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Date de création : 03.03.2015
Dernière mise à jour : 04.02.2025
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Révélations sur les services secrets de l'EI

 

Révélations sur les services secrets de l’Etat islamique
18 août 2017 Par Matthieu Suc   dans Médiapart

L’État islamique a structuré en son sein des services secrets à l’image de ceux des pays qu’il attaque. Une enquête en plusieurs volets de Mediapart montre les méthodes de contre-espionnage utilisées par les djihadistes. Elles n’ont rien à envier aux pratiques de la guerre froide et expliquent aussi comment les attentats qui ensanglantent l’Europe ont été rendus possibles.

 

À 18 h 08, le 23 juin 2015, le vol Air France 1591 en provenance d’Istanbul achève sa course sur le tarmac de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. Depuis vingt minutes, trois agents de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) patientent au terminal 2E. Ils ont rendez-vous avec « Abou Saïf le Coréen ». A priori, rien qu’un djihadiste de plus. Deux cents Français sont alors déjà rentrés du théâtre syrien.

Ils cueillent leur client, Nicolas Moreau de son vrai nom, au sortir de l’appareil. Son bagage résume les contradictions de cet énième enfant perdu de la République : une sacoche Adidas, une veste Marlboro Classics et une cartouche de cigarettes L&M cohabitent avec un keffieh et un kamis, la tenue traditionnelle afghane.

 

Trois combattants de l'État islamique © DR Trois combattants de l'État islamique © DR

 

Rendu public trois mois avant son arrestation, le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes pourrait avoir été écrit pour lui : « Certains djihadistes français, au parcours souvent chaotique et se considérant comme déshérités, seraient particulièrement sensibles à la rhétorique[de l’État islamique], fondée sur l’humiliation, dans laquelle ils pourraient trouver un écho à leur situation personnelle. […] À ceux qui sont avant tout animés par la volonté de voir leur utilité reconnue et appréciée – parmi lesquels comptent notamment les individus sans attache –, Daech promet l’appartenance à une communauté de combattants unis par la complémentarité de leurs rôles respectifs. »

Adopté par un couple nantais dans un orphelinat de Corée, Nicolas Moreau suit une formation de marin pêcheur, fréquente différentes universités du crime pour de menus délits – il se convertit à l’occasion d’un de ses séjours carcéraux –, avant de passer un an et demi dans les rangs de l’État islamique. Devenu Abou Sayf le Coréen, il combat sur le front irakien.

Lors de son procès en décembre 2016, le djihadiste revendiquera pêle-mêle la lecture de Jean-Jacques Rousseau et son statut d’« insoumis », maniera dans une même phrase une promesse (« Je peux encore changer de vie ») et une menace (« Je reprendrai les armes »)… Dans son réquisitoire, un magistrat de la section antiterroriste de Paris soulignera sa « logorrhée empreinte de délire narcissique » et brossera le portrait d’un individu « imbu de lui-même ».

On n’en est pas encore là. Lorsqu’il lui passe les menottes, le brigadier Grégory D. ignore qu’il s’apprête à mettre la main sur le secret le mieux caché de l’État islamique. Le sous-officier de la DGSI a de la bouteille. En 2010, il participait au démantèlement d’une filière d’envoi de moudjahidines en zone pakistano-afghane. Dans les semaines précédentes, il a enquêté sur les djihadistes du village de Lunel et écouté les conversations téléphoniques d’Hayat Boumeddiene, la veuve réfugiée en Syrie d’Amédy Coulibaly, l’assassin de l’Hyper-Cacher.

Mais rien ne le préparait au cas Moreau.

D’abord, l’islamiste refuse de quitter sa cellule de garde à vue, au prétexte que la nourriture servie ne lui convient pas et qu’on ne l’autorise pas à fumer. Il n’envisage pas alors de répondre aux questions de ceux qu’il qualifiera dans une lettre à son juge d’« abrutis de la DGSI ». Sept heures plus tard, lorsqu’il daigne s’asseoir face au brigadier Grégory D., Nicolas Moreau lâche une bombe. Il parle spontanément de l’Amniyat, « la sécurité intérieure de l’État islamique ».

