exactement celle des archées, ce qu'on appelle des lipides miroirs ou des stéréoisomères. Autrement dit, cet organisme OGM apporte la première preuve dans l'histoire de la microbiologie qu'il existe un lien génétique entre les deux domaines apparemment séparés des bactéries et des archées.

Membrane cellulaire constituée d'une bicouche de phospholipides, c'est-à-dire une matière grasse hydrophobe comprenant un acide phosphorique. La partie extérieure de la membrane est hydrophile, ce qui facilite les interactions à l'échelle atomique. Cette membrane fournit une barrière de protection contre le milieu extérieur, elle protège la cellule et les organites qu'elle contient qui peuvent se spécialiser, elle est souple et perméable à certaines substances. Document Wikimedia.

On déduit de cette expérience que LUCA présentait une membrane cellulaire faite d'une combinaison instable de lipides miroirs. Sous la pression de la sélection naturelle, cet organisme évolua, transformant sa membrane cellulaire et donna naissance aux archées et aux bactéries voici environ 3.5 milliards d'années.

Les chercheurs confirment que cette bactérie OGM s'est développée à un rythme normal et était stable. Ce résultat infirme donc l'hypothèse qu'une membrane cellulaire mixte est par nature instable et donc non viable. Au contraire, cette cellule hybride était étonnement robuste et prouve qu'une nouvelle forme de vie inattendue peur exister malgré toutes les théories catastrophiques qu'on imagine à leur sujet. C'est un point très positif pour la recherche des origines de la vie, y compris dans l'univers.

Les protéasomes, un héritage des procaryotes

Des chercheurs de l'University College de Londres (UCL) et de l'Université de Lancaster ont découvert que les cellules eucaryotes ont hérité du protéasome des cellules procaryotes afin d'assurer leur cycle cellulaire en toute sécurité. Les résultats de leur étude furent publiés dans la revue "Science" en 2020.

Tarrason Risa de l'UCL et ses collègues ont analysé les mécanismes de réplication de la cellule archéenne Sulfolobus acidocaldarius, une procaryote thermophile qui vit dans les sources chaudes (optimal entre 75 et 80°C) et acides (pH 2 à 3). On la trouve dans le Parc National de Yellowstone aux Etats-Unis, au Salvador, à la Dominique et en Italie. Cette archée possède un mécanisme de réplication homologue à celui des eucaryotes nommé ESCRT (Endosomal Sorting Complexes Required for Transport).

Structure d'un protéasome, un complexe enzymatique multiprotéique composé de plusieurs sous-unités mesurant 15 nm de longueur. Il existe chez les cellules eucaryotes, les archées et certaines bactéries.

Découvert au début des années 1960, les complexes ESCRT (ils comprenent 6 complexes enzymatiques et des dizaines de protéines) jouent un rôle central dans diverses activités cellulaires. Cette machinerie de transport vésiculaire intervient notamment dans le recyclage et la sécrétion de molécules de signalisation, la séparation des cellules filles lors de la division cellulaire (elles coupent des chaînes protéiques pour permettre leur duplication), la régulation autophagique de l'homéostasie cellulaire ou dans la transduction de stimuli par des récepteurs de facteurs de croissance.

Les chercheurs ont découvert que nos cellules eucaryotes ont hérité cette machinerie ESCRT des cellules procaryotes. C'est la première preuve concrète que nous descendons bien des procaryotes.

En étudiant la division cellulaire chez cette archée, Tarrason Risa et ses collègues ont identifié cette preuve dans un rôle du protéasome dans le déclenchement de la division cellulaire (cytokinèse) : dans le cytosol de chaque cellule, des ensembles d'enzymes forment de petites structures cylindiques creuses de quelque 15 nm appelées les protéasomes. Ils sont associés au réticulum endoplasmique et assurent le rôle de centre de recyclage des déchets cellulaires. Les protéasomes dégradent les protéines mal repliées ou défectueuses baignant dans la cellule, les découpent et recyclent leurs fragments (des peptides composés de 7 à 9 acides aminés) afin que la cellule puisse les réutiliser.

La découverte de leur rôle dans la division cellulaire est importante car les protéasomes des archées sont très semblables à ceux des eucaryotes. Cela ne peut avoir qu'une explication : nous en avons hérité pour développer notre propre système de réplication.

Selon les chercheurs, "Notre étude suggère que le rôle vital du protéasome dans le cycle cellulaire de toute vie eucaryote aujourd'hui a ses origines évolutives dans les archées."

