Hommage à Narciso Yepes

Publié le 21/09/2024 à 17:00 par manueldiez Tags : sur bonne roman vie moi place saint monde jeux voyage homme enfants musique amis maison travail histoire fille air art amitié film
Hommage à Narciso Yepes

 

Mardi 17 septembre 2024

 

Hommage à Narciso Yepes

 

 

Avant Sabicas, Yepes, qui était un artiste classique disons-le dans la mouvance et les idées gothiques, cherchait déjà à surprendre le public et à imposer le soliste au public. Son immense répertoire, Bach, Weiss, les classiques espagnols et italiens, montre qu'il était alors un des tous meilleurs du monde.

 

A ce moment là, d'autres grands virtuoses pouvaient lui arriver à la cheville ou tout au moins se mesurer à lui, quelques centaines dans le monde. Mais Yepes avait cette conception, cette qualité ou notion algébrique et arithmétique de la musique, cette ouverture alliée à la perfection, qui faisait de lui l'homme et l'interprète du moment.

 

Sa maison était un bunker plein à craquer de disques, son répertoire l'immensité du ciel et des étoiles. C'était un homme affable, ouvert et très avenant, très chaleureux, il aimait le public et nouait une véritable relation d'amitié avec lui et notamment ses élèves ou les enfants.

 

Yepes avait tous les disque de guitare classique du monde, une quantité de BASF impressionnante, un casque sur la tête, sa maison était un véritable havre pour le classique. Il avait tous les disques.

 

Sabicas et Django Reinhardt ont réussi à faire surgir un langage musical, une symbolique hétéroclite. Yepes était déjà aussi de cette mouture là aussi. Son langage musical était exceptionnel, la qualité de sa musique et son interprétation aussi. Sa signature ne laissait jamais indifférent.

 

D'autres grands interprètes classiques arrivent, comme Gil de Galvez du coté de Malaga, qui peu à peu font oublier le grand violoniste israëlien Seyrig. Mais Yepes a énormément apporté à la musique espagnole. C'était un immense précurseur, un interprète hors norme.

 

Ma tante Maruja, qui fût une des deux ou trois fondatrices de l'orchestre de la RTVE, et lui étaient des amis intimes très proches. Elle était une socialiste convaincue qu'il fallait un équilibre entre la force et les moyens, les buts que l'on s'était fixés. Elle était profondément socialiste et de gauche.

 

Elle m'avait aussi offert le disque qu'elle avait enregistré avec Narciso yepes, le Concerto d'Aranjuez de Rodrigo, avec les violons en première partie, ce qui n'est pas le cas dans la version de Siegfried Behrend, ou on ne trouve que les cordes en première partie. Elle m'avait aussi offerte la Vème de Beethoven dirigée par Kurt Mazur. La grand-mère de Beethoven était espagnole. C'est ce qui lui a inspiré l'hymme à la joie. Maruja a connu Barenboïm, Kurt Mazur, et même Karajan.

Yepes a aussi enregistré il me semble « fantaisie pour un gentilhomme ».

Maruja est donc la fille du frère de mon grand-père, l'oncle de mon père, elle est donc la cousine de mon père et ma tante éloignée. Son propre père a été maire de Toro dans les années 30 au moment de la seconde république.

Elle était une très grande violoniste virtuose, une grande " prosora ". J'ai pu notamment voir le récital qu'elle avait donné avec un très grand pianiste tchèque au consulat d'Espagne, et aussi, la fois ou elle est passé avec l'orchestre de la RTVE au TMP, j'ai pu admirer une mezzo-soprano argentine, une des plus grande diva du monde. L'orchestre et son chef avaient aussi notamment donné le Boléro de Ravel ce soir là, en plus de pièces classiques argentines, et du tricorne de De Falla.

Maruja est aussi une des deux ou trois fondatrices de ce même orchestre de la RTVE, dont mon père disait de son chef " No tienen a ese pico ".