Cette structure dans laquelle travailleraient, selon lui, 1 500 hommes « de confiance » aurait pour mission « de détecter les espions en Irak et en Syrie » mais aussi « d’envoyer des gens partout dans le monde pour faire des actions violentes, tuer ou bien recruter des jeunes, pour ramener des caméras, des produits chimiques ». Après avoir donné des informations précises sur un membre de l’Amniyat qui se révélera être Abdelhamid Abaaoud, le futur coordonnateur de la tuerie du 13-Novembre, Nicolas Moreau assure en conclusion de sa seconde déposition : « J’ai des informations pour empêcher des attentats en Belgique et en France. »

 

 

La teneur même de ses révélations fait douter de l’origine de leur source. « Comment connaissez-vous aussi bien le fonctionnement de l’Amniyat ? » lui demandera la juge d’instruction. En garde à vue, le Français d’origine coréenne avait alors expliqué qu’il avait tenu durant trois mois, contre une rétribution de deux euros mensuels à l’État islamique (pour la consommation d’électricité), un restaurant de spécialités marocaines « Chez Abou Sayf », à côté du tribunal de Raqqa, et que son enseigne était fréquentée par de nombreux djihadistes, dont des membres de l’Amniyat.

Si l’existence du restaurant semble avérée, policiers et magistrats restent sceptiques : le dernier emploi connu de Moreau au sein de l’organisation terroriste était celui de membre de la police de Raqqa – « Ça me faisait une bonne expérience vu qu’en France, j’ai toujours été pourchassé par la police… Là, on inversait ». Ils se demandent si le jeune écorché ne serait pas plutôt un membre de ce service secret, envoyé en Europe pour commettre un attentat.

À toutes fins utiles, la DGSI, sous la plume d’un de ses commissaires, produit une note condensant les « renseignements sur l’AMNI », autre appellation de l’Amniyat. Un mois après les déclarations de Nicolas Moreau, les contre-espions français ont visiblement planché sur leurs homologues du camp d’en face. « Depuis la création du califat, et de surcroît depuis le début des frappes de la coalition internationale, l’État islamique s’est doté d’organes chargés de garantir sa sécurité et le contrôle de ses territoires. Parmi ces structures se trouve l’AMNI.[…] L’existence et le renforcement de l’AMNI semblent constituer une priorité stratégique pour l’État islamique. » Selon la DGSI, ce service aurait pour prérogatives « la détention et l’exécution des otages, l’exécution des sentences issues de l’application de la charia et la détection de toute tentative d’infiltration ».

Cinq mois plus tard, le site The Daily Beast va plus loin dans le détail de la structure en publiant le récit d’un membre de l’Amniyat ayant fait défection et énumérant les quatre branches composant le service secret terroriste. D’après ce témoignage, il y aurait l’Amn Al-Dakhili, faisant office de ministère de l’intérieur chargé de maintenir l’ordre public dans chaque ville, l’Amn Al-Askari, le renseignement militaire, l’Amn Al-Dawla, le service de contre-espionnage, et l’Amn Al-Kharji, le service en charge des opérations clandestines à l’extérieur du califat. Dans la répartition des tâches, les deux derniers départements correspondent à la très classique séparation intérieur/extérieur des services secrets américains (FBI/CIA), anglais (MI5/MI6), français (DGSI/DGSE) ou israéliens (Shin Bet/Mossad).

L’officine du contre-espionnage islamique

Les terroristes se revendiquant de l’islam sont souvent présentés, avec un brin de condescendance, comme des barbares incultes. Une bande de va-nu-pieds téléguidés depuis une grotte serait responsable du carnage du 11-Septembre. Un commando de bêtes fauves du massacre du 13-Novembre. C’est oublier que, depuis leurs origines, les organisations terroristes ont adopté des méthodes de contre-espionnage afin de déjouer les pièges de ceux qu’ils entendaient un jour frapper. C’est occulter l’intelligence opérationnelle dont ils font preuve à nos dépens.

Les attentats ne sont que la partie émergée, la plus sanglante, la plus macabre, d’une lutte féroce qui se joue dans l’ombre, entre les services de renseignement occidentaux et moyen-orientaux, d’un côté, et l’État islamique, de l’autre. Une bataille secrète qui n’a pas grand-chose à envier aux manipulations à l’œuvre durant la guerre froide.