Cette découverte apporte la preuve que les cellules eucaryotes seraient issues de la symbiose entre un hôte archéen probablement thermophile et une bactérie procaryote (une alphaprotéobactérie), donnant respectivement naissance au corps cellulaire et aux mitochondries.

Les choanoflagellés sur la piste de LUCA

Selon une étude publiée dans la revue "eLife" en 2021 par l'équipe de la biologiste évolutionnaire Nicole King qui dispose de son propre laboratoire de recherche à l'Université de Californie, à Berkeley (UCB), les animaux ont évolué à partir d'un ancêtre ressemblant aux choanoflagellés.

Les choanoflagellés sont des protistes, des organismes eucaryotes unicellulaires aquatiques découverts en 1867 par le naturaliste américain Henry James-Clark. Ils vivent dans les milieux saumâtres et d'eau douce de l'Arctique aux tropiques, occupant à la fois des zones pélagiques et benthiques. Cet organisme dispose d'un ADN comprenant environ 9200 gènes (contre ~26500 chez l'être humain). Il existe plus de 350 espèces dont Monosiga brevicollis et Salpingoeca rosetta qu'étudient King et ses collègues.

Les choanoflagellés ont un corps sphéroïdal mesurant entre 3 et 10 microns de diamètre (c'est au moins trois plus petit que la bactérie E.coli). Il est muni d'une couronne de microvilli ou tentacules grâce auxquelles ils capturent les bactéries dont ils se nourrissent. Sous certaines conditions ils présentent également un flagelle apical en forme de fouet qu'ils utilisent pour nager.

Le corps des choanoflagellés est généralement rigide, mais lorsqu'ils sont stressés, par exemple confinés ou piégés dans un espace restreint, ils changent de structure et se déplacent comme de la gelée, à l'image de la fameuse créature du film "The Blob" (1958). Sous cet aspect, les chercheurs ont observé la disparition de leur flagelle externe tandis que des parties de leur corps commencèrent à pousser, formant des bulles appelées "blebs" - une proéminence de la membrane plasmique - grâce auxquelles et ils ont pu se faufiler dans des espaces étroits, comme le font les animaux dépourvus de squelette.

A voir : Choanoflagellate colonies, bacterial signals and animal origins, N.King/UCB

The momentous transition to multicellular life may not have been so hard after all, Science

Animal Evolution Biology - Choanoflagellates, the ancestor of all animals

A gauche, des choanoflagellés. On distingue leur corps rigide (vert) contenant le noyau cellulaire (bleu), le flagelle (le trait vert) utilisé pour nager et se nourrir, entouré d'une couronne de microvilli ou tentacules (rouge) grâce auxquelles ils piègent les bactéries. A droite, aspect d'un choanoflagellé confiné (gauche) où on observe l'apparition d'un flagelle et d'un spécimen non confiné (droite). Les organismes sont placés sur la surface d'un gel d'agar à 1% dans de l'eau de mer artificielle, sous une couche d'huile anti-évaporation. Les images sont grossies environ 1000X. Documents Nicole King Lab/UCB et T.Brunet et al. (2021).

Du fait que les choanoflagellés sont des parents proches des animaux, cette découverte suggère que les mouvements complexes ont d'abord évolué chez l'ancêtre commun des deux groupes. Cela confirme également l'idée que les animaux ont évolué à partir d'un ancêtre qui ressemblait à des choanoflagellés. Selon King, "Le constat est si clair qu'on peut se demander pourquoi personne ne l'a vu auparavant."

Selon les auteurs, ces deux comportements - le mode flagellé et le mode bleb - rappellent ceux observés dans la vie animale aujourd'hui. Les animaux dépendent de deux types fondamentaux d'organisation des tissus. L'un est la structure plate des cellules épithéliales qui ont une orientation de haut en bas - comme la cellule d'un choanoflagellé nageur, qui a un haut et un bas distincts. L'autre forme une structure 3D et comprend davantage de cellules de forme libre qui peuvent ramper pendant leur développement, s'installant dans des endroits spécifiques pour devenir des organes.

Cette étude démontre que le choanoflagellé peut être des deux types, passant de sa cellule habituellement rigide à la cellule déformable en état de stress. Cette capacité à basculer dans les deux modes d'existence peut avoir été critique lorsque les premiers animaux ont commencé à explorer de nouveaux environnements.

Finalement, les organismes ont développé la capacité de former différents types de cellules en même temps dans différentes parties du corps. Cela ouvrit la voie à des organismes multicellulaires complexes, et finalement au règne des animaux pour aboutir à l'être humain.

