Après sa dissolution, Macron continue de faire semblant de diriger un pays dont la représentation nationale ne laisse aucun doute sur l’absence de majorité. D’abord un gouvernement démissionnaire de deux mois, puis les gesticulations d’un gouvernement de droite pendant 3 mois, maintenant encore un autre gouvernement fantoche avec à sa tête le dernier martyr du camp présidentiel : peu importe qui est nommé à Matignon, nous n’aurons aucun gouvernement actif en l’état.
Tout le monde médiatique semble passionné par ces querelles de palais et pour cause, le spectacle est bien plus divertissant qu’à l’accoutumée :
• L’extrême droite a choisi le chaos pour détourner l’attention de son procès de corruption massive au parlement européen et se poser en parti de l’Ordre libéral alternatif à la Macronie.
• Le NFP se divise avec Faure, Roussel et Tondelier exécutant une danse du ventre pour Macron, afin de montrer qu’ils incarnent toujours une gauche d’accompagnement, capable à tout moment de venir sauver le capitalisme en détresse.
• Au milieu, la minorité présidentielle fait les fonds de tiroir et sort de son chapeau François Bayrou. Celui qui a fait émerger l’espace politique de Macron mais qui n’a jamais pu s’entendre avec le mégalomane de l’Élysée a été choisi pour devenir le 1er ministre de la Ve République. Retour à la case départ.
La crise du régime est totale : parfois il y a des ministres parfois non, des lois sont votées puis annulées, le budget est reporté, Macron ne démissionnera pas mais ne dirige plus rien. L’ordre n’est plus maintenu par le pouvoir politique, mais par le pouvoir policier d’une part (qui réprime toujours avec violence la contestation du capitalisme : on a vu les paysans de la Confédération paysanne matraqués et embastillés, pendant que ceux de la FNSEA et de la Coordination Rurale font ce qu’ils veulent), et par le pouvoir médiatique d’autre part (qui poursuit l’angélisation de l’extrême droite et la diabolisation de la gauche). De fait, la stabilité sociale tient aussi sur d’autres parties du corps social : l’inertie des syndicats qui ne profitent pas de la vacance du pouvoir est ici éloquente. Il y a un siècle déjà Antonio Gramsci démontrait que, dans nos vieilles République bourgeoises, le rôle de l’État était secondaire pour assurer le maintien du régime capitaliste : l’État n’est que la tranchée derrière laquelle se trouvent les citadelles de la société civile qui tiennent réellement le régime en place. Pendant ce temps, les grandes entreprises continuent leurs avancées : la SNCF casse son fret pour favoriser le transport routier, le groupe agricole Avril du président de la FNSEA conclut un accord avec TotalEnergie et d’autres géants de l’énergie pour réorienter l’agro-industrie française dans la production de « biogaz » et le développement de la méthanisation, qui va artificialiser encore plus nos sols et nous priver de la possibilité d’une autonomie alimentaire. Enfin l’Union Européenne avance sur l’accord de libre-échange avec le MERCOSUR sud-américain. Le capitalisme n’a pas besoin d’un gouvernement pour faire sa loi.
Mais quelles sont les perspectives ?
Pour la classe dominante, le chaos est toujours l’occasion de faire des affaires, c’est la stratégie du Choc décrite par Naomi Klein, et Macron a toujours su utiliser les crises pour rebondir. Beaucoup croient à l’usage de l’article 16, qui lui donnerait les pleins pouvoirs, mais cette option est peu réaliste tant les chances d’échec, comme récemment en Corée du Sud, sont grandes. Cela reviendrait presque à démissionner directement. L’une de ses solutions serait plutôt une réforme constitutionnelle pour renforcer encore l’exécutif de la Ve République. La voie la plus simple serait le passage à une forme d’élection législative à la proportionnelle, qui, avec une prime majoritaire en nombre de députés, donnerait une majorité absolue au parti arrivé en tête. Cette proposition est dans le programme du RN. Beaucoup de forces de gauche et de droite prônent également une proportionnelle, mais sans prime majoritaire, mais elle conduirait à établir un régime parlementaire de coalition comme en Italie ou en Allemagne ; cela confirmerait une situation politique tripartite insoluble comme aujourd’hui et ne conviendrait pas à l’agenda de Macron. Bayrou a toujours défendu le passage à la proportionnelle, et il pourrait profiter de son éphémère passage pour enclencher une réforme de ce type, sans que l’on sache quelle forme exacte elle pourrait prendre. S’il trouve une formule hybride qui contente autant le RN que la gauche, la proportionnelle pourrait être adoptée par un référendum où Macron serait reboosté, comme en 2000 pour le référendum sur le quinquennat proposé par Chirac et Jospin, avec l’appui de la quasi-totalité de la classe politique.