Il ne s’agit pas de mythifier les djihadistes en James Bond de la terreur. Certaines de leurs pratiques sont rudimentaires. Certains de leurs exécutants souffrent de problèmes d’élocution, d’une syntaxe approximative et de capacités de réflexion sommaires. Il n’empêche que si l’Europe est la cible depuis bientôt trois ans d’une vague d’attentats, si la France pleure près de 250 morts sur son sol, ce n’est pas seulement parce que nos services sont désorganisés structurellement et dépassés conjoncturellement face à l’ampleur du phénomène djihadiste.

Mediapart s’est plongé dans une vingtaine de dossiers judiciaires représentant près de 59 000 procès-verbaux (tous n’ont pas été lus), a épluché des centaines de retranscriptions d’écoutes téléphoniques, d’auditions, de rapports d’enquête de police, de notes – déclassifiées ou non – des services secrets. À cette somme documentaire, nous avons confronté une quinzaine d’interlocuteurs (officiers de renseignement, magistrats, avocats, chercheurs, ex-otages, ex-djihadistes). Nous avons ensuite complété ce travail par le suivi d’audiences des premiers procès de djihadistes de retour de Syrie.

Le produit de cette enquête menée sur huit mois esquisse les rouages du plus structuré des services secrets terroristes, celui de l’État islamique. Il dévoile comment les soldats du Califat déjouent les infiltrations de taupes dans leurs rangs en Syrie, comment leurs clandestins se jouent des forces de l’ordre en Europe, et tend, au passage, un miroir glaçant aux services de renseignement occidentaux. Les recettes de contre-espionnage utilisées par les djihadistes s’inspirent de celles déployées par la CIA, le FBI, la DGSI ou feu le KGB.

 

Membre de l'Amniyat © DR Membre de l'Amniyat © DR

 

Depuis la médiatisation de la déposition de Nicolas Moreau, la parole s’est libérée. De nombreux djihadistes de retour en France évoquent les déboires qu’ils sont supposés avoir eus avec l’Amniyat, mais leurs propos restent toujours flous, empêchant de préciser les contours de son organisation. L’un évoque « des renseignements généraux qu’on appelle là-bas AMNI » ; l’autre, les « Emnins, c’est-à-dire une police secrète de gens cagoulés », sans aller beaucoup plus loin.

Et puis certains confondent avec la très présente « al-Hisba », la police religieuse chargée de l’application stricte de la charia dans les rues du califat. Une femme mariée à tour de rôle à trois djihadistes confirmera y perdre son latin : « À Manbij, il y avait la police islamique, la militaire et la Hisba. Je ne pouvais faire la différence… » Seule la Hisba trouve grâce à ses yeux. Ses membres étaient reconnaissables, « ils patrouillaient en voiture blanche avec un micro et[…] des bâtons ! ».La Hisba pouvait, selon certains témoignages, être (ou ne pas être) rattachée à l’Amniyat.

Par les méandres de son administration, la complexité de ses organigrammes et de ses contingences hiérarchiques, il y a quelque chose de kafkaïen dans l’État islamique. « Il n’y a pas que la guerre. Il y a aussi une structure et une organisation », insistera le djihadiste suédois Oussama Krayem. Karim Mohamed-Aggad, le frère d’un des kamikazes du Bataclan, dénombre « une vingtaine d’émirs et des sous-émirs » là où il combattait. « Comme la plupart des administrations de l’État islamique, l’AMNI repose sur une organisation décentralisée », analyse la DGSI. Décentralisée et indépendante. L’Allemand Nils Donath insiste : « La Sécurité intérieure existe en parallèle à l’organisation militaire et administrative de l’État. »

Dans une enquête vertigineuse (traduite ici en français par Le Monde), le Spiegel produit les notes de Haji Bakr, dans lesquelles cet ancien colonel irakien ayant servi sous Saddam Hussein et devenu « le cerveau de l’État islamique » esquisse l’architecture de « la Stasi du califat », allant jusqu’à établir des listes pour infiltrer les villages, décidant de qui devait surveiller qui, prévoyant « un émir chargé de surveiller les autres émirs ».

