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Date de création : 26.02.2011
Dernière mise à jour : 02.03.2025
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35 Cours: La politique.

456 JUSTICE, EGALITE ET EXIGENCE MORALE

Publié le 10/12/2012 à 08:37 par cafenetphilosophie Tags : nature société femme article monde pensée roman homme animal

Cours de philosophie. Suite du billet N° 453.

 

  

Lorsqu’on évoque la notion de justice, il faut immédiatement dissiper un malentendu. Il ne s’agit pas ici de l’institution judiciaire, des tribunaux, qui jugent les litiges entre les membres de la société ou entre les citoyens et les autorités publiques. La notion abordée présentement renvoie à l’idée morale de justice, qui exige que chacun reçoive ce qui lui est dû étant donné ses compétences, ses mérites, sa qualité d’homme tout simplement. Nous savons bien qu’un magistrat ne prononce pas des jugements en fonction d’un idéal moral quelconque mais en fonction des lois existantes qui peuvent être très éloignées des exigences de cet idéal moral. D’ailleurs, cet écart sème parfois la confusion dans l’opinion publique, portée à considérer que l’institution judiciaire est souvent injuste, alors que sa mission consiste uniquement à décider laquelle des parties en cause a raison ou tort par rapport aux dispositions des lois existantes.

  

La justice telle que nous la considérons renvoie donc à une certaine idée de l’idéal moral d’une société donnée ou d’un individu quelconque. Nous comprenons dès lors que la notion de justice ainsi délimitée ne soit pas uniforme. Tout dépend de la nature de cet idéal. Arrêtons-nous à deux conceptions radicalement opposées, celle défendue par Calliclès et celle qui est, de manière dominante, la nôtre depuis l’avènement du christianisme. Pour Calliclès, l’homme n’est qu’une espèce animale parmi d’autres, qu’une espèce naturelle, et à ce titre, dans la nature, l’inégalité est la règle, le plus fort obtenant la plus grosse part sans qu’aucune loi artificielle n’y fasse obstacle. Chaque membre de l’espèce est défini en fonction de ses qualités et compétences. Telle est la justice selon la nature.

   

Avec l’avènement du christianisme apparaît l’idée, rappelée avec force par St Paul, selon laquelle « il n’y a plus ni juif, ni grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus ni homme ni femme ». En d’autres termes, les hommes sont fondamentalement égaux car tous « créés à l’image de Dieu », libres, créateurs, responsables. En termes plus philosophiques, cette égalité est inscrite dans la nature même de l’homme si on définit ce dernier par la conscience, si on considère que c’est la pensée qui le distingue des autres espèces animales. De ce strict point de vue tous les hommes appartiennent à la même essence et sont effectivement fondamentalement égaux. Aristote, qui légitimait pourtant l’esclavage, soutenait déjà que la pensée est l’essence de l’homme, constituait la caractéristique fondatrice de son universalité et par là même de son essence, alors que telle ou telle qualité intellectuelle ou physique n’était qu’un « accident ». Si je n’ai pas de compétences particulières en mathématiques par exemple, cela n’affecte pas ma qualité d’homme ou mon essence. En revanche, il est impossible de concevoir un homme qui serait dépourvu de pensée.

  

Si on s’en tient à ces dernières considérations, l’idée de justice devient inséparable de l’idée d’égalité. Un acte, une décision sont justes à condition que l’essence de l’homme soit respectée, à condition en conséquence que soit prise en compte cette idée d’égalité. Liberté et égalité découlent de sa nature consciente. Les révolutionnaires de 1789, lorsqu’ils ont rédigé le 26 août 1789 la célèbre «  Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » ont proclamé dans son article premier : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Cette dernière précision, « en droits », conduit à nous interroger sur la nature exacte de l’égalité évoquée.

  

Si on considère que l’essence de l’homme,- c’est-à-dire, rappelons-le, la ou les caractéristiques qui font qu’un homme est un homme et non pas un autre animal, un singe par exemple,- est incarnée par la conscience ou, de manière plus précise et plus classique, par la pensée, alors non seulement il est possible de proclamer comme Rousseau que les hommes sont libres par nature mais également, de ce point de vue, qu’ils sont fondamentalement égaux. Ils participent tous à la même essence.

  

Les esprits positifs, ceux qui puisent l’essentiel de leurs analyses auprès des sciences de la nature, feront remarquer que l’égalité des hommes a également un fondement biologique puisque la génétique contemporaine nous apprend que tous les hommes se rattachent à une lignée unique et qu’ils sont porteurs de la même structure chromosomique, à savoir 2 3 paires de chromosomes, et qu’à ce titre ils sont tous interféconds. Aux yeux de ces esprits, nul besoin de passer par des considérations philosophiques ou religieuses afin d’établir l’égalité des hommes.

