MOSCOU (Reuters) - Le groupe pétrolier russe Ioukos annonce qu'il fait l'objet pour 2004 d'un arriéré d'impôt de l'ordre de 3,5 milliards de dollars.
"Ioukos a reçu le 27 décembre 2005 un acte d'audit comportant un passif fiscal de 107 milliards de roubles, soit approximativement 3,5 milliards de dollars", déclare-t-il dans un communiqué.
Ioukos, jadis premier pétrolier de Russie, n'est plus que l'ombre de lui-même depuis la vente de sa principale filiale de production en 2004 pour régler déjà une ardoise fiscale se montant à quelque 27,5 milliards de dollars.
La nouvelle réclamation du fisc pourrait impliquer le démantèlement des actifs restants de Ioukos, cinq raffineries et les unités de production Smara et Tomsk.
Reuters via
Le Nouvel Obs, le 18.01.2006
Des notables de Nefteïougansk qui soutenaient le patron déchu ont été agressés ou tués.par Lorraine MILLOT
Le premier avait été tué par balle, le second blessé par balle, le troisième a été poignardé devant chez lui, le quatrième est mort dans un «accident domestique». Bilan provisoire : deux édiles tués et deux blessés. Dans la nuit du 6 au 7 janvier, le corps d'Igor Gribanov, maire en exercice de Nefteïougansk, l'ancienne «capitale» du groupe pétrolier Ioukos, a été retrouvé inanimé dans son appartement. Le parquet local a aussitôt conclu qu'il avait été asphyxié «à l'oxyde de carbone», expliquant qu'il aurait allumé une bouilloire qui aurait fait court-circuit et provoqué un début d'incendie.
Série noire. Vu l'histoire particulièrement tourmentée de cette capitale pétrolière, beaucoup à Nefteïougansk doutent pourtant qu'Igor Gribanov, édile posé et plutôt populaire, soit vraiment mort par inadvertance. «Ce n'est pas un accident», affirme péremptoire un journaliste local qui, très inquiet pour sa propre survie, demande à rester anonyme. «La phrase la plus répandue parmi les journalistes locaux aujourd'hui à Nefteïougansk, c'est "on veut vivre"», confie-t-il. «Dans cette ville, et surtout concernant le poste du maire, rien n'est dû au hasard», souligne encore le journaliste.
En septembre dernier, c'est un adjoint à la mairie de Nefteïougansk, chargé des affaires économiques et financières, Dmitri Egortsev, qui avait été poignardé, devant chez lui. En mai, c'est Serguei Bourov, député et directeur adjoint de Iouganskneftegaz, le grand groupe pétrolier qui fait vivre la ville, qui avait été blessé par balle à l'estomac. La série noire avait commencé en juin 1998 par l'assassinat par balle du maire Vladimir Petoukhov. A l'époque, Nefteïougansk était «la ville de Ioukos», alors propriétaire de Iouganskneftegaz. Après la disgrâce de Khodorkovski, le patron de Ioukos exproprié en décembre 2004 de son principal actif, Iouganskneftegaz, les autorités russes ont réussi à imposer pour version officielle que ce maire, Vladimir Petoukhov, aurait été tué par les services de sécurité de Ioukos, avec qui il aurait été en conflit.
Les attentats de l'an dernier et «l'accident» très suspect du dernier maire en fonction suggèrent pourtant que le climat politique et le climat des affaires ne se sont guère apaisés depuis que Ioukos a été chassé de la ville. Vendu lors d'enchères forcées en décembre 2004, Iouganskneftegaz est depuis intégré au groupe public Rosneft.
Edile scrupuleux. «Peut-être Rosneft est-il lié à la mort de notre dernier maire en date, Igor Gribanov, mais ce n'est pas obligé, suppute un autre journaliste local, sous couvert d'anonymat. Gribanov avait l'intention de se présenter aux élections pour se faire élire maire de plein droit (après l'expropriation de Ioukos, le maire en titre, Viktor Tkatchiov, a été accusé de corruption et relevé provisoirement de ses fonctions, ndlr) et il est possible que ce soit plutôt la bataille pour ce poste très lucratif qui l'ait tué.» Rencontré en mai dernier à la mairie de Nefteïougansk, Igor Gribanov faisait l'impression d'être un édile scrupuleux, qui se montrait soucieux d'établir de bonnes relations avec les nouveaux maîtres de sa ville, la compagnie Rosneft, mais qui n'hésitait pas non plus à faire l'éloge de Mikhaïl Khodorkovski. «C'était un type bien, il ne devrait pas être en prison», osait encore dire Igor Gribanov au sujet de l'oligarque tombé en disgrâce. Gribanov s'inquiétait aussi que les nouveaux maîtres de Iouganskneftegaz semblent moins disposés que Ioukos à financer les oeuvres sociales de la ville. Rien que pour ce courage, sa mort suspecte mériterait éclaircissement.
