Depuis que nos familles ont quitté la Corse pour travailler au Continent, chaque année nos petits enfants reviennent sur la terre de leurs ancêtres pour y retrouver toute leur parenté et les habitants du village.
Il y a dans le Cap Corse, une marine blottie entre deux avancées rocheuses, dans une anse cernée par le ciel et la mer.
Les maisons des pêcheurs ont les pieds dans l'eau, les autres sont entourées par le maquis avec le soleil au dessus des toits.
Quand il fait beau, par temps calme, la mer mystérieuse s'étend comme un lac entre le Cap et l'île de Capraia, c'est le canal de Corse. Au alentours du village le maquis et les rochers sont pour les enfants, des terres d'aventure et des lieux magiques
Mes enfants ! Hier soir vous vous êtes endormis à bord d'un grand bateau scintillant de milles lumières. et voilà que ce matin vous réveillez dans la douce chaleur d'un beau soleil d'été dont les rayons sculptent les montagnes.
Une grande maison vous attend, complice des aventures vécues entre ses murs, sous son toit de lauzes, par d'autres enfants aujourd'hui devenus grands.
Marie Georges s'enhardie chaque été un peu plus pour explorer la maison et ses environs;
Ce matin elle se hasarde vers les bassins du jardin qui recueillent l'eau du torrent.
Assise sur le mur, cernée par le parfum de la menthe sauvage, elle regarde l'eau qui court se jeter dans la mer. Parfois elle surprend l'anguille qui se glisse dans le bassin, puis un bruissement de feuilles lui signale le cheminement d'une tortue.
Soudain elle aperçoit un lapin qui descend le torrent sur un radeau de rondins et de rameaux !
_ Où vas-tu lapin ? lui demande t-elle.
_ Je rentre chez moi ! Je fais provision de bois pour me chauffer cet hiver et comme je ne peux pas le porter avec mes pattes, je me suis assis dessus !
_ Tu as beaucoup d'enfants ?
_ J'en ai six.
_ Est- ce qu'ils parlent comme toi ?
_ Ils vont à l'école des lapins et ils sont très sages.
Marie Georges passa toute la journée à surveiller les va et vient du père lapin.
Le lendemain, elle décide de continuer son exploration du village et elle se dirige vers le port pour rejoindre Pierre. Assise sur le mur de la jetée, elle l'écoute car il est le plus fort de tous les pêcheurs; C'est un homme qui connaît bien son métier. Il vient de pêcher un congre de plus de 2 kilos et mulet de 50 centimètres de long.
_ ö ! Pierre ! J'aimerais aller pêcher avec toi, lui dit-elle.
_ Je veux bien si tu as la permission de ton père lui répond le pêcheur.
La permission paternelle accordée, le lendemain, ils partent caler les filets en dessous de la tour de Losse, cette tour génoise qui selon les dires des villageois communique avec la mer par une grotte.
La mer est calme, mais le filet s'accroche sous un rocher.
Marie Georges plonge avec son masque.
Elle se fraie un chemin entre les touffes de possidonies et se elle se sent soudain aspirée dans une immense bulle d'air qui n'est autre que l'ombrelle contractive d'une gigantesque méduse.
sous cette montgolfière, le son des vagues et du vent est assourdi, la lumière du jour filtrée par la coupole paraît plus blanche.
Dans cette sphère acquatique, des enfants, des hommes, des femmes sont étendus au soleil, jouent au bord de l'eau. Ils sont si petits qu'ils paraissent irréels.
Marie Georges nage parmi eux sans qu'ils la remarquent . Ce sont des inconnus. Elle tente encore de les interpeller, ils ne répondent pas, leurs regards se portent ailleurs.
A la surface de la mer, l'ombre de la barque l'invite à remonter en s'aidant du filet.
Que s'est-il passé ?
La petite fille a rencontré, par hasard, sous la surface de l'eau, des hommes étranges qui vivent proches de nous dans un autre élément, loin de notre regard.
En réfléchissant, elle conclue que c'est un peu comme les poissons qui vivent à coté de nous sans que nous puissions les voir.
La journée passe, le soleil se couche, la nuit tombe sur la mer, le ciel va se couvrir d'étoiles; La lune, rouge sur l'horizon, s'élève, vire à l'orangé. Elle se transforme encore et se pare d'une blancheur laiteuse. Elle ressemble maintenant à une énorme méduse qui projette sur le port un faisceau de lumière bleutée;
Dans ce rayon de lune, Marie Georges aperçoit soudain la proue d'un navire, puis le bateau entier apparaît. Il traverse la zone lumineuse avant de se perdre dans le noir de la nuit.
Ce sont peut-être ces hommes étranges qui rentrent chez eux.
Cette nuit est douce et chaude, les villageois assis sur le mur parlent leur vie et goûtent le souffle d'air frais qui descend de la montagne;
Marie Georges et son frère Marc décident de profiter de la pleine lune pour découvrir la source du torrent qui se jette dans le port. Ils empruntent le chemin, derrière la maison familiale, qui monte au Vidiga.