" Luce la orquesta ", comme de disait de son coté Maruja lorsque l'orchestre s'illuminait et s'enflammait sous la direction de Cobos, le jeune chef d'orchestre espagnol.

Nous sommes une famille d'artistes, et si aujourd'hui la grande époque ou période de mon père est restée loin derrière nous, le temps nous reste imparti sur cette terre.

Yepes avait une conception arithmétique, algébrique très particulière de la musique et de l'interprétation. A sa grande époque, il avait remporté l'exclusivité pour le Deutsche Grammophon. Son répertoire était infini pour ainsi dire.

Je l'ai vu à la salle Pleyel en récital, dans les années 70, il portait un costume en queue de pie, et un micro rendait le son dans toute la salle, la salle Pleyel possède une très bonne acoustique du reste.

J'étais allé le voir à la fin de son récital, et il m'avait serré la main, j'étais ému, car Yepes était un vrai espagnol, un des plus grand artiste hispanique de tous les temps. A l'époque j'étais juste un ado.

Il a su à l'époque surprendre son public. Beaucoup d'enfants suivaient ses cours. Il a su innover alors, notamment en matière de lutherie avec sa guitare à 12 cordes.

J'ai eu l'occasion de visiter un luthier français avec Mr Vignaut il y a quelques années près de la gare Saint-Lazare, un, peu plus haut sur la rue. Mais il s'agissait ici de violons. Maruja possédait un violon d'un son unique qui valait très cher et l'a suivi toute sa vie.

Par le passé, j'ai failli acquérir une contreras auprès de Serrita. Sur ce joyau de lutherie ont joué des gens comme Escudéro, Ramon Montoya, Sabicas et Paco de Lucia. Sabicas a même donné des cours a Paco de Lucia sur cet instrument hors normes, avec le réglage des éclisses sur le dessus, sur le haut. Un tel instrument m'aurait permit de donner des concerts. Pour les concerts on utilise des cordes à boyau, et Gil de Galvez utilise aujourd'hui des cordes warshall pour ses violons. Les cordes à boyau ne durent qu'une fois par représentation.

Yepes était un véritable monument. A l'époque il était un peu à concurrence avec Alexandre Lagoya et Andrés Ségovia, les deux autres grands qui lui étaient contemporains. Lagoya était plus cool disait ma mère, sa version de jeux interdits était plus simple. Yepes était lui un travailleur inclassable. Il allait cherche des bijoux oubliés, des pièces classiques oubliées et uniques en leur genre. L'adéquation avec son instrument était optimale. Il avait été fabriqué à sa demande et sur mesure.

J'ai un peu connu Emmanuel Roessfelder, un des principaux élèves de Lagoya, il nous a même fait deux dédicaces, une pour chacun. C'est un grand guitariste.

Yepes était un géant, un monument, un génie, il a su allier la présentation, la lutherie et l'innovation musicale. La qualité de l'interprétation faisait sa grande force. La montée des cordes aussi. Sa rigueur technique était tout simplement époustouflante.

Maruja et lui étaient comme je l'ai dit des amis intimes, elle l'a suivi durant toute sa carrière. Elle était là avec mon père et ma mère lors de son récital à la salle Pleyel au début des années 70.

Yepes était comme en avance sur son temps. La propreté, la technique, la rigueur de l'interprétation laissaient place à l'imagination et à l'inspiration. Ses triples croches, ses trémolos, ses passages techniques, sa conception du volume faisaient merveille à voir.

Aujourd'hui, il y a beaucoup d'autres grands virtuoses dans le flamenco et dans le classique, on joue beaucoup d'oratorios, de symphonies, de concertos. Yepes a été un père et un précurseur pour le classique et la musique de chambre.

Maruja et lui ont enregistré ensembles. Elle a enregistré aussi avec Ségovia il me semble, avec Rocio Jurado et avec beaucoup d'artistes de variétés, notamment au moment de la movida, qui a mis Madrid et Barcelone en transes. Il me semble qu'elle a accompagné Véronique Samson, qui a connu un très grand succès à Madrid.