Les chercheurs se sont également demandés qui venait en premier : la capacité de se développer en un organisme possédant beaucoup de cellules, ou la capacité de produire différents types de cellules ? Selon King, cette flexibilité nouvellement acquise dans les choanoflagellés suggère "cette capacité d'alterner entre les états cellulaires antérieurs à la multicellularité."

En étudiant les choanoflagellés, les chercheurs espèrent en savoir plus sur l'organisme qui donna naissance aux choanoflagellés et aux animaux. Selon King, "Nous avons une vue beaucoup plus nuancée et détaillée du dernier ancêtre commun."

Les protocellules

Une équipe de chercheurs de l'Université de Zhejiang à Hangzhou, en Chine, suggéra en 2023 que les premières structures cellulaires sur Terre contenaient des antioxydants de manganèse résistant aux rayonnements ionisants, protégeant ainsi les premières cellules (cf. B.Tian et al., 2023).

Des études antérieures ont montré que les chaînes de résidus phosphates et d'ions manganèse protègent les molécules organiques du stress oxydatif provoqué par les rayonnements. Cela fut observé chez la bactérie Deinococcus radiodurans, qui résiste aux fortes doses de rayonnement gamma (cf. la faculté d'adaptation).

Les auteurs proposent deux modèles des premières cellules, appelées protocellules, qui sont en fait des coacervats - des gouttelettes liquides qui modélisent les protocellules : un modèle polyphosphate-manganèse et un modèle polyphosphate-peptide.

L'exposition à des niveaux élevés de rayonnement gamma a permis aux coacervats polyphosphate-manganèse de rester intacts tandis que les coacervats polyphosphate-peptide furent détruits.

Les auteurs pensent que cela pourrait donner un aperçu de la façon dont les protocellules se sont formées et ont pu survivre aux doses élevées de rayonnements régnant sur la Terre primitive. Ils suggèrent qu'un coacervat polyphosphate-manganèse aurait pu assurer une protection aux protéines et aux premières molécules d'ADN intégrés dans les premières protocellules.

Pendant un milliard d'années, ces protocellules auraient évolué vers les premières cyanobactéries et finalement vers les cellules eucaryotes.

LUCA serait un cellule anaérobie thermophile

Dans un article publié dans la revue "Nature" en 2016 (en PDF), le biologiste évolutionniste William F. Martin de l'Université Heinrich Heine en Allemagne et ses collègues ont étudié l'arbre phylogénique des premiers organismes et ont tenté de remonter jusqu'à LUCA.

Jusqu'à présent, les études génétiques ont révélé des indices intéressants sur LUCA. Les données suggèrent que, comme les cellules modernes, LUCA stockait des informations génétiques grâce à l'ADN. Il a également construit des protéines et utilisé l'adénosine triphosphate (ATP) pour assurer les échanges d'énergie. Mais il a été plus difficile pour les généticiens de connaître d'autres détails du mode de vie de LUCA. Il y a en effet une complication majeure : les microbes transmettent non seulement des gènes à leur progéniture, mais les échangent également avec leurs voisins par le biais du transfert horizontal de gènes. Il est donc difficile de déterminer si les gènes partagés par des microbes distincts reflètent une lignée partagée ou si certains étaient simplement plus doués pour diffuser leur matériel génétique à grande échelle. Et cela rend plus difficile de cerner le style de vie de LUCA.

A gauche, phylogénie des gènes de LUCA, l'ancêtre des bactéries et des archées. L'arbre présente la phylogénie du phylum pour un gène présent dans deux phyla archéens et bactériens et dans lesquels les deux domaines procaryotes sont monophylétiques (ils contiennent l'espèce souche dont descendent tous ses membres). En appliquant les critères (1), le gène devrait être présent dans au moins deux des plus hauts taxas bactériens et archéens et (2), l'arbre doit remonter jusqu'à la monophylie des bactéries et des archéens, les chercheurs ont identifié 355 gènes remontant jusqu'à LUCA. A droite, résumé des principales interactions de LUCA avec son environnement (gazeux et métaux lourds) déduites des données génomiques. LUCA possédait vraisemblablement un code génétique. La question de savoir quels gènes utilisait-il est plus difficile à résoudre. Consultez l'article académique pour plus de détails. Documents W.F.Martin et al. adaptés par l'auteur.