Dans ce professionnalisme du contre-espionnage djihadiste, le Spiegel voit la preuve de l’influence des militaires de l’ancien dictateur irakien dans un État islamique qui serait donc, contrairement à ce que son nom indique, plus politique que religieux. Des études sérieuses et récentes (ici et ) contestent cette théorie. Les hommes mis en avant pour prouver l’influence présumée de l’ancienne dictature irakienne dans l’appareil sécuritaire de l’organisation terroriste seraient surtout des islamistes de longue date. 

Mediapart n’a pas d’élément factuel précis permettant de trancher ce débat sur les origines de l’Amniyat. Une chose est néanmoins sûre : les terroristes se revendiquant de l’islam n’ont pas attendu l’aide des anciens officiers baassistes de Saddam Hussein. Depuis près de 40 ans, ils sont formés aux fondamentaux du contre-espionnage. Ils ont même été à bonne école : elle puise sa source au cœur des services secrets occidentaux.

La pédagogie de la terreur

Le cours de l’histoire du djihad, telle que nous la connaissons, s’est joué, pour partie, dans un anodin magasin de reprographie dans les environs de Fort Bragg, en Caroline du Nord, là où Ali Mohamed, le père du contre-espionnage djihadiste, miniaturisait et photocopiait les manuels « empruntés » au John F. Kennedy Special Warfare Center and School.

Né en 1952, Ali Mohamed est un major de l’armée égyptienne ayant à son pedigree la protection de diplomates ou la conduite d’opérations clandestines. Il est aussi, en sous-main, un partisan d’Ayman al-Zawahiri, qui n’est pas encore le chef d’Al-Qaïda. Après qu’Ali Mohamed s’est fait embaucher comme expert contre-terroriste pour le compte de la compagnie aérienne EgyptAir, Zawahiri le charge d’infiltrer le renseignement américain. Ali Mohamed propose ses services à la CIA mais l’expérience tourne court, l’agent double se fait griller lorsqu’il alerte l’imam de la mosquée à Hambourg que l’agence américaine lui avait demandé d’espionner.

Supposé être interdit de territoire américain, Ali Mohamed parvient à s’envoler pour les États-Unis et à séduire la célibataire californienne assise à ses côtés durant le vol. Six semaines plus tard, ils se marient et, au bout d’un an, l’infiltré réussit à s’engager dans l’US Army qui, au vu de ses performances sportives exceptionnelles, l’affecte aux forces spéciales à Fort Bragg. Celui qui fait son jogging quotidien en écoutant une récitation du Coran est même recruté pour réaliser une quarantaine d’exposés à l’attention d’équipes envoyées au Moyen-Orient. À cette occasion, il a accès à toute la documentation nécessaire.

En 1988, Ali informe ses supérieurs qu’il compte prendre un congé pour aller « tuer du Russe » en Afghanistan. En réalité, il y forme les premiers volontaires ayant rejoint Oussama Ben Laden aux techniques de la guerre non conventionnelle acquises auprès des services spéciaux américains. Dans les années 1990, il dépose sa candidature – cette fois en vain – pour un poste de traducteur auprès du FBI. Qu’importe. Durant dix ans, jusqu’à son arrestation en 1998, Ali Mohamed entraîne les membres d’Al-Qaïda, leur apprend l’espionnage et le détournement d’avion.

 

Ali Mohamed dans une vidéo de l'US Army à Fort Bragg en 1989 © DR Ali Mohamed dans une vidéo de l'US Army à Fort Bragg en 1989 © DR

 

L’agent double s’appuie sur les manuels dérobés à Fort Bragg pour illustrer ses cours auxquels Oussama Ben Laden assiste, ainsi que tous les hiérarques de l’organisation terroriste. Un ancien moudjahid passé par le camp Al-Farouk, en Afghanistan, quelques années plus tard se souvient : « La formation de base durait deux mois. Un second stage, plus perfectionné, était dédié à la guérilla urbaine. Ceux qui y participaient suivaient des modules : comment déjouer une filature, comment filer quelqu’un, etc. Et puis, dans notre vie quotidienne au camp, tout le monde devait se méfier de tout le monde. Dans les conversations, on ne donnait pas sa vraie identité, seulement sa kounya. On devait mentir sur notre nationalité. Par exemple, si tu étais français, tu disais que tu étais belge. »