Yepes avait à la fois une conception homogène et hétérogène, prosaïque et hétéroclite.

Maruja est aujourd'hui enterrée non loin de la tombe de Cobos. Elle m'avait initié au piano, avec « la chocolatera », un air traditionnel espagnol, du coté de Salamanque ou elle vivait à l'époque, au sortir des années 60. Lors de ce voyage, on apercevait les toros de combats courir à perdre haleine dans les encierros.

Lorsque nous étions allé le voir, Yepes avait voulu que mon père l'emmène dans sa fiat 238, mais à l'époque, mon père s'était cabré et ne voulait pas se compromettre à le transporter dans sa fourgonnette. Yepes ne disposait pas d'un moyen de transport. Il était surtout venu à Paris afin de donner satisfaction à la curiosité de son public et de ses fidèles. Comme Sabicas avec sa troupe et Carmen Amaya.

J'étais impressionné qu'un tel géant de la musique ait daigné me diriger la parole et la conversation, c'était un homme cultivé et ouvert sur le monde et sur les différents peuples. A l'époque j'étais un jeune adolescent, je jouais pour le plaisir.

Yepes jouait avec génie et disposition, il savait se jouer et venir à bout de toutes les difficultés qui se présentaient au fur et à mesure du concert. Son récital fût magnifique et digne d'intérêt. Les critiques furent fleuve. Seuls Manuel Torres et ses jaleos, Enrique Morente et ses tangos, El Pele et ses toñas, ou les récitals géniaux de Manuel Agujetas m'ont laissé ensuite une telle joie.

Yepes fût véritablement un immense artiste ibérique. Il est quelque par à part.

Je garde de lui le souvenir d'avoir eu la chance de connaître et fréquenté un des plus grand artiste espagnol de tous les temps. Ma tante était passionnée par la musique. Elle lui vouait d'ailleurs une passion très particulière et était aux petits soins avec lui.

Yepes a illuminé Paris, son concert fût un succès sans précédent.

Yepes manifestait un intérêt et une curiosité pour l'histoire des peuples, les arabes, les berbères, les kabyles, les goths, les wisigoths, la ostrogoths, c'était un immense artiste gothique, manifestement un très grand homme.

Avec lui on respecte le travail, ou la valeur travail, il a su se préparer au fil des années, son récital marque une réussite, la réussite d'un homme qui s'est fait tout seul et avec ses amis. Il est parti un peu tôt, mais son mérite ne fût que plus grand et plus important.

C'était un homme inclassable, qui domina le monde par sa classe et sa hauteur de vue, un visionnaire, vraiment un très grand professionnel. Il anticipait tout, tel un aigle déployant ses ailes au dessus de son époque.

Yepes respirait la perfection, même si certains l'ont accusé d'avoir donné trop de volume sonore à « jeux interdits », qu'il interprète dans le film avec Brigitte Fossey. C'est un film qui raconte l'histoire d'une petite fille pendant la guerre sous les bombardements.

Yepes jouait le répertoire classique espagnol, catalan, français, allemand et même anglais je crois. Aujourd'hui les centres d'intérêts se sont légèrement déplacés, le levant et l'Andalousie reviennent un peu dans le classique.

Mais il n'y a plus de monstre sacré comme lui. Il reste quelques grand interprètes, mais si quelqu'un a tiré la musique espagnole vers le haut, c'est bien lui.

Il jouait avec des ongles moyennement longues, là oû Roessfelder quant à lui joue avec des ongles très longues. Il prenait soin de ses doigt. En guitare il faut juste des ongles pas trop courtes.

Mon premier professeur était anglais et mozartien, lorsque j'étais adolescent, ensuite à l'âge adulte j'ai travaillé une dizaine d'années avec Andrés Serrita, un des principaux fils spirituel de Sabicas, et aussi un des plus grand interprète de zambras du monde. Mais mon père spirituel, mon maître à penser, c'est Narciso Yepes.

