Autant le dire tout de suite, sur le terrain économique, il n’y a pas de divergences majeures entre Emmanuel Macron et son nouveau premier ministre François Bayrou. Et donc aucune chance de voir ce nouvel exécutif infléchir la politique économique menée depuis 2017.
En plein crépuscule macronien, François Bayrou était l’un des derniers observateurs extérieurs à encore célébrer sans sourciller la politique économique « d’attractivité » menée depuis 2017 – politique qui a consisté à flexibiliser le marché du travail, à baisser la fiscalité du capital et à mener des réformes structurelles (retraites, chômage…) – ainsi que le « courage » de son ami président avec qui il parle « trois fois par semaine depuis huit ans », aime-t-il rappeler.
Comme tout le bloc central, François Bayrou estime que c’est cette politique de l’offre qui a permis de réduire le chômage de deux points de pourcentage depuis 2017. Une analyse que nous avons déconstruite à plusieurs reprises dans nos colonnes (ici et là dernièrement).
Emmanuel Macron et François Bayrou à Pau, dans le sud de la France, le 13 janvier 2020. © Photo Georges Gobet / AFP
Mais en tant que premier ministre, il pourrait tout de même être tenté de mettre son grain de sel dans l’économie française, d’abord via le projet de loi de finances pour 2025 qui devra être présenté au Parlement lors du premier trimestre de l’année prochaine – la loi spéciale assurant, d’ici là, la continuité de l’État, faute de budget adopté à date. Il est donc intéressant de rappeler quelles sont les obsessions de François Bayrou en matière économique.
Sa plus connue concerne la nécessité de réduire drastiquement la dette publique, qu’il a toujours érigée en priorité. C’était son principal thème de campagne quand il était le représentant du centre aux élections présidentielles de 2007 et 2012. « Dette de l’État, dette d’aide des collectivités locales, dette de la Sécurité sociale... Il faut que cela s’arrête ! », lançait-il en 2007, et de déclarer en 2012 : « Le premier devoir de l’État, c’est de bien gérer. » À l’époque, il promettait même de ramener les comptes publics en excédent pour les années 2016-2017, ce qui n’a jamais été fait depuis cinquante ans.
Encore aujourd’hui, c’est souvent à l’évocation de ce sujet de la dette publique – qui représente 112 % du PIB – qu’il monte sur ses grands chevaux pour fustiger un fait « moralement insupportable », qu’il qualifie de « fardeau qui va retomber sur les générations futures ».
Les retraites dans le viseur
Certes, il semblait avoir mis de l’eau dans son vin au moment de la crise sanitaire. Juste après avoir été nommé haut-commissaire au plan par Emmanuel Macron, il proposait début 2021 une rallonge de 250 milliards d’euros à la relance de l’économie française déjà prévue, afin de soutenir « tous les secteurs stratégiques d’avenir, qu’ils touchent à la recherche, à l’innovation, en particulier dans le secteur numérique ». Il fallait bien, du reste, justifier l’existence de son haut-commissariat, qui n’avait de planificateur que le nom.
Mais François Bayrou estime toujours qu’il y a des économies à aller faire ailleurs, que ce soit au sein de l’administration de l’État – depuis qu’il est maire de Pau, il est toutefois moins sévère qu’avant sur le train de vie des collectivités locales –, de l’assurance-chômage, comme il l’expliquait ici, et surtout du système des retraites.
Début 2023, il s’est même découvert une nouvelle marotte – dont il parle encore aujourd’hui : le déficit « caché » des retraites. Sur France Inter, il expliquait que « notre système de retraite est depuis très longtemps en déficit extrêmement grave. […] Il y a un déficit de 30 milliards d’euros tous les ans […], c’est l’État qui apporte cette somme pour arriver à un équilibre. Car les chiffres repris habituellement ce sont des chiffres après versement de 30 milliards de l’État ». Et d’alerter : « L’État n’a pas cet argent », mais il « emprunte tous les ans ».
Il a même été reçu par le Conseil d’orientation des retraites (Cor) pour s’expliquer sur ses calculs, relatés dans une note du Haut-Commissariat au plan. Mais il a peu convaincu, comme l’expliquait cet article d’Alternatives économiques.
Pourtant, François Bayrou pense toujours que ce supposé déficit caché, s’il avait été rendu public, aurait permis de faire accepter la réforme des retraites de 2023 à la population, qui se serait alors rendu compte de son impérieuse nécessité pour l’équilibre des comptes publics...
Pas contre taxer un peu les riches
Cependant, il faut le dire, pour faire baisser les déficits, François Bayrou ne pense pas qu’aux dépenses. Il ne s’est jamais montré hostile à une hausse – certes modérée – de la fiscalité quand cela s’impose. Ce qui, pour le coup, le démarque de la Macronie.
En 2012, il proposait par exemple une baisse du déficit de 100 milliards d’euros sur cinq ans, mais répartie à parts égales entre les dépenses et les recettes, avec notamment un coup de rabot sur les niches fiscales. Par ailleurs, il est l’un des rares alliés du camp macroniste à avoir critiqué la suppression de l’ISF en 2018, qui aurait dû selon lui se limiter à « exonérer l’investissement productif, celui qui va vers les usines, les entreprises […]. Mais on est allé, au prix de pressions multiples, variées et efficaces, plus largement vers beaucoup d’autres aspects de la richesse et notamment des placements non tournés vers la production ».
Rappelons, pour bien comprendre, que ce qui a fait le succès politique de François Bayrou dans les années 2000 a été notamment sa démarcation à droite du côté bling-bling de Nicolas Sarkozy qui promettait en grande pompe le bouclier fiscal pour ses amis milliardaires.
On a aussi vu François Bayrou remettre en place la position critique des macronistes, Gabriel Attal et Gérald Darmanin en tête, vis-à-vis du projet de loi de finances 2025 de Michel Barnier qui taxait trop, selon eux, les grandes entreprises et les plus aisés. « Il serait singulier que l’ex-majorité critique le nouveau gouvernement sur l’effort à accomplir pour corriger un bilan qui est en réalité le sien », avait ainsi déclaré François Bayrou au JDD.
Tout cela porte à croire que le nouveau projet de loi de finances 2025 qui sera proposé par le gouvernement de François Bayrou – s’il tient jusque-là – ne sera pas excessivement éloigné sur le fond de ce qui a été proposé par celui de Michel Barnier. Avec des coupes dans les services publics et le modèle social, et des hausses d’impôts mesurées sur les très riches, en somme. Ou comment faire du neuf avec du vieux.
Mathias Thépot