Ils suivent le mur en pierres entre les deux flancs de la colline et ils découvrent les jardins abandonnés, les oliviers et les chataigners envahis par les ronces.
Ils s'abreuvent à la source, ils aperçoivent la couleuvre lovée dans un trou qui profite de la fraîcheur du bassin et de la nuit.
Un peu plus loin, ils entendent le bruit des cascades, ils rejoignent le lit de la rivière.
Le torrent naît de plusieurs ruisseaux étalés comme les doigts des deux mains qui s'enfoncent dans le sol, sous les prairies de fougères.
Les truites sautent de ruisseau en ruisseau; les enfant essaient de les attraper mais elles sont trop rapides.
Les deux explorateurs poursuivent leur marche au milieu des arbousiers, des cistes odorants, des bruyères arborescentes. Ils dérangent un merle au cri strident;
la végétation se fait plus rare. Ils buttent dans les touffes d'herba barona qui répandent leur parfum.
sous le clair de lune Marc parvient à distinguer la bergerie de Campu Losu.
Il ne résiste pas à la curiosité, il espère y trouver un trésor perdu .
L'ancienne bergerie est abandonnée. Assis près de l'entrée, ils écoutent le vent qui descend vers la mer et la chouette qui appelle sans se montrer.
Pour se rassurer Marc ramasse un peu de bois sec, il allume un feu de brindilles; La lueur du foyer éloigne les pensées inquiétantes. il est maintenant trop tard pour rentrer à la maison et tous les enfants corses savent bien qu'il n'y a aucune bête dangereuse dans le maquis.
Le lendemain matin, ayant déjeuné de quelques mûres sauvages, ils prennent le chemin du retour.
Ils rencontrent Christian, le chercheur de trésor;
_Je ne pensais pas trouver des enfants si loin du village; Je préfère fouiller le sol tout seul, mais pour une fois venez avec moi !
Il les amène au pied des falaises qui surplombent Cagnano. Là dans le chaos des rochers, ils croisent quelques chèvres égarées qui vivent en liberté.
Une cascade descend de la montagne, ils écartent les branches d'arbousiers pour se glisser dans une faille rocheuse
Christian leur montre des morceaux de poterie éparpillés sur le sol et en le grattant il découvrent des épingles en bronze, une pointe de flèche en quartz blanc.
Marie Georges demande : _ Qui pouvait bien vivre ici ?
_ il y a des milliers d'années, tes ancêtres vivaient dans cette grotte. Évidemment je ne connais pas leurs visages, mais ils devaient te ressembler car ce sont tes parents très lointains. vois-tu nous sommes ici depuis si longtemps que nous ne pouvons pas être d'un autre pays;
A cet instant, le bruissement du vol d'un aigle barbu en quête d'une proie, les incite à prendre le chemin du retour.
Mais le chemin sera long !
Marc se souvient : dans un songe il a déjà volé au dessus du sol, alors il prend la main de sa soeur, ferme les yeux, concentre sa pensée pour devenir aussi léger qu'une plume de faucon... ils sont emportés par le vent et leur rêve.
Nous ne savons pas s'ils réussirent à s'envoler, mais nous savons qu'ils s'endormirent profondément.
Pendant ce sommeil leur inconscient les ramène à la découverte de leur pays.
Ayant évoqué la vie des hommes et des femmes de la préhistoire, leur songe prit le cours des récits du capitaine Paul Maestracci, leur grand père qui l'hiver, au coin de la cheminée aimait raconter son enfance et les deux guerres qu'il avait connues.
Dans ce rêve le vent se lève, puis souffle très fort.
Marie Georges et Marc descendent au port, ils doivent prendre appui sur le mur du jardin pour ne pas être jetés à terre; l'horizon et le ciel sont blanchis par les gouttelettes d'eau soulevées par les bourrasques, la fumée du vent... Ce libecciu est tellement violent qu'il soulève la mer et la repousse au large comme une immense falaise. Le fond marin apparaît !
Il peuvent parcourir ce nouveau monde en compagnie de tous les villageois. Ils s'avancent, ils découvrent sur le sable des ancres marines abandonnées, des crabes des carcasses de barques. La plage descend en pente douce comme la surface d'un glacier;
Ils s'éloignent encore et en contournant une colline sous marine ils dénichent un village fantôme englouti probablement à la suite d'un glissement de terrain.
Un tintement de cloche leur fait découvrir une grande maison sombre, triste, éventrée qui laisse voir un échaffaudage, de grandes roues et des engrenages qui devaient servir à écraser des minerais de fer, d'or d'argent et de cuivre pour en faire un métal complexe et mystérieux.
Personne ne se souvient de ce village. cependant notre voisine Josette se rappelle l'histoire d'un homme bossu qui s'était enrichi en vendant du métal pour fondre les cloches. Fortune faite, il devint bête et méchant, tellement méchant qu'on l'oublia très vite.
en allant vers Bastia, ils écouvrent l'épave d'un voilier, il a un grand trou dans la coque. Pas très loin, en voilà un autre. leur naufrage fut sans doute accidentel a la suite d'un abordage lors d'une tempête.