Pour s'en rapprocher, l'équipe de William Martin adopta une approche plus stricte pour identifier les gènes susceptibles d'être hérités. Plutôt que de rechercher des gènes partagés par une seule espèce de bactéries et d'archées, ils ont recherché ceux partagés par au moins deux espèces de bactéries et deux archées. Cela leur donna un premier décompte de quelque 6 millions de gènes regroupés en plus de 286000 familles de gènes apparentés.

Les chercheurs sont arrivés à la conclusion que parmi les quelque 6 millions de gènes stockés dans les bases de données concernant des milliers d'organismes, seuls 355 familles de gènes sont largement réparties dans tous les organismes modernes et pouvaient donc être retracées jusqu'à LUCA.

Comme le précisent les chercheurs, ces gènes ne sont pas dispersés au hasard dans les organismes modernes, mais se répartissent en groupes distincts qui reflètent le métabolisme probable de LUCA. En particulier, ils révèlent que LUCA était un organisme anaérobie qui se développait dans un environnement dépourvu d'oxygène dont la plupart des cellules ne peuvent se passer aujourd'hui.

 Des fumeurs noires ou évents volcaniques sous-marins autour desquels évoluent de nombreuses formes de vie. Document AF/Alamy.

Cela concorde avec ce que les scientifiques savent de la Terre d'il y a 3.8 milliards d'années, époque où elle subit un bombardement intensif tardif de météorites et de comètes qui perturba l'environnement terrestre, anéantissant potentiellement toute vie naissante. Selon certains auteurs, durant cette période les mers entrèrent périodiquement en ébullition et l'atmosphère manqua d'oxygène.

Mais rappelons que cette datation est basée sur un nombre limité de roches lunaires ramenées par les missions Apollo et fut remise en question, au point qu'on estime aujourd'hui que ce bombardement "tardif" se déroula beaucoup plus tôt que prévu. On y reviendra.

Plus étonnant, ces gènes correspondent à un organisme vivant dans des conditions spécifiques qu'on retrouve dans des environnements gazeux chargés en métaux lourds tels ceux existants aujourd'hui au fond des océans près des fumeurs noires comme celles présentées à droite visibles sur les dorsales de l'Atlantique ou du Pacifique. On y reviendra à propos de la faculté d'adaptation.

Les analyses génétiques montrent également que LUCA était presque certainement un organisme thermophile aimant la chaleur qui se nourrissait d'hydrogène gazeux (H2), comme d'autres l'ont proposé. Aujourd'hui, de nombreux microbes produisent de l'hydrogène. Mais LUCA devait se contenter d'une source géologique d'hydrogène, telle qu'une source hydrothermale, probablement sous-marine.

Les chercheurs ont également découvert que LUCA était déjà capable de réaliser la synthèse des protéines, une tâche complexe qui suppose que cet organisme était également capable de réaliser des tâches plus simples nécessaires à son métabolisme.

Reste à trouver la clé (un gène ou autre chose) qui permettrait d'insuffler la vie à LUCA. Cela signifie aussi que la vie n'est peut être pas apparue à l'endroit où LUCA existait, c'est-à-dire dans un endroit qui ressemble aux fonds marins.

Mais cette étude n'a pas permis de préciser à quelle époque vécut LUCA, une question cruciale à laquelle une autre équipe de chercheurs tenta de répondre.

LUCA serait un microbe termophile qui vécut il y a 4.2 milliards d'années

Dans une étude parue dans la revue "Nature Ecology & Evolution" en 2024, l'équipe d'Edmund R.R. Moddy, spécialiste en génomique au sein du Groupe Paléobiologie de l'Université de Bristol au Royaume-Uni, a comparé les génomes de 700 microbes modernes et recherché leurs points communs pour identifier les caractéristiques apparues en premier et déterminer à quel moment apparut LUCA. Pour y parvenir, l'équipe de Moddy développa une nouvelle méthode "améliorée" pour obtenir une prédiction plus précise de l'âge de LUCA.

L'approche la plus courante s'appuie sur les taux variables mais connus de mutations génétiques chez les espèces microbiennes, ainsi que sur le rythme des transferts de gènes entre elles, ce qui permet de créer une sorte d'horloge moléculaire. En construisant des arbres phylogéniques qui déterminent quels organismes ont probablement évolué à partir d'autres et en suivant les changements génétiques dans les gènes conservés, les chercheurs peuvent estimer approximativement le moment où deux branches voisines de l'arbre ont divergé, et ainsi déterminer l'âge de leur ancêtre commun. Les études précédentes dont celle de l'équipe de Martin publiée en 2016 précitée avaient adopté cette approche en s'appuyant sur le suivi des modifications apportées à des gènes uniques partagés par des descendants supposés de LUCA.

