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Les astéroïdes

Les astéroïdes Troyens (IV)

De part et d'autre de Jupiter, sur les célèbres points d'équilibre de Lagrange, se trouvent les astéroïdes Troyens. Ils se divisent en deux groupes, chacun formant un angle de 60° avec le Soleil. Il s'agit de deux zones de stabilité gravifique dans lesquelles les astéroïdes peuvent conserver une orbite stable, en équilibre sous l’influence conjuguée de Jupiter et du Soleil. Le groupe Achille se trouve en avant de Jupiter (Point L4 de Lagrange) et Patrocle en retrait (point L5).

Au 1er janvier 2000, les astronomes en avaient découvert 257 qui brillent à la magnitude moyenne de 16. En 2018, on dénombrait plus de 7000 astéroïdes Troyens dont les deux-tiers sont situés sur le point de Lagrange L4 et un tiers sur le point de Lagrange L5. Nous verrons à propos du Grand Tack que le mystère de cette asymétrie a été expliqué en 2019 grâce à des simulations de la migration de Jupiter et des astéroïdes Troyens.

Une étude photographique indiquerait qu'il existe environ 240000 corps dont le diamètre est supérieur à 2 km et environ 600000 corps de plus de 1 km de diamètre.

Ces astéroïdes sont des chondrites carbonées auxquels se mêlent quelques sidérolites, c'est-à-dire des petits corps riches en fer, nickel et silicates qui intéressent beaucoup les entreprises minières. On y reviendra.

Parmi les Troyens, citons Hector, un astéroïde binaire de type D qui mesure environ 370 x 195 km.

Une famille spécifique

Au cours d'une conférence de l'AAS consacrée aux sciences planétaires qui s'est tenue en 2018, David Jewitt de l'UCLA a démontré sur base d'analyses colorimétriques et chimiques que la nature des astéroïdes Troyens est différente des astéroïdes de la Ceinture de Kuiper (KBO) et n'ont donc pas la même origine que ces derniers. Selon son collègue Scott Sheppard de l'Institution Carnegie des Sciences qui publia un article sur le sujet en 2006 en collaboration avec Chad Trujillo de l'Université de North Arizona (NAU), les Troyens sont probablement les débris restants non accrétés après la formation des planètes. Leur couleur notamment montre qu'il s'agit d'un groupe distinct de corps célestes formant une famille spécifique. Si les planètes géantes ont migré vers leur orbite actuelle (cf. le Grand Tack), l'étude de ces Troyens pourrait révéler des détails sur la manière dont cette migration s'est produite. Nous verrons plus loin (page 7) que la NASA a justement planifié la mission Lucy en 2021 pour explorer onze astéroïdes dont six satellites Troyens de Jupiter.

A voir : Simulation des interactions entre Jupiter, les astéroïdes Troyens et la Terre

Les poins de Lagrange

A gauche, les lignes de contours du potentiel effectif induit par l'énergie des corps liés gravitationnellement et de la force centrifuge autour des points de Lagrange L1 à L5 représentant des zones de stabilité gravifique. Les flèches rouges indiquent un gradient de potentiel attractif, les flèches bleues un gradient de potentiel répulsif. Voici la section de Poincaré montrant les zones de résonances et les zones chaotiques (librations). Un astre gravitant dans l'un des points L1 à L5 gravite dans une zone stable. Une figure similaire existe autour de toutes les planètes. Au centre et à droite, simulations de l'évolution des astéroïdes Troyens autour de Jupiter (en vert). Cliquez ici pour lancer une animation préparée par l'AICAS (GIF de 1.9 MB) simulant l'emplacement des Troyens entre 2021 et 2033 et cliquez sur l'image de droite pour lancer une deuxième animation (Mpeg de 3.2 MB). Documents Xander89/Wikipedia, Kazuyuki Tanaka, Petr Scheirich, AICAS et Paul Wiegert.

Etant donné que des points de Lagrange existent autour de toutes les planètes et même autour des lunes les plus massives, il existe au moins 5 astéroïdes Troyens non associés à Jupiter :

-  Eurêka de 3 km de diamètre qui est gravitationnellement lié à Mars

-  2001 QR322 qui est lié à Neptune

-  Télesto (point L4) et Calypso (point L5) associés à Téthys (Saturne)

-  Hélène (point L4) gravitant près de Dionée (Saturne)

-  Cruithne associé à la Terre.

