News of Moyen-Orient

Par Isabelle Lasserre
Mis à jour le 24/11/2015 à 21h51 | Publié le 24/11/2015 à 20h33

DÉCRYPTAGE- La destruction d'un avion de chasse russe par l'armée turque risque d'affaiblir les espoirs de rapprochement entre la Russie et l'Occident et d'aggraver les risques d'escalade militaire dans une région déjà en proie au chaos.

Étant donné les différences d'agendas et de priorités des puissances engagées dans la guerre en Syrie, la grande coalition unique proposée par François Hollande pour lutter contre Daech avait déjà des chances limitées de voir le jour. Suffisamment peu de chances en tout cas pour que l'Élysée, une semaine seulement après le discours du président au Congrès de Versailles, opère un changement sémantique et remplace le terme de «coalition» par celui de «coordination». La destruction d'un Sukhoï russe par l'aviation turque risque de torpiller les efforts diplomatiques de la France pour créer une unité internationale contre les djihadistes.
Entre la Turquie et la Russie, qui poursuivent en Syrie des objectifs opposés, la première exigeant le départ de Bachar el-Assad, la seconde voulant son maintien au pouvoir, la tension ne faisait que grandir depuis le début de l'intervention militaire de Moscou au Levant. Ankara a dénoncé à plusieurs reprises la violation de son espace aérien par les bombardiers russes.La Turquie s'inquiète aussi de l'activité de plus en plus importante des forces spéciales russes, qui avancent, dans la région de Lattaquié, le fief du régime syrien, en direction de la frontière turque. Les bombardements russes qui ont visé la semaine dernière des villages de la minorité turcophone de Syrie ont encore accru la nervosité des autorités turques.

La vive réaction de Moscou, qui a annulé la visite du ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov à Ankara etannoncé que l'incident aurait de «sérieuses conséquences» sur les relations bilatérales, rend désormais peu probable, au moins pour un temps, une coopération entre les deux puissances au sein de la grande coalition antidjihadiste qu'aimerait bâtir la France. Il paraît aussi difficile d'imaginer une coopération politique entre Moscou et Ankara, qui participent depuis l'automne aux pourparlers de Vienne visant à ébaucher une solution politique pour la Syrie.


La destruction de l'avion russe a aussi affaibli, de manière indirecte, les espoirs de rapprochement entre la Russie et l'Occident, l'un des objectifs de la visite à Moscou de François Hollande. Mais elle fait également courir un risque d'escalade militaire dans une région déjà en proie au chaos. Jamais depuis les années 1950 les forces armées d'un pays de l'Otan, dont la Turquie occupe le flan sud-est, n'avaient abattu un avion russe ou soviétique.

«Comme la plupart des dictateurs, il suscite sans cesse de nouvelles crises. Poutine saisira toutes les opportunités qui lui permettront de détruire l'ordre mondial»

Garry Kasparov, ancien champion du monde d'échecs

Depuis leur annexion de la Crimée, «les Russes multiplient les provocations pour mettre à l'épreuve les délais et les méthodes de réaction de l'Alliance Atlantique», explique un diplomate. Pas seulement en Syrie mais aussi dans leur ancienne zone d'influence, où ils ont violé à plusieurs reprises l'espace aérien des pays Baltes. Nul doute que Vladimir Poutine, qui considère que l'extension de l'Otan à l'est constitue une menace pour son pays et que la décomposition de l'Union soviétique est «la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle», tirera les leçons de la réunion d'urgence de l'Alliance à Bruxelles.


Invité au forum sur la sécurité internationale d'Halifax, l'ancien champion du monde d'échecs Garry Kasparov analysait ainsi la politique de Vladimir Poutine: «Comme la plupart des dictateurs, il suscite sans cesse de nouvelles crises. Poutine saisira toutes les opportunités qui lui permettront de détruire l'ordre mondial». Le même sens de l'opportunité peut aussi s'appliquer au pouvoir turc, qui en décidant d'abattre l'avion d'un partenaire de la coalition en Syrie au moment même où l'Occident tente de fédérer toutes les volontés pour lutter contre Daech, mine les efforts diplomatiques. C'est aussi pour éviter ce type d'incident que les Occidentaux appellent à davantage de coordination entre les puissances engagées militairement en Syrie.

Source : http://www.lefigaro.fr/international/2015/11/24/01003-20151124ARTFIG00364-le-tir-turque-plombe-les-efforts-de-paris-pour-former-une-coalition-contre-daech.php