Moddy et ses collègues sont allés plus loin. Ils se sont concentrés sur cinq ensembles de gènes paralogues ou dupliqués, trouvés dans plusieurs bactéries et archées, suggérant que le doublement s'est produit avant la division de LUCA en ses descendants. Selon Moddy, savoir si une mutation se trouve dans les deux copies de ces gènes ou dans une seule copie permet de déterminer plus facilement le moment de leur duplication et donc l'âge des ancêtres communs.

Au dessus à gauche, une reconstruction de LUCA dans son contexte évolutif et écologique.

a, une représentation de LUCA basée sur la reconstruction du génome ancestral. On en déduit que les noms de gènes en noir étaient présents dans LUCA sous le seuil le plus strict (PP = 0.75) ; ceux en gris sont présents au seuil le moins strict (PP = 0.50).

b, LUCA dans le contexte de l'arbre phylogénique. Les branches de l'arbre de vie qui ont laissé des descendants échantillonnés aujourd'hui sont colorées en noir, celles qui n'ont laissé aucun descendant échantillonné sont en gris. LUCA aurait partagé la Terre primitive avec d'autres lignées (surlignées en bleu sarcelle) qui n'ont laissé aucun descendant parmi les organismes échantillonnée aujourd'hui. Cependant, ces lignées pourraient avoir laissé une trace dans les organismes modernes en transférant des gènes dans l'arbre phylogénique échantillonné (lignes rouges) avant leur extinction.

c, le métabolisme chimioautotrophique de LUCA reposait probablement sur les échanges gazeux avec l'environnement pour parvenir à la fixation du carbone organique (Corg) via l'acétogenèse et il se peut également qu'il ait inversé le métabolisme.

d, LUCA dans le contexte d'un écosystème précoce. Le CO2 et le H2 qui alimentaient le métabolisme plausiblement acétogène de LUCA pourraient provenir d'apports géochimiques et biotiques. La matière organique et l'acétate produits par LUCA auraient pu créer une niche pour d'autres métabolismes, y compris ceux qui recyclent le CO2 et le H2 (comme dans les sédiments modernes).

e, LUCA dans un contexte de système terrestre. Le LUCA acétogène aurait pu être un élément clé des écosystèmes (chimio)autotrophes de surface et profonds, alimentés par H2. Si des méthanogènes étaient également présents, l'hydrogène serait libéré sous forme de CH4 dans l'atmosphère, converti en H2 par photochimie et ainsi recyclé vers l'écosystème de surface, augmentant ainsi sa productivité. (Ferm. = fermentation).

En dessous, l'arbre phylogénique de LUCA. Les résultats suggèrent que LUCA vivait il y a environ 4.2 Ga (intervalle de confiance de 95% entre 4.09 et 4.33 Ga) dans le modèle à horloge relâchée ILN (orange) et de 4.18 à 4.33 Ga dans le modèle à horloge relâchée GBM (bleue). Les nœuds correspondant aux mêmes divergences d'espèces (c'est-à-dire les nœuds en miroir) ont les mêmes densités temporelles postérieures. Cette figure montre les densités temporelles postérieures correspondantes des nœuds en miroir pour les derniers ancêtres communs universels, archéens, bactériens et eucaryotes (respectivement LUCA, LACA, LBCA et LECA); le dernier ancêtre commun de la lignée mitochondriale (Mito-LECA) ; et le dernier ancêtre commun porteur de plaste (LPCA). Les étoiles violettes indiquent des nœuds calibrés avec des fossiles (Arc = Archées, Bac = Bactéries,; Euk = Eucarya. Documents E.Moddy et al. (2024).

Pour explorer le mode de vie de LUCA, comme le fit Martin et ses collègues, l'équipe de Moddy suivit 57 gènes "marqueurs" chez 350 bactéries et 350 espèces d'archées pour construire un arbre phylogénique. C'est une avancée par rapport à l'étude de l'équipe de Martin, qui avait suivi les gènes partagés par au moins deux ordres de bactéries et deux ordres d'archées. L'équipe de Moddy a ensuite suivi séparément les schémas évolutifs des gènes individuels et des familles de gènes de tous les gènes disponibles chez ces bactéries et archées cataloguées dans une base de données génomique couramment utilisée.