Autres familles et groupes d'astéroïdes

Sur base de leurs paramètres orbitaux (demi-grand axe, excentricité et inclinaison), plusieurs utres familles ou groupes composent la Ceinture principale dont un diagramme simplifié est présenté à droite :

Distributions des astéroïdes. Adapté de l'Encyclopaedia Britannica.

 - Le groupe Hungaria. Ce groupe est nommé d’après l'astéroïde Hungaria qui présente un diamètre de 11 km. Ces astéroïdes orbitent entre 1.78 UA et 2 UA du Soleil et présentent une période orbitale d’environ 2.5 ans. Ils ont une excentricité ≤ 0.18 et une inclinaison comprise entre 16° et 34° et sont en résonance 9:2 avec Jupiter et 3:2 avec Mars.

- La famille de Flore. Cette famille a été nommé d’après l’astéroïde Flore qui mesure 140 km de diamètre et qui représente environ 80% de la masse totale de cet ensemble. Ce petit groupe résulterait de l'accrétion de fragments créés suite à l'impact ou aux impacts d'un corps plus massif. Cette famille orbite entre 2.17 UA et 2.33 UA du Soleil. Leur excentricité est à l'étude.

L’un de ses membres est Gaspra qui fut visité en 1991 par la sonde Galileo en route vers Jupiter. Les nombreux cratères visibles à sa surface suggèrent que cette famille est âgée d'environ 200 millions d’années.

- Le groupe de Cybèle. Ce groupe d'astéroïdes orbite dans la partie externe de la Ceinture principale et ses membres présentent un demi-grand axe compris entre 3.27 UA et 3.70 UA. Il a été nommé d'après l'astéroïde Cybele. Ce groupe résulterait de la désagrégation d’un gros astéroïde et comprend notamment les objets Sylvia, Pretoria et Hermione.

- Le groupe Hilda. Les membre de ce groupe sont en résonance 3:2 avec Jupiter. Ils orbitent entre 3.70 UA et 4.20 UA du Soleil sur des orbites elliptiques, justifiant le terme de groupe et non de famille. La particularité orbitale de ce groupe est de présenter à tout moment une configuration triangulaire qui semble stable à long terme.

Enfin, il existe d'autres groupements moins significatifs comme les groupes de Phocaea, de Griqua, la famille de Nysa, les zones des astéroïdes EGA de Koronis, Pallas ainsi que les zones d'Eos et de Thémis.

Les lacunes

Bien que la plupart des astéroïdes se concentrent dans un anneau situé entre l’orbite de Mars et de Jupiter, leur distribution au sein de celui-ci n'est pas régulière. Il existe quatre zones vides d'astéroïdes, appelées les "lacunes de Kirkwood" en hommage à l’astronome américain qui les découvrit en 1867, dans lesquelles la distribution des astéroïdes n'est pas aléatoire. Grâce à des simulations informatiques et au concept génial d'espace des phases de Poincaré, Dermott et Murray[4] ont démontré en 1983 que ces lacunes coïncidaient avec des zones de résonances gravitationnelles, où l'influence de Jupiter interdisait à tout corps de se maintenir.

Les équations du mouvement des astéroïdes n’étant pas linéaires - pas plus que celles des planètes sur plusieurs millions d'années -, sur base des équations de la dynamique non linéaire de telles lacunes sont presque toujours voisines de zones très instables, dites chaotiques.

Malgré cela, la ceinture externe d'astéroïdes prouve qu'ils peuvent se maintenir dans des zones de résonance pendant quelques centaines de milliers d’années[5]. Ces orbites sont remarquables car elles occupent des emplacements où la période de révolution est un sous-multiple entier de celle de Jupiter; la planète exerçant une force telle qu'un astre situé à cet endroit serait détruit ou expulsé. Ces lacunes se situent respectivement à 2.5 UA (lacune d’Hestia, période 1/3 de celle de Jupiter), 2.8 UA (2/5), 3.0 UA (3/7) et 3.2 UA (lacune d’Hécube, période 1/2). Ce phénomène de résonance n'est pas propre à Jupiter et rappelle la distribution de la matière dans l'anneau ajouré de Saturne.

