Contes Divers de Rûmi

Il était une fois une magnifique plaine où venait pâturer un grand nombre d'animaux.

Or un lion avait l'habitude d'y faire le guet; il chassait sa proie et l'emportait avec lui.

C'est pourquoi paître dans cette prairie verdoyante était devenu un grand supplice pour les pauvres animaux.

Après avoir bien réfléchi, ils rendirent visite au lion et lui offrirent de lui apporter toute la nourriture qu'il voudrait à condition de leur laisser la vie sauve.

Mais le lion, qui était loin d'être naïf, pensa qu'ils lui préparaient un piège et refusa cette proposition.

Il leur dit : " Je préfère gagner mon pain en travaillant ".

Or les animaux jurèrent sur leur honneur et réussirent enfin à le convaincre. Selon le contrat, chaque jour l'un d'entre eux devrait se présenter au lion pour lui servir de repas, afin que les autres puissent paître en paix. La proie du félin était désignée par tirage au sort.

Un jour, ce fut le tour du lapin. Quand il l'apprit, il refusa et s'écria : " Combien de temps va encore durer cette oppression ?! "

Ils le rappelèrent à l'ordre : " Depuis tout ce temps, nous avons été fidèles à notre parole, beaucoup d'entre nous ont sacrifié leurs vies. Ne t'obstine pas en cette heure et ne tente pas de ternir notre réputation. Dépêche-toi avant qu'il ne se fâche ! "

Le lapin leur demanda un peu de temps et leur expliqua qu'il avait un plan qui pourrait à la fois sauver sa vie et les leurs. Ils eurent beau insister, ils ne purent découvrir le plan du lapin.

Il se dirigea, certes tardivement, vers la tanière du lion. Ce dernier, ne voyant pas arriver son gibier, s'était mis à mugir violemment et à griffer la terre. Il se disait qu'il n'aurait pas dû faire un tel accord avec les animaux. Il bouillonnait du fureur et rugissait violemment, quand soudain il vit au loin le lapin avancer vers lui à petit pas. Il s'emporta d'autant plus face à la tranquillité de celui-ci et hurla :

" Tu sais que je dépèce des éléphants ! Mais pour qui se prend ce minable petit lapin ?! "

Le lapin le pria de le pardonner et lui raconta ce qui lui était arrivé :

" Messire ! Je me mis en route de bonne heure. Accompagné d'un autre lapin, je me dépêchai afin de me présenter à votre majesté. Cependant, un autre lion nous attaqua. Je l'ai supplié et lui ai dit que nous étions les serviteurs du roi des rois.

Il me répondit : " Pour qui il se prend celui-là ? Je te déchiquetterai et lui aussi ! ". Je lui dis de me laisser une dernière chance pour voir mon roi et lui donner la nouvelle.

Il me dit : " Si tu laisses en otage ton ami, je t'autoriserai à partir ". Mes supplications n'ont servi à rien. Il garda mon ami et me laissa partir seul. Mon ami est plus beau et deux fois plus gros que moi ".

A ces mots, le lion devint fou de rage et dit : " Si tu dis la vérité, emmène-moi à lui pour que je le châtie comme il le mérite. Mais si tu mens, c'est toi qui subiras son sort ".

Le lapin le devançait afin de l'attirer dans le piège qu'il avait mis au point. Enfin ils arrivèrent devant un puits très profond.

" Voilà, tous deux sont là ", dit le lapin en montrant l'intérieur du puits. Le lion remarqua que le lapin se retirait et lui dit :

" Pourquoi recules-tu ? Ne reste pas derrière moi, avance devant moi !

- Ne vois-tu pas que je tremble de peur ?

Je suis comme paralysé, je ne peux bouger ni les pieds ni les mains. Mon cœur va s'arrêter de battre ", répondit le lapin.

Le lion lui imposa de regarder dans le puits et d'affirmer si l'autre lion était bien là.

" Si tu me prends dans tes bras, je serai capable de regarder " dit-il.

Le lion le prit dans ses bras et se baissa afin d'y jeter un coup d'œil. Il y vit un lion et un lapin grassouillet. Dès qu'il vit son ennemi dans l'eau, il jeta le lapin à terre et se précipita sur ce qui n'était que son propre reflet. Heureux d'avoir leurré le lion et de s'en être débarrassé, le lapin accourut vers ses amis pour leur donner la bonne nouvelle.

Tous les animaux l'étreignirent et le félicitèrent. Ils le remercièrent de leur avoir sauvé la vie.

MORALITÉ

Le lion possédait pouvoir et courage

mais manquait de sagesse.

Ainsi le lapin put se montrer plus malin que le lion, qui courut à sa perte en négligeant sa raison.

La raison humaine est telle un océan infini ; il faut être un bon nageur pour ne pas s'y noyer comme le lion.

Un corps puissant a toujours besoin d'un esprit puissant.