En comparant les histoires évolutives des gènes individuels avec celles des espèces, les chercheurs ont pu mieux déterminer quels gènes furent dupliqués, perdus ou subirent un transfert horizontal de gènes. De là, ils ont déduit ceux qui étaient présents chez LUCA.

Ce qui est intéressant et réconfortent les chercheurs dans le bien-fondé de leur méthode, est que les résultats de l'équipe de Martin et ceux de l'équipe de Moddy sont identiques à 8 ans d'intervalle. En effet, Martin et ses collègues utilisaient une approche connexe consistant à comparer les génomes microbiens connus pour fournir la preuve génétique la plus convaincante à ce jour que LUCA était probablement un anaérobie qui se développait dans un environnement dépourvu d'oxygène. De plus il devait être thermophile et se nourrissait d'hydrogène. Cette combinaison suggère qu'il aurait pu vivre à proximité de volcans sous-marins tels que les fumeurs noires, ce que confirma l'équipe de Moddy.

Les résultats de Moddy et ses collègues suggèrent que LUCA se nourrissait d'un régime composé de dioxyde de carbone (CO2) et d'hydrogène moléculaire (H2), comme l'avait découvert Martin. Mais ils ont également trouvé des preuves que LUCA possédait un gène qui aurait pu le protéger de la lumière ultraviolette, ce qui suggère que le microbe aurait pu vivre dans les eaux de surface, où il aurait pu capter ces gaz de l'atmosphère, plutôt que dans les évents des profondeurs sous-marines. Comme Martin, ils ont repéré la signature d'une enzyme appelée gyrase inverse que l'on trouve couramment chez les thermophiles, ce qui, selon eux, signifie que LUCA aurait également pu prospérer autour de ces évents.

Cette convergence des résultats est significative car depuis cette étude de 2016, de nombreux autres microbes furent entièrement séquencés et les outils de génomie comparative se sont perfectionnés, ils sont devenus plus sophistiqués et plus efficaces.

L'équipe de Moddy a notamment découvert quelque chose de nouveau : LUCA possédait probablement 19 gènes CRISPR-Cas9, un appareillage sur lequel les bactéries modernes s'appuient pour découper le matériel génétique des envahisseurs viraux (et qui a inspiré l'outil d'édition génomique polyvalent utilisé de nos jours dans de nombreux domaines). Selon Moddy, "LUCA disposait de ce système immunitaire précoce pour éviter les virus."

L'outil CRISPR-Cas9 étant plutôt sophistiqué, pour les chercheurs cela signifie qu'en seulement quelques centaines de millions d'années, les premières formes de vie ont réussi à faire évoluer des microbes complexes dont les interactions se sont rapidement installées dans l'échafaudage d'un écosystème simple, un exploit que les études actuelles tentant de décrire le LUCA ne peuvent pas encore expliquer.

En résumé, bien que cette analyse ne révèle pas comment la vie est apparue, les résultats de cette étude suggèrent que LUCA serait un microbe qui vivait il y a 4.2 milliards d'années, quelques centaines de millions d'années seulement après la formation de la Terre, qu'il possédait un génome assez volumineux codant pour quelque 2600 protéines, qu'il bénéficiait d'un régime alimentaire composé d'hydrogène gazeux et de dioxyde de carbone et abritait un système immunitaire rudimentaire pour combattre les envahisseurs viraux. Il s'agit donc d'un organisme cellulaire complexe, quelque peu similaire aux microbes modernes.

Critique de l'analyse

Selon Philip Donoghue de l'Université de Bristol et co-auteur de cette étude, cette date antérieure est en partie due à la méthode utilisée par l'équipe. C'est aussi parce que contrairement à d'autres, les chercheurs ne pensent pas que LUCA n'aurait pu exister qu'après le dernier bombardement intensif tardif précité.

Mais Donoghue reste prudent et relativise cette découverte : "Ce que nous avons essayé de faire, c'est de rassembler des personnes représentatives de différentes disciplines pour parvenir à une compréhension globale de l'époque à laquelle vécut LUCA et de sa biologie. Nous avons abouti à un organisme beaucoup plus sophistiqué que ce que beaucoup de gens prétendaient dans le passé. [Que LUCA aurait existé il y a ~4.2 milliards d'années] suggère que l'évolution de la vie pourrait être plus simple que ce que les gens pensaient auparavant, car elle s'est manifestée très tôt. [...] Je pense qu'il est extrêmement naïf de penser que LUCA aurait existé seul. [...] Tout est presque certainement faux. Ce que nous essayons de faire, c'est de repousser les limites et de créer le premier type de tentative d'intégration de toutes les preuves pertinentes. Ce ne sera pas le dernier mot. Ce ne sera même pas notre dernier mot sur ce sujet, mais nous pensons que c'est un bon début."