Un second islamiste passé par l’Afghanistan évoque ces « cours en matière de sécurité dispensés aux recrues au camp Al-Farouk avec des évaluations à la fin de chaque formation : ‘‘basique’’, ‘‘moyen’’, “expert’’… Les meilleurs éléments étaient ensuite orientés vers des formations plus abouties et correspondant à leurs souhaits ou aux besoins du groupe après un entretien personnalisé. »

Fort des leçons d’Ali Mohamed, Al-Qaïda se dote en 1998 d’un service de contre-espionnage. « Nous devons désormais disposer de rapports quotidiens sur les activités dans chaque camp, racontera dans un livre un garde du corps de Ben Laden. Nous devons également collecter le maximum d’informations sur tous les membres. […] Cinquante frères sélectionnés pour leur aptitude au renseignement suivent un stage […]. Ils sont ensuite placés dans différents secteurs, pour nous informer de ce qui s’y passe. »

Et malheur à ceux qui se font prendre. « Les mesures de sécurité étaient drastiques et les punitions pour ceux qui y dérogeaient étaient rigoureuses », raconte l’islamiste passé en Afghanistan. « Avant notre arrivée au camp, un homme présenté comme un espion avait été exécuté, se remémore l’ancien moudjahid interrogé par Mediapart. Ils l’avaient relâché sur une colline et lui avaient ensuite tiré dessus au lance-roquettes RPG… »À l’automne 1998, des bulletins sont placardés sur tous les bâtiments d’Al-Qaïda. Ils rappellent « de ne pas parler de nos activités et aux djihadistes de faire attention à leur environnement proche ».

Al-Qaïda a appris à ses dépens que ses membres devaient se méfier de tout le monde, y compris de leur famille. Au mitan des années 1990, le renseignement égyptien attire deux garçons de 13 ans, fils du trésorier et d’un autre dignitaire de l’organisation terroriste. Les agents droguent puis sodomisent les deux enfants. Des photos sont prises. Sous la menace de les divulguer à leurs familles, les gamins sont contraints de placer des micros dans leurs propres foyers. Deux bombes destinées à Ayman al-Zawahiri leur sont confiées mais les attentats sont déjoués et les enfants-espions appréhendés. Pour l’occasion, Zawahiri instaure un tribunal de la charia.

Plusieurs terroristes s’y opposent, estimant que juger des enfants serait contraire à l’islam. Zawahiri n’en a cure. Condamnés pour sodomie et trahison, il les fait abattre, filme les aveux et l’exécution, et distribue les bandes à titre d’avertissement à ceux qui envisageraient de le trahir. Mais l’épisode laisse des traces. Désormais, à travers des références à la vie du Prophète, Al-Qaïda veillera à justifier, dans ses propres manuels l’espionnage, le contre-espionnage et le fait d’éliminer « les espions des vicieux croisés », y compris quand les taupes sont de confession musulmane.

Là encore, Ali Mohamed a légué un héritage. Non content d’abreuver les bibliothèques des camps afghans de la littérature volée et miniaturisée à Fort Bragg – « Je me souviens encore des manuels du FBI ; on se demandait comment ils se les étaient procurés », nous avoue le moudjahid déjà cité –, l’agent double se sert de cette base documentaire pour rédiger le manuel d’instruction terroriste d’Al-Qaïda. Un précis de 180 pages intitulé « Études militaires dans le djihad contre les tyrans », qui comporte divers chapitres sur la contrefaçon, la sécurité ou l’espionnage. Dans les rayons des bibliothèques des camps d’entraînement en Afghanistan, cette nouvelle bible du terrorisme islamique côtoie un ouvrage comme La Révolte d’Israël, du premier ministre israélien Menahem Begin, lui-même ancien terroriste, ou les œuvres de Clausewitz et de Sun-Tzu.

