MOSCOU - L'ex-patron du groupe pétrolier russe Ioukos, Mikhaïl Khodorkovski, a été transféré de Sibérie à Moscou pour être jugé à partir du 3 mars dans le cadre d'une nouvelle affaire où il risque jusqu'à 22 ans et demi de prison supplémentaires, un nouveau procès politique, selon des experts.Condamné en 2005 à huit ans pour fraude fiscale et escroquerie à grande échelle, Mikhaïl Khodorkovski a été transféré mardi dans la prison moscovite Matrosskaïa Tichina pour être jugé cette fois-ci pour "détournement de biens", "détournement de fonds" et pour des "opérations financières illégales".
"Le détournement de biens et de fonds est passible d'au maximum 10 ans de prison et les opérations illégales de 15 ans, mais la peine cumulée ne devant pas dépasser 150% de cette dernière, il risque donc 22 ans et demi de prison supplémentaires", a indiqué à l'AFP le porte-parole de sa défense Maksim Dbar.
"Le tribunal pourrait toutefois confondre sa première peine de huit ans" avec l'éventuelle nouvelle condamnation, a-t-il ajouté.
"Théoriquement, cette accusation prévoit plus de 20 ans de prison, mais nous allons nous battre pour montrer à quel point elle est absurde", a déclaré à l'AFP l'un des avocats de M. Khodorkovski, Karina Moskalenko.
Mikhaïl Khodorkovski, le 30 mai 2005 lors d'une audience devant un tribunal de Moscou
Plusieurs experts considèrent ce nouveau dossier comme une affaire politique.
"Certains hauts responsables craignent qu'une fois libéré Khodorkovski ne puisse devenir un symbole de l'opposition pour la population sur fond de crise", estime l'analyste Valéri Khomiakov.
En effet, la proportion des sympathisants de l'ex-magnat a doublé depuis son arrestation en 2004, passant de 9% à 18%, selon un sondage du Centre Levada réalisé en janvier.
Par ailleurs, le vice-Premier ministre Igor Setchine, l'ennemi juré de Khodorkovski et chef de file des 'silovikis', anciens du KGB et de l'armée placés au sommet de l'Etat, "s'oppose à une éventuelle libération de l'oligarque", affirme M. Khomiakov.
M. Setchine "ne voudrait surtout pas que M. Khodorkovski dévoile la vérité sur des privatisations des biens de l'Etat dont bénéficie le vice-Premier ministre", affirme M. Khomiakov, qui copréside le Conseil pour la Stratégie nationale.
C'est pourtant cette ONG qui avait publié en 2003 le rapport intitulé "L'Etat et les oligarques" dénonçant "la menace que représentaient pour l'Etat" ces hommes d'affaires tout puissants, dont M. Khodorkovski.
"Les autorités le traitent maintenant comme un conspirateur, mais nous ne demandions pas de mettre les oligarques en prison, il suffisait de les écarter du pouvoir", explique-t-il à l'AFP.
C'est en février 2007, plus de deux ans après la première condamnation de l'ex-homme le plus riche de Russie, que le parquet a annoncé avoir ouvert cette nouvelle enquête.
L'ancien patron de Ioukos et son associé Platon Lebedev sont maintenant accusés d'avoir fait des opérations illégales pour un montant total de 896 milliards de roubles (environ 25 milliards de dollars au taux de change actuel) entre 1998 et 2003.
"Beaucoup de choses clochent dans cette affaire", estime Iouri Kostanov, du Conseil indépendant d'experts en droit.
"La législation fiscale russe est si floue que beaucoup d'entrepreneurs pourraient se trouver à la place de Khodorkovski", ajoute le juriste.
Cette semaine, M. Khodorkovski sera également sur la sellette pour des accusations de harcèlement sexuel, avancées par son ex-compagnon de cellule Alexandre Koutchma, mais dénoncée par un autre codétenu comme "complètement fantaisistes".
Un point de vue partagé par les avocats de l'ancien patron de Ioukos, selon lesquels M. Koutchma, qui ne sait "ni lire ni écrire", aurait été instrumentalisé par les ennemis de leur client.