Selon V.Safronov et T.Gehrels de l'Université d’Arizona, cette distribution anormale des astéroïdes remonte à l'époque de la formation du système solaire. Des planétésimaux d'une taille d'environ 100 km, éjectés de leur orbite par l’effet gravitationnel de Jupiter seraient venus croiser vers 2 UA, bouleversant la formation d’une planète entre Mars et Jupiter.

J.Widsom de MIT découvrit en 1983 que dans l’espace des phases que lui dessinait son ordinateur pour certaines valeurs orbitales, des îlots chaotiques apparaissaient autour des trajectoires bien régulières. Cela signifiait que les orbites proches des résonances 3/1 entraînaient des bouffées d'excentricités aléatoires dans la ceinture d'astéroïdes. Ceux-ci auraient pu se rapprocher de Mars dès que leur excentricité aurait dépassé 0.33. Un effet gravitationnel les aurait alors éjecté de leur orbite, créant progressivement les lacunes observées. Nous retrouvons ce genre de fluctuations orbitales dans le comportement du satellite Hypérion de Saturne et des comètes.

L'orbite de 3753 Cruithne. Document Paul Wiegert.

Les astronomes ont également découvert 5 groupes d'astéroïdes qui décrivaient pratiquement les mêmes orbites : Flora, Eros, Thémis, Coronis et Maria. Il semblerait qu'ils aient formé un objet de quelque 300 km de diamètre qui se serait fragmenté suite aux phénomènes de résonances.

Le satellite de détection infrarouge IRAS a également découvert trois bandes zodiacales associées aux trois familles d'astéroïdes Thémis, Kronos et Eos. Cette poussière serait issue de la fragmentation d'un astéroïde parent, la poussière s'étant maintenue par la force du champ gravitationnel.

Enfin, en 1986 les astronomes ont découvert un petit objet de 5 km de diamètre qu'il ont baptisé 3753 Cruithne. Cet astéroïde est un géocroiseur NEA de la famille Aten qui a la particularité de traverser l'orbite terrestre ainsi que celui de Vénus pour s'éloigner pratiquement jusqu'à l'orbite de Mars.

Cruithe boucle son orbite en 385 ans. Il n'y a aucun risque de collision avec la Terre car cet astéroïde présente une inclinaison orbitale de 20°.

Ce géocroiseur nous escorte semble-t-il depuis environ 100000 ans et nous suivra encore durant environ 5000 ans à une distance respectable minimale d'environ 15 millions de kilomètres.

Deux autres géocroiseurs ont le même comportement et on soupsçonne Vénus d'être également escortée d'un tel astéroïde qui par extension peuvent presque être considérés temporairement comme des satellites naturels.

Des satellites autour des astéroïdes

Nombreux sont les astéroïdes qui éclipsent les étoiles. A la faveur d’une occultation, les astronomes découvrirent à la fin des années 1970 que ces petits corps pouvaient également s’entourer satellites. Au cours de la première décennie qui suivit, on découvrit une vingtaine d'astéroïdes binaires. Mais le phénomène s'avéra beaucoup plus courant que prévu. En 2019, on dénombrait 352 astéroïdes binaires (contre 243 en 2018) dont 72 EGA, 14 astéroïdes triples, 5 Troyens binaires et 87 TNO multiples.

Ces petits compagnons de voyage accompagnent par exemple Pallas, Eros, Apollo, Herculina, Ida, Métis, Melpomène ou Makémaké. Certains sont des astéroïdes de la Ceinture principale, d'autres des EGA des groupes Amor ou Apollo, des Troyens ou encore des TNO. Les plus grands mesurent environ 50 km de diamètre et ne sont en fait que d’autres astéroïdes capturés.

Certains astéroïdes sont également entourés de plusieurs satellites, formant de petits systèmes gravifiques indépendants comme Florence découvert en 1979 qui mesure 4.4 km de longueur et Cléopatre de 217x94x81 km - le fameux astéroïde en forme d'os ou d'haltère - qui sont escortés par 2 satellites. Florence passa à 7 millions de kilomètres de la Terre le 1er septembre 2017 et fut visible dans une petit télescope à la magnitude 9. Son passage fut également diffusé en direct sur YouTube.

A voir : Passage de 3122 Florence le 31 août 2017, Telescope Virtuel de 43 cm

L'astéroïde Ida (70 x 25 km) et son petit satellite Dactyl (1500 m) photographiés par Galileo le 28 août 1993. Des images prises en infrarouge révèlent qu'ils ont la même constitution. Document Galileo Project/NASA/JPL.