Raqqa Parano

 

Cours délivré à des djihadistes de l'État islamique © DR Cours délivré à des djihadistes de l'État islamique © DR

 

Depuis, plusieurs hauts gradés d’Al-Qaïda ont produit à leur tour des ouvrages sur le thème spécifique de la sécurité. Et ces diverses leçons portent leurs fruits, quand on songe qu’une chasse à l’homme longue de dix ans sera nécessaire aux Américains pour localiser Oussama Ben Laden, le terroriste le plus recherché de la planète.

« Au fil des années, les organisations djihadistes affinent leurs connaissances. Ils font des retours d’expérience qu’ils publient sur Internet, constate Kevin Jackson, directeur de recherches au Centre d’analyse du terrorisme (CAT) et auteur sur son blog d’une série d’articles dédiés aux mesures de sécurité des groupes terroristes (ici, ici et ). Il y a un savoir-faire qui se transmet ainsi de groupe en groupe, de génération en génération. En soi, la sécurité intérieure de l’État islamique n’apporte rien de neuf, les Shebabs somaliens avaient déjà un service qui s’appelait l’Amniyat –Amni veut dire “sécurité” en arabe. Ce qui est en revanche novateur, c’est la place de plus en plus prépondérante qu’une telle structure prend au sein d’une organisation terroriste. »

La guerre contre les espions est désormais « la mère de toutes les batailles, la plus féroce, la plus dangereuse, la plus difficile », écrira Ayman al-Zawahiri dans l’introduction d’un ouvrage réédité sur Internet en juillet 2009, après qu’une partie des cadres d’Al-Qaïda eut été décimée par des attaques de drones américains dans les zones tribales du Pakistan.

Le même mal dont souffrira, six ans plus tard en Syrie, l’État islamique, qui cherchera à appliquer les mêmes remèdes.

***

Foued Mohamed-Aggad patiente avec un ami dans une boulangerie de Raqqa lorsqu’un missile s’abat, ce 8 septembre 2014, sur le magasin. Le djihadiste alsacien s’évanouit, se réveille indemne, alors que le bâtiment abritant la boulangerie a été soufflé et que 53 morts seront recensés. Il retrouve sous les décombres son complice, lui aussi sain et sauf. Les miraculés se dirigent vers leur pick-up, qui est à son tour la cible d’un missile. Le souffle de l’explosion les projette au sol mais n’entraîne que de légères blessures aux coudes de Foued Mohamed-Aggad. Les services de renseignement français venaient d’apprendre sa nomination à la tête d’une katiba (brigade) de 300 combattants. L’Alsacien juge opportun de se mettre au vert. La rumeur de sa mort sur le front irakien courra quelques mois plus tard, jusqu’à ce qu’on retrouve sa trace, le 13-Novembre, au premier étage du Bataclan.

En l’espace de quatre mois courant 2015, plusieurs hauts dignitaires de l’État islamique – de l’émir du pétrole au n° 2 de l’organisation – n’échapperont pas, eux, aux bombardements aériens. Et les dirigeants de l’EI, tout comme ceux d’Al-Qaïda, redoutent plus que tout d’être victimes d’un drone. Une frappe chirurgicale prive de la possibilité de mourir les armes à la main, compromet l’obtention du statut, privilégié dans l’au-delà, de martyr. La pluie de bombes ciblées génère une véritable paranoïa et entraîne une vaste chasse aux taupes. À propos d’un détenu particulièrement torturé, l’ex-otage danois Daniel Rye Ottosen explique lors de son debrief par les services secrets de son pays : « Ils l’ont questionné longtemps parce qu’ils voulaient qu’il avoue qu’il était un espion venu uniquement pour poser des ‘‘traqueurs’’ de façon que la ville puisse être bombardée. »

Personne n’est épargné par la suspicion. « [Mon mari] m’a expliqué que certaines femmes posaient des puces électroniques dans des endroits où se trouvaient des frères combattants pour que ces derniers soient bombardés », justifie la femme du djihadiste Salim Benghalem. Chez une de ses amies restées en France, les enquêteurs découvriront un rappel des précautions à prendre afin d’éviter que des traîtres ne placent « des petits appareils d’espionnage électroniques » dans les parkings pour des frappes aériennes, un texte qu’il est demandé de diffuser « le plus largement possible »… Une recommandation prise au pied de la lettre, puisqu’on la retrouve dans la mémoire d’un ordinateur d’une sympathisante de l’EI vivant dans le Val-de-Marne.