Marc trouve la cloche en cuivre de l'épave, il gratte avec son couteau et le nom apparaît : le " Bonaparte " !
En dépassant le village de Méria, Marie Georges aperçoit l'épave d'un avion militaire américain de la guerre de 1943. Son habitacle est ouvert ce qui laisse supposer que le pilote a pu sauter en parachute pour sauver sa vie.
Devant la plage de Pietracorbara la carcasse d'une péniche de débarquement allemande ressemble à une grosse boite de sardine, entourée de nombreuses barques de pêcheurs coulées par le vent de libecciu, le vent qui noie.
Le fond de la mer ne ressemble pas a une plage, il y a des montagnes, des vallées et même une source d'eau douce, des vertèbres de cachalot plantées dans le sable à coté d'une petite galère de l'époque de Paoli.
Soudain le vent faiblit... la mer n'est plus contenue, elle commence à refluer, ils se mettent à courir mais pq assez vite... ils sont très essoufflés, à bout de
force...!
Vont-ils être noyés par les flots ?
Non ! ils sont dans leur chambre.
Ouf ! Quelle peur ! c'était un rêve ! Quelle chance d'avoir pu découvrir ce monde sous- marin à deux encablures de notre maison !
Tous les enfants un peu débrouillards aiment tenter l'aventure et découvrir de nouveaux paysages . A Porticciolo, des terres inconnues sont encore à explorer vers l'extrémité nord du Cap que l'on croit presque désertique et toutes les îles de l'archipel toscan.
Le lendemain ils décident d'embarquer sur le petit violier de Marc et de naviguer jusqu'à la pointe du cap Corse. Un léger vent de sirocco les pousse vent arrière. Ils font escale sur une plage, à l'emplacement d'un antique port romain comblé par le sable et l'argile.
Ils allument un feu et constatent que l'argile noir du foyer devient rouge comme les débris de poterie qui jonchent la plage.
Plus loin sur les dunes de possidonies déposées par les courants, ils découvrent de petits crapauds noirs et maigres qui paraissent vivre dans l'eau saumâtre.
La côte est très découpée comme une barrière de corail, ils naviguent d'îlots. Les rochers semblent faire des centaines de ricochets à la surface de l'eau.
Ils s'éloignent ainsi jusqu'au dernier rocher de la Corse, l'île de la Giraglia, signalée par son phare, protégée par sa tour génoise, couverte de poireaux sauvages.
Ils jettent l'ancre mais elle ne s'accroche pas ! Marc plonge pour vérifier le mouillage. quand il ressort de l'eau, il agite la main droite pour exprimer son exaltation.
Il y a ici, une profondeur de 200 mètres , c'est un véritable gouffre qui s'enfonce dans les abîmes, l'ancre ne pourra pas atteindre le fond de la mer.
L'eau n'y est ni verte, ni bleue, mais d'un bleu profond.
Un puissant courant pousse le bateau vers le large.
Nos eux marins pourront-ils rentrer à la maison ?
Ils sont allés trop loin ! Leur voilier est une coque de noix.
L'île n'est pas assez large pour les protéger d'une tempête ! Elle sera certainement recouverte par les vagues.
L'étrangeté du lieu se mêle à l'inquiétude de la tempête qui menace.
_Vite, hissons les voiles et direction ... notre port d'attache !
Leurs craintes sont justifiées car c'est ici que les grands bateaux virent à bâbord pour prendre la direction de Marseille. Les vagues de leur énorme sillage pourraient tout aussi bien les couler. Depuis la terre ferme, ils les regarderont croiser au large en toute sécurité.
Le lendemain, une journée chaude s'annonce. Joseph très sûr de son expérience de marin prédit l'arrivée d'un coup de "gregale a levante ".
Sans attendre nous allons au port pour tirer les bateaux à terre.
Ce vent venu de la mer s'est levé brusquement.
D'un souffle puissant, en l'espace d'une dizaine de minutes, il chasse les nuages, déchire le rideau de brume et dévoile l'horizon, nous offrant le spectacle extraordinaire de l'archipel toscan.
Toutes les îles que nous entrevoyons au large, semblent soudain s'être rapprochées, en ligne comme une paisible armada au mouillage : Gorgone avec son couvent et ses pins maritimes, Capraia et sa tour génoise, elba, Pianosa, la célèbre île de Monte christo et enfin le rocher Afriqua.
Cette mer appelée mer Tyrrhénienne est comprise entre la péninsule italienne et la Corse. Le trafic maritime y est incessant, grandes et petites embarcations, cargos et pétroliers croisent au large du matin au soir.
Assis face à la mer, ce premier Août 2009, Dorian, Alexa, Corentin, Aléxis, Anna et Lisandru sont attentifs, un peu incrédules et émerveillés par cette histoire
[SIZE=14]