Narciso reste un humaniste dans la grande tradition classique et espagnole, il a tracé différentes voies, ouvert des brèches.

Le rencontrer a été pour moi un espoir et une chance. C'est grâce à Maruja que j'ai pu le rencontrer, et ce qu'il m'a confié m'a beaucoup appris sur l'éducation musicale, sur l'univers de la guitare classique.

Un homme d'une telle trempe ne peut pas laisser insensible les mélomanes. Il était aussi génial que mystérieux, interplanétaire, et même un légèrement mégalomane, toute proportion bien gardée.

Son équation est celle d'un génie, et sa succession a été populaire. Elle compte pas mal d'artistes de variétés, des gens comme Manitas de Plata, comme Pepe Pinto, Pepe Habichuela qui reste un très grand interprète de flamenco. Il y en a beaucoup, et un peu moins de grands virtuoses de la guitare, du violon ou de l'alto.

Maruja avec l'orchestre accompagnait des vedettes de variété, et surtout cette mezzo-soprano argentine, une des plus grande du monde, avec ce répertoire argentin magnifiquement exceptionnel.

Yepes demeure une grande figure du classique et de la musique de chambre, un peu moins de la musique sacrée, quoique, car il a beaucoup interprété Bach et Weiss.

D'autres lui ont succédé, John Williams surtout. Mais la relève espagnole fût populaire, avec Tomatito, avec el Camaron et tant d'autres.

Yepes avait l'art de la mesure et un immense goût poétique. C'est ce qui faisait sa force. Même les papes l'appréciaient.

Aujourd'hui dans le classique, c'est surtout comme depuis toujours le piano qui prédomine. Bella Schütz est passée à Arnouville il y a quelques années, elle a interprété Gabriel Fauré, un des plus grand compositeur français. Elle reste une des plus grande pianiste classique du monde.

Le piano sur lequel elle a joué a appartenu à Gabriel Fauré, ensuite il a été perdu, racheté, réparé deux ou trois fois comme pour la contreras d'Andrés. C'est aujourd'hui un piano unique, un joyau.

Yepes, c'est toute une époque, tout un univers particulier, avec les succès que l'on sait. De Falla, Joachim Rodrigo, Fernando Sor, Turina, Isaac Albéniz, le répertoire espagnol est très vaste aussi. Yepes a beaucoup interprété les compositeurs allemands, aussi luthériens et réformés qu'énergiques et enlevés.

Il a su réhabiliter la musique de chambre et d'autres grands compositeurs comme Weiss.

Il doit beaucoup à Bach. Et même aujourd'hui, sa réputation reste intacte, il reste un immense génie et un homme d'un charisme particulier et sincère. Depuis lui on s'égare un peu dans le classique, il faut des grandes figures pour que le classicisme puisse trouver son inspiration profonde et sa force d'expression, des mouvements artistiques, comme ceux issus de 1936. Hors aujourd'hui les plus grands artistes travaillent surtout du coté de l'interprétation.

La discographie immense, le répertoire sans fin de Yepes reste une référence. Le piano reste l'instrument de référence. On dit qu'il faudrait 25 vies des plus grands pianistes ne serait-ce que pour jouer une petite partie de la suite Ibéria d'Albéniz, à peine un dixième de l'oeuvre. C'est une œuvre immense, oû parfois le pianiste joue pratiquement 20 cm au dessus des touches. Peu de pianistes ont joué l'intégrale, comme pour l'orgue avec Bach. Sans compter les difficultés psychologiques suscitées par une telle interprétation technique.

Albéniz était basque, comme Ravel. L'instrument le plus important, le plus incontournable, c'est le piano. Mais Yepes a su porter la guitare jusqu'aux sommets. Peu de guitaristes sont allés aussi loin que lui.

Yepes a su allier la lutherie et l'instrument à la musique, optimiser ses capacités ses moyens physiques et techniques, moderniser l'interprétation. Il montait très haut avec des glissés et des harmoniques.



Christian Diez Axnick.