À son arrivée à Raqqa, Réda Hame, recruté pour commettre un attentat en France, se voit ordonner de fermer les stores de son lieu d’hébergement : « Ils nous ont expliqué qu’il y a des traîtres qui placent des puces électroniques dans les immeubles pour diriger les missiles, et que donc il ne fallait pas regarder à l’extérieur. Ils nous ont raconté qu’un bâtiment avec des nouveaux venus avait été bombardé avec pour conséquence 70 morts à l’intérieur… » 

De ce fait, au cours du premier semestre 2015, l’État islamique a « considérablement renforcé ses mesures de sécurité interne », constate la DGSE. Le général Christophe Gomart, directeur du renseignement militaire (DRM), décrira devant une commission d’enquête parlementaire les rues de Raqqa couvertes « de bandes de tissu qui empêchent nos satellites et nos avions de reconnaissance de voir ce qui se passe au-dessous », preuve, selon lui, d’une maîtrise certaine « des techniques de dissimulation vis-à-vis des capteurs images ». « Leurs bâches noires nous compliquent la tâche mais ça ne résiste pas à une caméra thermique », affirme sous le sceau de l’anonymat un autre ponte de la lutte antiterroriste.

Premiers concernés, les membres des services secrets djihadistes se voient imposer « de strictes mesures de confidentialité », au premier rang desquelles le bannissement du moindre téléphone cellulaire. Lorsque le Belge Mohamed Abrini rend visite en Syrie à Abdelhamid Abaaoud, en train de préparer les attentats du 13-Novembre depuis Raqqa, le second ne passe qu’une journée avec son ami d’enfance. « Il se méfiait de tout, dira Abrini. J’étais venu avec mon GSM et il avait peur de se faire droner. »Les autres soldats du califat se font enlever l’antenne GPS de leurs mobiles. « Les bouquets satellites[ont également] été retirés et interdits dans les locaux abritant des membres de l’État islamique », commentera un ingénieur en télécommunication ayant œuvré pour l’organisation terroriste. Désormais, « à Raqqa, les djihadistes doivent utiliser des cybercafés où tout est contrôlé », constate la DGSI.

Le djihadiste danois Oussama Krayem témoigne d’un durcissement des mesures de sécurité. Selon lui, il est désormais impossible de « s’approcher d’une zone où les hauts responsables se trouvent », au motif que « la moitié des personnes qui se trouvent à Raqqa sont des indics… ».

Dans les entrailles du stade de foot

Tout l’appareil sécuritaire est mis à contribution pour remédier à l’inflation présumée d’espions dans ses rues. Un Français ayant reconnu avoir fait partie de la police islamique détaillera sur PV le quotidien des patrouilles de voie publique : « Je prenais le boulot à neuf heures. Vers 9 heures 30, nous partions en tournée.Nous étions cinq dans [notre voiture]. Nous avions chacun un Glock[un pistolet automatique – ndlr] et une Kalach (les fusils restaient après notre service dans le véhicule, mais nous gardions les pistolets avec nous). Nous contrôlions les gens suspects, notamment lorsqu’ils avaient de grosses valises. »

Un djihadiste à Al-Bab © DR Un djihadiste à Al-Bab © DR

 

L’État islamique a surtout porté son effort, à en croire une note de la DGSE, sur « ses activités de renseignement afin de mieux contrôler ses membres et de se protéger des tentatives d’infiltration extérieure ». Et l’Amniyat est à la manœuvre. « Son but premier[serait] de préserver le commandement du Califat, les infrastructures sensibles, des frappes de la coalition internationale et des infiltrations ennemies », complète la DGSI.