L'astéroïde 762 Pulcova de 137 km de longueur et son satellite qui fut découvert le 22 février 2000. Il mesure 15 km et orbite à 800 km de distance. Sa densité serait de 0.9. Document CFHT.

L'astéroïde 90 Antiope est constitué de deux corps de 93 et 88 km de longueur tournant l'un autour de l'autre en 16.5 heures. Cliquer sur l'image pour lancer l'animation.

Selon la NASA, 15% des astéroïdes géocroiseurs de plus de 200 mètres de longueur sont binaires mais des systèmes de masse égale comme 2017 YE5 sont beaucoup plus rares.

Le système binaire 2017 YE5

2017 YE5 fut découvert le 21 décembre 2017 par Claudine Rinner et ses collègues lors d'un sondage effectué grâce au télescope TRAPPIST-Nord de 600 mm f/7 de diamètre de l'Observatoire d'Oukäimeden installé dans l'Atlas marocain et géré par l'Université Cadi Ayyad de Marrakech.

À cette époque, les astronomes ne connaissaient qu'un seul objet. Mais des observations radars effectuées avec l'antenne GSSR de Goldstone le 21-22 juin 2018 lors de son passage au plus près de la Terre (6 millions de kilomètres ou ~16 fois la distance Terre-Lune) puis le 25 juin avec les antennes d'Arecibo et de Green Bank révélèrent comme on le voit ci-dessous à gauche qu'il s'agissait en fait d'un système binaire dont les deux astéroïdes mesurent environ 900 m de diamètre. Ils ont une forme ellipsoïdale mais dont la différence de longueur entre les trois axes est peu marquée. Ils pourraient être de composition différente.

Parmi les NEO et les astéroïdes de la Ceinture principale, c'est le 5e système binaire de ce type découvert à ce jour (après 90 Antiope, 69230 Hermes, 2020 BX12 et 2006 VW139 qui se comporte comme une comète).

A voir : Rare Double Asteroid Revealed by NASA, JPL

Image radar de l'astéroïde binaire 2017 YE5 obtenue par les radiotélescopes d'Arecibo et de Green Bank le 25 juin 2018. Chaque objet mesure environ 900 m. Cliquer sur l'image pour lancer l'animation. Document Arecibo/GBO/NSF/NASA/JPL-Caltech.

L'astéroïde Eugénia (surexposé) et son satellite. Document SwRI/ESO/CFHT.

Preuve qu'ils ont déjà subi des perturbations gravitationnelles, ils ne voyagent pas de conserve mais tournent l'un autour de l'autre en 20 à 24 heures sur une orbite dont le demi-grand axe mesure 2.82 UA incliné de 6.21° avec une excentricité de 0.71. Leur période de révolution est de 1730 jours (4.74 ans). Il s'agit de NEO appartenant au groupe Apollo.

Bien que soumis aux influences à N corps de tous les autres astres proches d'eux, pour l'instant ils sont gravitionnellement mutuellement verrouillés comme la Lune autour de la Terre. Cette configuration est stable et peut durer aussi longtemps qu'ils ne sont pas perturbés. Mais il suffirait qu'ils frôlent un astre très massif (planète) d'un peu trop près ou soient percutés par un autre objet conséquent pour qu'ils lâchent leur fragile emprise mutuelle, ce qui serait un évènement extraordinairement rare à observer.

Nous verrons que plusieurs TNO sont également binaires.

Elektra, un système quadruple

Le record est actuellement détenu par l'astéroïde Elektra (ou Electre) découvert en 1873 par l'astronome américain Christian Peters. Cet astéroïde de la Ceinture principale mesure 182 km de longueur (magnitude H=7.12) et présente un demi-grand axe de 3.1 UA.

Elektra possède 3 lunes : S/2003 (130) alias S1 mesure 7 km et effectue sa révolution en 5 jours à 1318 km de distance, S/2014 (130) 1 alias S2 mesure 5.2 km et effectue sa révolution en 1.2 jour à 460 km de distance, et S/2014 (130) 2 alias S3 mesure 1.6 km de longueur et effectue une révolution en 16 heures à 345 km de distance (cf. CBAT 5066).

Photos des trois lunes d'Elektra obtenues en 2014 avec l'optique adaptative SPHERE du VLT de l'ESO avec leur orbite respective en incrustation (S1 en rouge, S2 en vert et S3 en bleu). Documment A.Berdeu et al. (2022).

