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à Léa, Janine, Henri
Demain, c'est promis, je continue...
Je me souviens d'un temps où je ne pouvais plus rien faire d'autre que de très petites installations. Blessé, une fois de plus, je me traînais de rééducation en zones de friches industrielles, et de marais en plages vides, comme un animal fragile. Je ne savais plus comment dire la vie. Les soirs de brume, revenant de mes travaux de land art qui n'intéressaient personne, je me demandais si j'avais plus d'intérêt aux yeux des experts en art que le clochard à ceux des passants. Regardant sa sébile, je me disais alors : tu es encore moins.
En cela résidait probablement mon reste d'humanité :être poussière d'univers, en marche... vivant, créant mais pour combien d'années.
Il m'a fallu aussi oublier d'attendre quelque chose, oublier qu'il y a plusieurs mondes dans le monde de l'art, et me persuader que cette marche solitaire ponctuée d'installations multiples ne prenait sens que la par la durée de l'expérience: 12 années à ramasser des cailloux, bâtir des étoiles pour les accrocher aux branches, douze années à tracer des spirales, tresser du lierre, voir flotter dans l'eau du canal la chevelure d'une ampélopsis vichii, à jouer avec les nombres, la géométrie, l'ombre et la lumière, les saisons, le doute, la recherche de ma vérité dans un land art toujours à redéfinir. Bien sûr, ça fait beaucoup mais ça continue à ne rien représenter aux yeux experts de la chose artistique.
Je vais vous dire que dans une société où l'on meurt de froid, sous un pont ou sous une petite toile de tente aux portes de Paris, ce que je vis a bien peu d'intérêt. Pour le moment, j'aime l'idée d'aller dans ma vie, le plus loin possible pour savoir comment cela se passe quand on est réellement vieux.
Entre temps, j'organiserai encore des expo et signerai sans doute de beaux projets, mais ce ne sera jamais la véritable réponse à cette cécité officielle à laquelle je me suis habitué.
Demain, j'aimerai revoir Matmata, le sud Tunisien, refaire du Land art avec les bèrbes du sud marocain. Demain j'aimerai retourner à la Cabo san Vicente, et retrouver mes frères portugais, carriers, demain je voudrai retourner dans les pentes du Grand Saint Bernard, installer sur les ïle Borromées, en Italie retrouver le chemin du Matterhorn en Suisse. Demain j'aimerai découvrir la Corse, demain, je voudrai qu'il soit, voyage, jusqu'à la fin en compagnie de Marie-Claude et oublier tous ces gens qui m'oublient.
Roger DAUTAIS
LE CHEMIN DES GRANDS JARDINS