Selon le biologiste évolutionniste Greg Fournier qui dispose de son propre laboratoire de Géobiologie au MIT et qui n'a pas participé à cette étude, "Je trouve [cette analyse] convaincante d'un point de vue évolutionniste. LUCA n'est pas le début de l'histoire de la vie, mais simplement le dernier état de l'ancêtre commun sur lequel nous pouvons travailler à rebours en utilisant les données du génome."

Patrick Forterre précité pense également que les organismes ancestraux ne vivaient pas isolés. Mais il est plus critique que Donoghue et Fournier à propos des conclusions de l'étude de l'équipe de Moddy : "L'affirmation selon laquelle LUCA vivait avant le dernier bombardement intense il y a 3.9 milliards d'années est totalement irréaliste pour moi. Je suis tout à fait sûr que leur stratégie visant à déterminer l'âge et le contenu génétique de LUCA présente certaines failles." Le dire est une chose, reste à le prouver. Affaire à suivre.

La faculté d'auto-organisation des cellules

Plutôt que de chercher à comprendre les mécanismes cellulaires visiblement encore trop complexes, des chercheurs eurent des prétentions beaucoup plus modestes et se sont attachés à comprendre quelles étaient les règles minimales requises pour programmer les cellules afin qu'elles s'auto-assemblent en structures multicellulaires. Et cette approche du simple du complexe a fini par payer.

Avant LUCA qui est apparemment un organisme déjà complexe, il devait exister une cellule primitive plus simple mais viable, une sorte de coacervat ou de vésicule dont la membrane extérieure était constituée au moins d'un bicouche hydrophobe mais perméable. Cet ancêtre de LUCA n'a pas encore été découvert. Mais peut-on créer en laboratoire une cellule similaire à partir d'éléments simples ? Peut-elle ensuite s'auto-assembler ou se dupliquer d'elle-même, une première étape vers la constitution d'un organisme vivant autonome ? C'est à ces questions qu'une équipe de chercheurs a répondu par l'affirmative.

Dans une étude publiée dans la revue "Science" en 2018, Wendell Lim du Département de Pharmacologie cellulaire et moléculaire de l'Université de Californie à San Francisco (UCSF) et ses collègues ont démontré comment ils sont parvenus à programmer des groupes de cellules individuelles afin qu'elles s'auto-organisent en structures multicouches isolées du monde extérieur rappelant les organismes simples ou les premières étapes du développement embryonnaire (cf. le stade morula).

Nous savons que le rôle de l'ADN est essentiel pour les cellules autonomes. Au cours du développement d'un organisme, à mesure que les structures biologiques se forment, les cellules communiquent entre elles et prennent des décisions collectives coordonnées de manière à s'organiser structurellement.

Si actuellement on ne peut pas encore reproduire biologiquement ce mécanisme, on peut l'imiter. Dans le laboratoire de Lim à l'UCSF, le chercheur postdoctorant Satoshi Toda utilisa une molécule synthétique dite de signalisation appelée "synNotch" (signifiant "récepteur synthétique Notch") spécialement développée par les membres du laboratoire afin que les cellules répondent à des signaux spécifiques de communication entre cellules grâce à des programmes génétiques créés sur mesure. Concrètement, en utilisant synNotch, les chercheurs ont conçu des cellules capables de répondre à des signaux spécifiques provenant de cellules voisines en produisant des molécules d'adhésion de type Velcro (des cadhérines) ainsi que des protéines marqueurs fluorescentes. Le but était de vérifier si les cellules individuelles étaient capables suite à un signal de changer de couleur et de s'accrocher ensemble.

Résultats de la programmation des cellules pour s'auto-assembler en structures complexes comprenant jusqu'à trois couches de couleurs différentes ou "polarisés". A partir de cellules isolées, l'assemblage coloré se réalise en 50 heures. Document Wendell Limet al./UCSF.

