à l'inconnu de Merville ...
Je marche sur cette immense plage en direction de Cabourg. Je suis la trace d'un sulki, les pas du cheval, les deux traits parallèles des roues qui s'enfoncent à peine dans le sable me font pense que le jockey doit être vraiment léger. Au plus loin que porte ma vue, pas d'attelage, mais j'aperçois, au-delà de Cabourg, Deauville et Trouville. Plus à l'est et au large, le port du Havre. Il arrive dans cette baie de Seine de voir des super tanker, à la queue leu leu, s'approcher du terminal pétrolier d'Antifer. En me retournant, j'aperçois le Ferry de Ouistreham, à quai.
je me réjouis à l'avance de ce dur travail J'ai choisi cet endroit pour tracer une belle spirale et je me réjouis à l'avance de ce dur travail tant de fois répété, sans ressentir la moindre routine. Elles sont tellement différentes les unes des autres, tellement "vivantes". Aujourd'hui la lumière est particulièrement douce, avec cette qualité propre à la côte de Nâcre, qu'elle couvre d'or ce sillon creusé avec mon talon. Ne suis-je pas cheval et charrue dans cette entreprise... rêve de microsillon ou de disque d'or ?
Je suis aux trois quart du tracer, dix huitième tour...éviter de compter avant 10 à 12 tours...pour le moral. Une jeune femme s'approche de moi. Elle reste à une dizaine de mètres, sans parler. Regarde le geste lent du pied qui s'enfonce dans le sable et trace le sillon. Elle s'éloigne sans un mot.
Je termine le vingt quatrième tour, le plus long, environ 45 mètres. Un homme s'approche. Il me salue:
- Bonjour
- Bonjour
- Je vous ai reconnu
- ah ?
- Nous nous sommes rencontrés au pied des Vaches Noires, les falaises de Villerville ( non loin de Deauville) lors d'une sortie "fossiles". Vous vous souvenez ?
- De la sortie, il y a deux ou trois ans, oui, très bien, mais de vous, non.
- C'est bien ce que vous faites.
- Merci
- Vous habitez Hérouville.
- Quelle mémoire.
- Vous m'aviez donné une carte, vous êtes landartiste. Votre carte, je la vois tous les jours, je l'ai collée sur mon frigo pour ne pas oublier
- C'est vrai...et vous êtes allés sur internet
- Non, je n'ai pas internet et en plus, je n'en veux pas. Je quitte la France dans quelques temps, définitivement. Je me souviendrai de vous. Allez, au revoir.
- Au revoir et bon voyage.
L'homme s'est éloigné vers l'ouest de la plage puis a disparu dans les dunes. J'ai pris mes photos et je suis remonté vers les dunes. En quittant la plage j'ai écrit un dernier mot non loin des oyats qui avec le vent laissaient leur trace sur le sable.
Ces rencontres sont tellement diverses autour de mes spirales que je pense en faire encore quelques unes cette année.
Roger Dautais
LE CHEMIN DES GRANDS JARDINS