Libération, le 14.01.2006
DROITS DE L'HOMME. Les juges exigent que Moscou précise une demande d'entraide particulièrement confuse. Et rappellent que la Suisse ne saurait prêter la main à un procès discutable sur le plan de l'Etat de droit. Denis Masmejan
Jamais le Tribunal fédéral n'avait été aussi clair - et il n'aurait pas pu l'être davantage - quant aux doutes qu'il nourrit sur l'indépendance de la justice russe dans l'affaire du géant pétrolier Yukos et ses multiples ramifications. Une décision donc politiquement et diplomatiquement délicate, dont le Tribunal fédéral souligne lui-même ce qu'elle a «d'exceptionnel».
Dans un arrêt diffusé lundi, les juges ont annulé l'entraide judiciaire que le Ministère public fédéral était prêt à accorder à la Fédération de Russie dans l'enquête qu'elle continue à mener contre des responsables de la banque Menatep, qui contrôlait Yukos.
Ses principaux dirigeants, Mikhaïl Khodorkovski et Platon Lebedev, ont déjà été condamnés l'an dernier à neuf ans de prison pour des détournements et des délits fiscaux à grande échelle. Ils ont été expédiés depuis en Sibérie pour y purger leur peine. Mais les investigations se poursuivent contre d'autres prévenus.
C'est le deuxième échec que le Ministère public fédéral essuie dans l'affaire du pétrolier russe. Le premier, qui remonte à l'été 2004, avait été retentissant, le Tribunal fédéral ayant jugé que rien dans les informations fournies alors par les Russes ne justifiait le blocage par le Ministère public de la Confédération, sur des comptes en Suisse, de l'équivalent de 6,2 milliards de francs au total - un record absolu dans les annales. Ce désaveu du Ministère public n'était pas resté sans conséquences politiques, puisque c'est cette décision, en particulier, qui a poussé le parlement à maintenir une ultime voie de recours au Tribunal fédéral en matière d'entraide judiciaire, alors qu'en principe, les contestations seront à l'avenir réglées définitivement par le Tribunal pénal fédéral - de première instance - à Bellinzone.
Il appartient désormais aux services du procureur général de la Confédération de reprendre le dossier d'un œil cette fois plus critique. Les autorités suisses ne sauraient en particulier ignorer les sérieuses réserves émises par le Conseil de l'Europe sur la manière dont a été conduit le procès de Mikhaïl Khodorkovski, soulignent les juges. Une résolution de 2005 jugeait que les circonstances ayant entouré l'arrestation de Mikhaïl Khodorkovski n'étaient pas conformes aux principes d'un Etat de droit et suggéraient qu'elle était téléguidée par le Kremlin à des fins politiques.
Le contexte très particulier de l'affaire impose ainsi à la Suisse, estime le Tribunal fédéral, «de se départir exceptionnellement de sa réserve habituelle» dans l'examen des faits qui lui sont soumis aux fins d'obtenir son entraide judiciaire. D'ordinaire, les autorités helvétiques ne se prononcent pas sur la réalité des faits soupçonnés par des autorités judiciaires étrangères.
Le Ministère public de la Confédération jugeait pour sa part suffisantes les garanties fournies par Moscou, assurant que les personnes mises en cause en Russie seraient traitées conformément aux exigences de la Convention européenne des droits de l'homme. Mais ces assurances ont été fournies en juillet 2005, rétorque le Tribunal fédéral, alors que la condamnation de Khodorkovski et de Lebedev avait déjà été prononcée en première instance. «Les affirmations [de la Russie] quant au respect des droits garantis notamment par la Convention européenne des droits de l'homme, ne peuvent être prises qu'avec circonspection.»
A ces graves reproches visant une justice soupçonnée d'avoir agi aux ordres du Kremlin dans un but essentiellement politique, s'ajoutent d'autres manquements d'ordre plus techniques, selon le Tribunal fédéral. On comprend ainsi mal pourquoi la justice russe a besoin d'autant d'informations, portant sur des sommes considérables qui auraient transité par la Suisse, alors que les deux principaux prévenus de l'affaire Yukos ont déjà été condamnés. Les autorités russes sont donc priées de «préciser en quoi les renseignements demandés conservent leur actualité».
Par ailleurs, le Tribunal fédéral observe que, dans la demande des Russes, l'exposé des faits reprochés aux prévenus est à ce point confus qu'il n'est pas possible de déterminer avec suffisamment de précision la pertinence des informations réclamées par les Russes. Le procédé «s'apparente bien plutôt à une recherche indéterminée de moyens de preuve, pour laquelle la Suisse ne saurait accorder sa collaboration».
Pas sûr qu'au final, des informations pourront être transmises aux Russes dans ce dossier. Si le Ministère public, puis le Tribunal fédéral, devaient juger ultérieurement que, moyennant des précisions de la part de Moscou, l'entraide judiciaire pouvait être accordée, le Département fédéral de justice et police et, le cas échéant, le Conseil fédéral, auraient encore leur mot à dire. Une demande auprès de l'autorité politique a en effet été déposée mais ne devrait être traitée logiquement qu'après l'épuisement de toutes les voies judiciaires.
Arrêt 1A.215-217/2005, 4.1.06.
Le Temps, 9.01.2006