Dans l'expérience la plus simple, Lim et ses collègues ont programmé deux groupes de cellules afn qu'elles s'auto-organisent en une sphère dont la membrane était composée d'un bicouche. Ils ont commencé avec un groupe de cellules bleues exprimant sur leur surface une protéine de signalement et un second groupe de cellules incolores arborant un récepteur synNotch personnalisé programmé pour détecter cette protéine de signalement. Lorsque les cellules sont isolées les unes des autres, ces populations ne réagissent pas, mais lorsque les deux groupes sont mélangés, les cellules bleues activent les récepteurs synNotch sur les cellules incolores dans lesquelles elles déclenchent des cadhérines collantes et une protéine marqueur verte appelée GFP. Résultat, de manière toute à fait étonnante, les cellules incolores ont rapidement viré au vert et se sont regroupées, formant un noyau central entouré par une couche externe composée des cellules bleues partenaires.

Dans une seconde expérience, les chercheurs ont réussi à programmer des groupes de cellules afin qu'elles s'auto-assemblent pour former des structures plus complexes comme des sphères à deux ou trois couches. Comme on le voit ci-dessus, leurs formes s'apparentent à celles des organismes simples ou à des tissus en développement. En 25 heures, les cellules formaient une sphère et au bout de 50 heures elles avaient acquis leur couleur définitive.

Enfin, dans une troisième expérience, les chercheurs ont conçu des cellules qui ont formé les prémices de la "polarité", par exemple les axes avant-arrière, gauche-droite, tête-queue distincts qui définissent les "plans corporels" de nombreux organismes multicellulaires. Pour se faire, ils ont exprimé différents types de molécules d'adhésion de la cadhérine forçant les cellules à se diviser en sections "tête" et "queue" ou pour produire quatre "bras" radiaux distincts.

L'équipe de Lim a également montré que ces sphéroïdes complexes s'auto-réparaient après que les chercheurs aient sectionné les sphéroïdes multicouches en deux avec une micro-guillotine développée par leurs collègues Lucas R. Blauch et Sindy Tang de l'Université de Stanford. Plus étonnant, les cellules restantes se reformèrent rapidement et se réorganisèrent d'elles-mêmes selon leur programme intrinsèque.

A l'avenir, l''équipe de Lim tentera de programmer des structures encore plus complexes comme des tissus cellulaires multicouches et envisage même de programmer des cellules utiles aux tissus de croissance pouvant par exemple servir à traiter des blessures ou des tranplants.

En revanche, il y a encore un pas de géant à franchir pour créer des organes par impression 3D comme certains y pensent. En effet, créer un tissu et un organe est aussi différent que d'imaginer fabriquer un humain en sachant où placer exactement chaque cellule à quel endroit du corps. Même la création d'un organe par impression 3D à partir d'une matrice de collagène sera difficile car il faut impérativement qu'il se raccorde correctement aux systèmes veineux et nerveux du corps ainsi qu'au reste du corps et sans rejet. Pour l'instant, la création d'un organisme complet comme celui de Liou dans le film "Le Sixième Sens" de Luc Besson n'est même pas du domaine de la science-fiction mais de l'utopie.

En attendant, Lim et son équipe guident les chercheurs sur la voie des thérapies cellulaires grâce aux cellules souches, une technique de génie génétique presque miraculeuse tellement les résultats sont positifs.

Que retenir de ces expériences ? En Science, le chercheur propose des hypothèses, pose des thèses et essaye de les démontrer. Si cela fonctionne et que l'hypothèse est confirmée, il progresse. Si cela ne fonctionne pas, il progresse malgré tout car c'est un cas qu'il peut éliminer. Il modifie alors la thèse soit change carrément d'hypothèse et réalise une nouvelle expérience pour essayer de la valider, et le cycle de recherche et d'expérimentation recommence.

Dans les expériences de programmation cellulaire, des cellules simples furent programmées pour se développer et former des structures plus complexes, comme un œuf fécondé se divise pour former différentes parties du corps et des tissus distincts comme la peau, les muscles, les nerfs et les os.

Seule différence et pas des moindres avec une cellule vivante, ces cellules sont programmées; elle ne vivent pas réellement comme nous avons défini un organisme vivant, ce qui limite a priori l'intérêt de ces expériences. Mais peut-être que derrière cet artifice se cache malgré tout le secret de la vie.

Qu'on y croit comme à la faculté de donner vie à des créatures artificielles ou qu'on estime que cela relève de l'utopie, celui qui ne tente rien n'a rien. Autrement dit, si on n'explore pas toutes les voies possibles, on ne risque pas non plus de trouver la solution et de comprendre le "miracle de la vie". Mais une chose est sûre, cette question métaphysique fait aujourd'hui partie de la Science et nous avons potentiellement les moyens de l'expliquer, c'est une question de temps.

Retour à la Biologie


Back to:

HOME

Copyright & FAQ