La lune S3 fut découverte dans les données enregistrées par l'optique adaptative SPHERE (Spectro-Polarimetric High-contrast Exoplanet REsearch facility) du VLT de l'ESO archivées en 2014, les mêmes qui avaient permis de découvir la lune S2. C'est une nouvelle technique de traitement d'image (une réduction de données plus un algorithme de reconstruction de la fonction d'étalement pour modéliser le halo de l'astéroïde principal) qui a permis de l'extraire du bruit de fond sur les images enregistrées les 9, 30 et 31 décembre 2014 (cf. A.Berdeu et al., 2022).

Didymos et Dimorphos

L'astéroïde binaire Didymos (65803) est un astéroïde carboné de la famille des NEO potentiellement dangereux pour la Terre (PHA) de 780 m de diamètre qui orbite à moins de 1.3 UA du Soleil. Il est accompagné d'une petite lune nommée Dimorphos de 160 m de longueur.

En 2022, la NASA en collaboration avec l'ESA envoya avec succès la sonde spatiale DART (Double Asteroid Redirection Test) percuter Dimorphos pour tester en conditions réelles la technique de l'impacteur cinétique. On y reviendra. Suite à l'analyse des données de cette mission, l'équipe scientifique de DART a découvert de nouvelles informations sur les origines du système binaire et pourquoi le vaisseau spatial DART a si facilement dévié l'orbite de Dimorphos.

Ces découvertes ont fait l'objet de cinq articles publiés dans la revue "Nature Communications" en 2024 dans lesquels les chercheurs ont exploré la géologie du système binaire Didymos-Dimorphos pour caractériser son origine et son évolution et contraindre ses caractéristiques physiques.

A gauche, une vue générale de l'astéroïde Didymos de 780 m de diamètre (à droite) et de sa lune Dimorphos de 160 m de diamètre (en haut à gauche) prise par la caméra DRACO de la sonde spatiale DART le 26 septembre 2022. A droite, une vue générale de Dimorphos prise environ 1 minute avant l'impact de la sonde DART à 68 km de distance. Malgré son aspect solide, la surface de Didymos est instable et on s'y enfonce comme dans un tas de bille. Documents NASA/JHUAPL.

Dans un premier article, Olivier Barnouin et Ronald-Louis Ballouz du Laboratoire de Physique Appliquée de l'Université Johns Hopkins (JHUAPL) ont analysé la géologie des deux astéroïdes et sont parvenus a tirer des conclusions sur les matériaux de leur surface et leurs propriétés intérieures.

À partir d'images enregistrées par le cubesat LICIACube 6U qui fut éjecté de la sonde spatiale DART 10 jours avant l'impact, les chercheurs ont observé la topographie de la petite lune Dimorphos qui présente des rochers de différentes tailles. En comparaison, Didymos est plus lisse aux basse latitudes et bien plus accidenté aux hautes latitudes comme illustré ci-dessous, et présente proportionnellement plus de cratères que Dimorphos. Les auteurs en ont déduit que Dimorphos s'était probablement détaché de Didymos suite à une perte de masse importante.

Comment un astéroïde peut-il perdre de la matière ? A part une collision (rasante ou même frontale si l'impacteur est petit) qui peut éjecter une partie sensible de la masse d'un astéroïde tout en préservant sa cohésion, il existe des processus naturels n'impliquant aucune collision qui peuvent accélérer la rotation des petits astéroïdes ou modifier leur surface. En effet, il existe de plus en plus d'indices que ces processus peuvent être responsables de la refonte de ces corps ou même leur donner l'impulsion nécessaire pour éjecter des roches hors de leur surface.

Didymos et Dimorphos ont tous deux des caractéristiques de surface faibles, ce qui a conduit Barnouin et Ballouz à postuler que la surface de Didymos est 40 à 130 fois plus âgée que celle de Dimorphos, la première étant estimée à 12.5 millions d'années et la seconde à moins de 300000 ans. La faible résistance de la surface de Dimorphos a probablement contribué à l'impact significatif de DART sur son orbite (la période ou révolution orbitale de Dimorphos s'est réduite de 32 minutes soit de 4% et il orbite à présent un peu plus près de Didymos).