Pour nous, il faudrait saisir une telle opportunité pour destituer le monarque, sans regard sur la forme de république bourgeoise qu’il nous proposera. Cependant, attendre que Macron dicte encore l’agenda n’est pas une bonne idée. Les Insoumis jouent tant qu’ils le peuvent la carte de la destitution par les institutions, en votant des censures à répétition et en appelant à la démission du Président ; ils jouent la carte d’une véritable opposition institutionnelle. Cependant, ils ne participent pas plus que les syndicats à l’ouverture d’un front populaire dans la rue et les entreprises. Ils sont soumis à une logique exclusivement présidentialiste, considérant que seule la victoire d’un sauveur suprême permettra de changer la vie, ce qui est une illusion. Notre projet à court terme doit être la Constituante qui pourrait se mettre en place après une victoire du NFP, permettant de changer la constitution et d’aller vers une 6éme République à la fois parlementaire et communarde.
L’année dernière, lors du mouvement contre la réforme des retraites, une motion de censure avait échoué à 10 voix près lors de l’usage du 49.3. Une manifestation spontanée place de la Concorde avait eu lieu alors, ainsi que d’importantes émeutes urbaines.
Lors de la chute de Barnier la semaine dernière, rien de tel, ce qui est symptomatique d’un manque de perspective. Il faut réchauffer le climat social impérativement.
• Dans les syndicats, la pression doit monter contre les directions inertes. En particulier dans le monde ferroviaire, il faut renforcer la mobilisation contre la destruction du fret et parce que le rail reste l’un des secteurs clefs pour bloquer le pays par la grève.
• Dans le Nouveau Front Populaire, il faut renforcer et constituer toujours plus d’assemblées locales, et agir sans attendre les consignes partisanes, pour éviter que les génuflexions des trois partis de la gauche modérée ne désespèrent définitivement les gens et n’ouvrent définitivement la porte du pouvoir à l’extrême droite.
• Dans les facs, il est temps que les étudiants prennent leurs responsabilités, cela fait des années que le monde militant universitaire est mort ; il a su renaître autour de l’Union Étudiante, du Poing Levé et des forces autonomes, mais si ces nouvelles organisations sont incapables d’emmener la jeunesse à prendre la direction d’un mouvement social d’ampleur, alors elles n’ont rien à envier au vieil UNEF socialiste. Il faut bien voir qu’aujourd’hui la mobilisation dans les lycées est bien plus fortes !
Notre passivité donne le point à l’extrême droite qui va bénéficier d’un regain de force avec la réélection du fasciste Trump. Plus que jamais nous devons nous unir dans notre diversité et bâtir l’alternative à leur monde nécrosé. OppriméEs, alliéEs, féministes, ouvrierEs, paysanEs, voyageurs, coloniséEs, handicapéEs, écoloEs, gilets jaunes, LGBTQIA+, communeux, partageux, sans-papiers, oubliéEs, sorcières, militantEs, jeunes, chômeurs, retraitéEs : il faut que tout le monde s’y mette pour que la Ve République ne sombre pas dans un Nouvel État Français mais qu’elle meure en faisant naître une Seconde Commune sociale et écologiste !
PEPS