« Des agents secrets, habillés en civil », barbe rasée et cigarette au bec « pour ne pas attirer l’attention », se disséminent dans les lieux les plus fréquentés. Le moindre soupçon vaut arrestation. Ainsi ce moudjahid qui se rend en moto au marché sans autorisation ou cet autre qui manifeste dans une discussion des connaissances militaires trop précises. Parfois, la population aide les AMNI. Ainsi cette chirurgienne irakienne qui leur désigne son propre mari. « Elle l’a dénoncé à Daech en disant qu’il était contre eux et ils lui ont coupé la tête… », témoignera la Française revenue de ses illusions après trois mariages successifs avec des djihadistes. Ou encore ce Suisse se faisant appeler « Abou Mahdi al-Swissry », qui a le malheur de montrer à un frère d’armes les deux talkies-walkies qu’il avait apportés avec lui d’Europe et dont il n’avait jamais mentionné la présence dans ses bagages. Un inconnu le plaque au sol. « Des gens des services secrets sont arrivés », ils lui arrachent ses chaussures, enlèvent ses chaussettes à la recherche d’hypothétiques micros. Ce que résume à sa manière Karim, le frère de Foued Mohamed-Aggad : « Ce n’est pas le club Dorothée là-bas. Il y a des traîtres, tout le monde suspecte tout le monde. »

Lotfi, l’ingénieur en télécommunications qui travaillait pour l’organisation terroriste, se retrouve suspendu au plafond à l’aide d’une chaîne reliée à ses poignets, eux-mêmes entravés dans son dos. Une dizaine d’encagoulés se relaient pour le frapper, lui promettent une exécution prochaine et assènent des décharges électriques à cet employé fidèle depuis plus d’un an de la Dawla. Lofti, pensant bien faire, avait eu le tort de rétablir le réseau GSM en plein affrontement à Raqqa entre l’État islamique et l’armée syrienne. « Les dirigeants de l’EI n’avaient pas été avisés que le réseau avait été remis en place et se sont aperçus pendant les combats que les soldats de Bachar avaient pu[l’]utiliser pour appeler des renforts. Du coup,[…] j’ai été accusé d’être un espion français. »

D’autant plus que, selon l’ingénieur, le calife Abou Bakr al-Baghdadi participait au combat et aurait été blessé à cette occasion. Après huit mois dans les mains de l’Amniyat, Lofti sera remis en liberté. « Un piège, pensera l’ingénieur. Un moyen pour eux pour qu’ils découvrent mes éventuels complices. » 

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Munis de cartes plastifiées blanches avec leur photo d’identité et un tampon de la Dawla islamiya barré de la mention « Khola Chasa »[forces spéciales – ndlr], les AMNI travaillent, quand ils ne se promènent pas anonymes dans la foule, encagoulés. C’est ainsi qu’ils emmènent leurs suspects au stade municipal.

À Alep, la prison de l’Amniyat se loge au sous-sol de l’hôpital ophtalmologique. À Tabqa, dans les souterrains d’une grande tour à l’entrée de la ville, ailleurs dans une usine de bonbons. À Raqqa, elle se niche dans les entrailles d’un stade de foot. L’enceinte est suffisante pour accueillir les sièges des « polices militaires, islamiques et secrètes » et leurs détenus. La population carcérale y est variée. « Il y avait de tout. Un médecin était accusé d’avoir trop d’argent[…], des gens accusés de prendre de la drogue. Et il y avait plein de gens qui ne savaient pas pourquoi ils étaient là », énumère un consultant informatique vite désillusionné.

L’ancienne salle de musculation fait office de pièce commune pour le tout-venant des prisonniers, les vestiaires servent de cellules individuelles pour les clients les plus dangereux ou les plus sensibles. En l’espèce, les djihadistes déploient une certaine ingéniosité. Ainsi, lorsqu’il faut déporter des otages à Cheikh Najar, une zone industrielle au nord d’Alep, des djihadistes français membres du service de sécurité mandent des ouvriers locaux pour monter des cloisons dans une fabrique de meubles, avant de construire et de poser eux-mêmes des portes blindées, poussant le raffinement jusqu’à aménager un sas d’accès sécurisé au sous-sol.

Le moindre déplacement à l’intérieur du stade de Raqqa se fait les yeux bandés. Les interrogatoires sont menés par des hommes encagoulés. Les questions aux détenus étrangers portent sur la raison de leur présence sur les territoires de l’État islamique. Et il ne s’agit pas de prendre des libertés avec la vérité. Les AMNI ont recours à un procédé diabolique d’efficacité pour débusquer les taupes.

  • À suivre, l’épisode 2 : La Taupe d’A