Les différentes caractéristiques géologiques observées sur Didymos ont aidé les chercheurs à raconter l’histoire des origines de Didymos. La crête triangulaire de l’astéroïde (premier panneau à partir de la gauche), la région dite lisse et sa région « haute » probablement plus ancienne et plus rugueuse (deuxième panneau à partir de la gauche) peuvent être expliquées par une combinaison de processus de pente contrôlés par l’altitude (troisième panneau à partir de la gauche). Le quatrième panneau montre les effets de la perturbation par rotation que Didymos a probablement subie pour former Dimorphos. Document: JHUAPL/O.Barnouin et al. (2024).

Selon Barnouin, "À partir de ces seules images prises par DART, nous avons pu déduire une grande quantité d'informations sur les propriétés géophysiques de Didymos et de Dimorphos et élargir notre compréhension de la formation de ces deux astéroïdes. Nous comprenons également mieux pourquoi DART a été si efficace pour déplacer Dimorphos."

Maurizio Pajola, de l'Institut National d'Astrophysique (INAF) de Rome et ses collègues ont publié un article comparant les formes et les tailles des différents rochers et leurs schémas de distribution sur les surfaces des deux astéroïdes. Ils ont déterminé que les caractéristiques physiques de Dimorphos indiquent qu'il s'est formé par étapes, probablement à partir de matériaux hérités de son astéroïde parent Didymos. Cette conclusion renforce la théorie dominante selon laquelle certains systèmes d'astéroïdes binaires proviennent des restes d'un astéroïde primaire plus gros s'agrégeant pour former un nouvel astéroïde satelllite.

Alice Lucchetti, également de l'INAF, et ses collègues ont découvert que la fatigue thermique (l'affaiblissement et la fissuration progressifs d'un matériau causés par la chaleur) pouvait rapidement briser les rochers à la surface de Dimorphos, générant des fractures en surface et modifiant les caractéristiques physiques de ce type d’astéroïde plus rapidement qu'on ne le pensait auparavant. La mission DART fut probablement la première à observer un tel phénomène sur ce type d'astéroïde.

A voir : Simulation de la formation de Dimorphos (MP4)

Sur la base des propriétés internes et de surface décrites par Olivier Barnouin et Ronald-Louis Ballouz du JHUAPL en 2024, cette simulation (voir le lien ci-dessus) montre comment la rotation de l'astéroïde Didymos aurait pu conduire à la croissance de sa crête équatoriale et à la formation du petit astéroïde satellite Dimorphos. T est la période de rotation en constante évolution de Didymos. Document O.Barnouin et al. (2024).

L'équipe de la chercheuse Naomi Murdoch de l'ISAE-SUPAERO de Toulouse, en France, a déterminé que la capacité portante de Didymos (la capacité de la surface à supporter les charges appliquées) était au moins 1000 fois inférieure à celle du sable sec sur Terre ou du sol lunaire. Ce paramètre est considéré comme important pour comprendre et prédire la réponse d'une surface, y compris pour déplacer un astéroïde.

L'équipe de Colas Robin, également de l'ISAE-SUPAERO, analysa les rochers de surface de Dimorphos, en les comparant à ceux d’autres astéroïdes disposés en tas de décombres, notamment sur Itokawa, Ryugu et Bennu. Les chercheurs ont découvert que les rochers partageaient des caractéristiques similaires, suggérant que tous ces types d'astéroïdes se sont formés et ont évolué de manière similaire. L'équipe a également noté que la nature allongée des rochers autour du site d'impact de DART implique qu'ils ont probablement été formés suite à un impact.

Ces découvertes nous apportent de nouvelles perspectives sur la manière dont les astéroïdes se sont formés et évoluent au fil du temps. C'est important non seulement pour comprendre la nature des petits corps proches de la Terre qui sont au centre de la défense planétaire, mais aussi pour notre capacité à lire l'histoire du système solaire à partir de ces restes de la formation des planètes.

Origine des astéroïdes multiples

Si on exclut le cas particulier des astéroïdes binaires de masse à peu près égale, comment des petits satellites peuvent-ils se maintenir en orbite autour des astéroïdes ? Les astéroïdes ne peuvent pas d'eux-même attirer des satellites par capture gravitationnelle ou collision. Tout satellite qui tenterait de se lier à son hôte serait rapidement éjecté suite à la collision avec le noyau. Les fragments devraient finalement se libérer de l’emprise de l'astéroïde et graviter sur des orbites indépendantes, dont les éléments orbitaux seraient similaires, ainsi qu'on peut le constater dans la Ceinture des astéroïdes.

