L'imam Mâlik Ibn Anas

Ainsi était le siècle de Mâlik, secoué par les troubles politiques et jouissant cependant de la sérénité du grand savant, qui put grâce à son intelligence, en tirer le meilleur profit. Dans ce siècle également, les gens déviants (Ahl Al-Ahwâ') se mirent à répandre des idées subversives. Et même, s'il ne les aborda pas avec ses élèves, par aversion pour les polémiques, on rapporte de lui des remarques les concernant.

C'est ainsi que se répandit de son temps le débat concernant la création du Coran. Ceux qui soutenaient cette thèse faisaient valoir qu'il s'agissait de paroles prononcées par le récitant, et donc créées. C'est Al-Ja'd Ibn Dirham qui suscita le débat et il fut tué pour cela dans le Khorassan par Khâlid Ibn Abd Allah Al-Qousarî. Un autre à le soulever fut Al-Jahm Ibn Safwân, le chef des Jabarites, appelés également Jahmites, qui nia qu'Allah pût avoir un attribut du nom de parole. Cette thèse du Coran créé se diffusa et elle imprégna la pensée islamique à l'époque de trois califes Abbassides : Al-Ma'mûn, Al-Mu'tasim et Al-Wâthiq, après avoir commencé à percer sous les Omeyyades, c'est à dire à l'époque où Mâlik est né.

C'est aussi à cette époque qu'apparaissent les sectes politiques dans l'Islam : Chiites et Kharijites et les sectes doctrinaires : Qadarites, Jahmites et Murjites (les attentistes). Les Chiites sont considérés comme la plus ancienne. Ils apparurent à la fin du règne de Uthmân puis sous celui de Alî, avant que le sectarisme n'augmente avec les injustices commises par les Omeyyades. Ils considèrent dans leur ensemble que Alî Ibn Abî Tâlib était le plus apte à la succession du Prophète ﷺ. Mais ils sont eux-mêmes divisés en clans, certains étant allés jusqu'à diviniser Alî comme les Sabéens, adeptes de Abd Allah Ibn Saba, dont  certains furent brûlés ou les Ghorabites qui prétendirent que la prophétie aurait dû revenir à Alî, si l'Ange Jibrîl ne s'était pas trompé en s'adressant à Muhammad, du fait de la ressemblance entre lui et Alî. D'autres en revanche, ne sont pas sortis de l'orthodoxie religieuse, comme les Zaydites, adeptes de Zayd Ibn Alî Zayn Al-Abdîn, modérés dans leur croyance et qui acceptaient les imamats d'Abû Bakr et de Umar, sans s'en prendre aux Compagnons. D'autres plus outranciers, apparurent aussi comme les Kaysanites, adeptes d'Al-Moukhtâr au début de la dynastie des Banî Marwân ou les Duodécimains, croyant en l'imam caché et qui constituent aujourd'hui l'essentiel des habitants de l'Iran. Les Ismaïlites enfin, dont certains gouvernèrent l'Égypte pendant longtemps sous le nom de Fatimides.

Il convient encore de mentionner au chapitre des sectes politiques les Kharijites qui se démarquèrent de Alî après qu'il eût accepté l'arbitrage proposé par Mou'âwiya en criant : " Pas d'arbitrage autre que celui d'Allah ". Il le traitèrent ensuite injustement, l'accusant de mécréance et ils l'affaiblirent. Après l'établissement de la dynastie Omeyyade, les Kharijites s'affirmèrent comme une force capable de secouer ses fondations. Ils estimaient qu'aucune famille n'était plus digne du califat qu'une autre et que le calife devait être choisi librement par tous les musulmans. Ils pensaient aussi que pour faciliter sa destitution, il était préférable que le calife n'ait pas d'esprit de corps. Comme pour les Chiites, on trouve chez les Kharijites extrémistes, comme les Azraqites, adeptes de Nâfi Ibn Al-Azraq Al-Hanafî et modérés comme les Ibadites de Abd Allah Ibn Ibâd, qui n'excommuniaient pas leurs adversaires, ni ne refusaient leur témoignage, mais les considéraient simplement comme niant les bienfaits d'Allah. Ces Ibadites ont toujours des partisans au Maroc. On trouve en outre d'autres sectes intermédiaires, comme les Najdates, adeptes du Yéménite Najda Ibn Ouwaymir de la tribu des Banî Hanîfa, les Safarites, adeptes de Ziyâd Ibn Al-Asfar et les Ajarides, adeptes de Abd Al-Karîm Ibn Ajrad. Deux sectes Kharijites sont même sorties du cadre de l'Islam : les Yazidites, adeptes de Yazîd Ibn Anîsa, qui ont prétendu qu'Allah enverra un messager non Arabe pour transmettre un livre qui invalidera la loi de Muhammad et les Maymonites, adeptes de Maymûn Al-Ajradî, qui avait autorisé le mariage d'u homme avec les filles de son fils ou de ses neveux, prétendant que cela ne faisait pas partie des choses illicites. On raconte aussi qu'ils ne considéraient pas la sourate Yûsuf comme faisant partie du Coran.

Maintenant les sectes doctrinaires, parmi lesquelles les Murjites, qui mélangeait politique et religion, qui adoptaient un point de vue semblable à celui des Kharijites concernant le destin de l'auteur d'un crime : Enfer éternel ou pas ? Ils soutenaient ainsi qu'un péché n'était pas nuisible si son auteur avait la foi, de même que l'obéissance n'avait pas de valeur s'il s'agissait d'un mécréant. Les Mutazilites pour leur part, considéraient comme Murjites tous ceux qui ne destinaient pas à l'Enfer éternel les auteurs des péchés majeurs ainsi, Abû Hanîfa en était un selon Ach-Chahrastâni, car il différait le pardon d'Allah aux criminels, sans pour autant légitimer les actes répréhensibles. Il faut également citer lesJabarites ou Jahmites, qui soutenaient que l'homme n'avait pas de volonté propre et que c'était Allah qui était en fait l'auteur de tous ses actes, en bien ou en mal. C'est sous les Omeyyadesque la doctrine se répandit à l'initiative d'un certain Jahm Ibn Safwân, d'où le nom de Jahmites.

Enfin, les Qaradites dont certains furent connus aussi sans l'histoire islamique sous le nom de Mutazilites, eurent une influence considérable sur la pensée islamique sous les Abbassides. Ils prétendaient au contre des Jabarites, que l'homme était l'auteur de ses actes et ce sont eux qui furent chargés de répondre aux hérétiques (az-zindîq) lorsque les idées de ces derniers se répandirent. Les cinq éléments essentiels de leur doctrine sont les suivants :

1. L'Unicité divine : Allah est unique et aucune créature ne peut participer à ses attributs. Ils niaient ainsi qu'il fût possible de Le voir le Jour de la Résurrection.
2. La Justice d'Allah : C'est la raison de leur théorie de la liberté humaine, puisque pour qu'il y ait justice ou punition, il faut que l'homme soit responsable de ses actes.
3. La Promesse et la Menace d'Allah : L'auteur de bonnes actions est récompensé par Allah, de même que l'auteur de délits est puni.
4. Il n'y a pas de pardon divin dans le cas d'une grande faute, son auteur étant dans une situation intermédiaire entre la croyance et la mécréance et restant éternellement en Enfer.
5. L'obligation faite au croyant d'ordonner le bien et d'interdire le mal, pour propager l'Islam et guider les égarés, chacun selon ses capacités au moyen de l'épée ou de la langue.

L'imam Mâlik sa vie et son époque ses opinions et son Fiqh p.167-170