L'astéroïde Troyen binaire 617 Patrocle photographié en infrarouge (2.2 microns) avec le Keck II muni d'une optique adaptative le 28 mai 2005. La résolution est de ~58 mas. Les deux objets sont séparés de 150 mas soit 640 km, proche de leur séparation maximale. Document F.Marchis et al. (2006).

Etant donné que ces satellites existent bien autour des astéroïdes, la thérie dominante est qu'ils se sont vraisemblablement liés à l'époque de la formation de la Ceinture. 617 Patrocle, un astéroïde Troyen découvert en 1905, constitue un cas particulier. William J. Merline du SwRI et ses collègues l'ont découvert le 22 septembre 2001 grâce au télescope Gemini North de 8.1 m équipé d'une optique adaptative. Comme on le voit à droite, cet astéroïde forme également un système binaire comme le confirme la circulaire IAUC 7741. Les deux corps mesurent respectivement 105 et 95 km de diamètre. Selon Stuart J. Weidenschilling du Planetary Science Institute, Patrocle s'est probablement constitué en système binaire dans les temps primordiaux car il est improbable qu'un couple de cette taille ait subi une telle collision au cours du dernier milliard d'années. Il se serait par ailleurs fractionné et formé d'innombrables débris.

La seconde théorie mais qui semble concerner beaucoup moins d'astéroïdes, est celle d'une capture à faible vitesse de rochers éparpillés sur la trajectoire ou d'une éjection de rochers depuis la surface de l'astéroïde parent comme dans le cas du couple Didymos-Dimorphos.

Mis à part les objets unis par collision, s’il s'avère qu'un grand nombre d'astéroïdes sont escortés de satellites, cela renforcerait l'hypothèse selon laquelle l'explosion d'une petite planète serait à l'origine des astéroïdes. Reste à trouver des traces de dépôts, d'isotopes ou de métamorphisme qui témoigneraient de cette explosion.

Le travail actuel des astronomes consiste à établir s'il existe ou non un lien entre les astéroïdes et les comètes, en particulier au niveau de leur structure interne. En effet, la fragmentation de la comète Shoemaker-Levy 9 qui se produisit en 1994 lorsqu'elle s'approcha de Jupiter renforce l'idée que les comètes seraient également des corps formés par accrétion et relativement fragiles. A ce jour plus de vingt comètes se sont brisées; 4 seulement se fragmentèrent au-delà de 2 UA, dont la fameuse comète West, et 4 autres étaient périodiques.

Les astronomes aimeraient aussi savoir si les cratères d'impacts doubles découverts sur la Terre sont les traces laissées par des astéroïdes binaires ou escortés de satellites. Astéroïdes et comètes auraient ainsi plus d'un lien de parenté, d’autant plus qu'il semble exister une relation entre leur deux courbes de lumière. La comète d'Arrest par exemple est très connue. Elle présenta des fluctuations lumineuses marquées par 3 minima et 3 maxima distincts qui ressemblaient fortement à ceux que présenta l'astéroïde 1580 Betulia[6]. Une hypothèse parmi d’autres est de considérer que les deux astres sont escortés par des satellites. Mais une variation périodique de lumière peut également être provoquée par un corps de forme irrégulière.

Il n'empêche que la découverte d'astéroïdes accompagnés de satellites est un fait observationnel des plus importants pour comprendre la genèse du système solaire et la formation de ce cortège planétaire lilliputien.

Des anneaux autour des astéroïdes

Nous verrons à propos des TNO et autre KBO qu'on a découvert un anneau autour de certains petits corps. C'est le cas du TNO Chariklo (2013), de l'astéroïde Chiron (2015), de la planète naine Hauméa (2017) et du KBO Quaoar (2023). Les astronomes suggèrent que ces anneaux sont constitués de débris laissés par une collision cosmique. Le fait que les anneaux soient stables et étroitement confinés suggère que des satellites gardiens pourraient les maintenir en place.

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Le projet Spacewatch

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[4] S.Dermott et C.Murray, Nature, 301, 1983, p201.

[5] Travaux de C.Froeschlé et H.Scholl, 1975.

[6] E.Tedesco et al., Icarus, 35, 1978, p344.


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