  

Pourtant, les choses ne sont pas si simples. Remarquons en premier lieu que s’appuyer sur des considérations biologiques afin d’établir l’égalité de tous les hommes ou bien celle de l’homme et de la femme est intellectuellement dangereux. J. Rostand, biologiste français (XX° siècle) et Wallon, un des pères de la psychologie de l’enfant (XX° siècle), peu suspects de préjugés spiritualistes puisque tous deux soutiennent des convictions matérialistes, soulignent que ces thèses se situent sur le même terrain que les racistes, ces derniers ayant recours à des arguments naturalistes afin d’étayer leurs théories. N’oublions pas en effet que les vérités scientifiques sont provisoires, comme nous aurons l’occasion de l’établir. Rostand craignait par exemple, par-dessus tout, qu’un jour la biologie souligne quelques différences entre le cerveau de l’homme et de la femme, permettant d’alimenter la conviction sexiste selon laquelle l’homme est supérieur à la femme.

 

 

Les arguments biologiques sont d’autant plus insuffisants par rapport à ce problème de l’égalité des hommes, que nous savons que cette commune structure chromosomique de base se décline par des différences à l’infini, chaque individu s’avérant unique, et développant des compétences physiques et intellectuelles fort diverses et inégales. Les auteurs de la « Déclaration de 1789 » ne s’y sont pas trompés en proclamant non que tous les hommes naissent égaux, ce qui à l’évidence n’aurait eu guère de sens mais qu’ils sont « égaux en droits ».

  

Car l’égalité de droit signifie simplement que tous les hommes sont égaux devant la loi. Autrement dit, s’ils possèdent les compétences ou les qualités ou les moyens matériels leur permettant de bénéficier des dispositions prévues par une loi quelconque, nulle discrimination d’ordre ethnique, religieux, sexuel ou autre ne doit entrer en ligne de compte pour que les citoyens concernés en bénéficient.

  

Ce refus de toute discrimination traduit sur le plan juridique un principe philosophique fondamental particulièrement mis en avant par la philosophie des lumières et lui-même issu de la tradition chrétienne, tradition qu’elle reprend à son compte en lui donnant une justification rationnelle : tous les hommes sont égaux en dignité en tant qu’êtres conscients. Ils participent tous à la même manière d’établir des relations au monde, puisqu’ils sont conscients que le monde existe, qu’ils existent en tant qu’individus uniques, qu’ils se posent des questions métaphysiques, c’est-à-dire des questions sur le sens de l’existence, qu’ils partagent des soucis moraux, des intérêts esthétiques etc. Cette égalité en dignité est donc une exigence morale et non une exigence biologique au sens étroit du terme.

453 CONTRE-POUVOIR ET MODERATION.

Publié le 07/12/2012 à 10:25 par cafenetphilosophie Tags : monde vie cadre centerblog homme background nature travail sport société

Cours de philosophie. Suite du billet n°450.

 

 

Montesquieu rappelle que la liberté ne doit pas être confondue avec l’indépendance. C’est vrai pour un individu. Rappelons-nous : être libre ne consiste pas à faire ce que l’on désire et à n’être soumis à aucune autorité, mais à faire ce que l’on veut vraiment, à savoir son bien. Cette analyse s’applique également à la vie sociale : être libre au sein d’une société ne consiste pas à agir comme bon nous semble sans se préoccuper des lois existantes qui, dans l’intérêt de tous, fixent les limites mutuelles de notre action. Il ajoute que ce n’est pas la démocratie qui, par elle-même, c’est-à-dire par ses propres vertus, par essence en quelque sorte, est un gage de liberté. Platon avait en son temps fustigé le régime démocratique et ses excès lorsque ce dernier est soumis aux versatilités et aux caprices de l’opinion, lorsqu’ aucun principe ne vient régler et contenir les passions des foules. C’est pour cela que Montesquieu ajoute que la garantie d’une authentique liberté politique réside « dans les gouvernements modérés ». Cette modération est liée à la nature des institutions et non à la sagesse des citoyens. Il y a modération lorsqu’ « on n’abuse pas du pouvoir ». Cela n’est envisageable que lorsque les pouvoirs qui s’exercent sont confrontés à des contre-pouvoirs qui les contrôlent et les limitent.

 

 

Ainsi, nous pouvons avancer sans risque de nous tromper que Montesquieu a véritablement saisi la nature profonde de la démocratie contemporaine. De nos jours, cette notion de contre-pouvoir s’est considérablement développée. Et ce, à deux niveaux très différents. En premier lieu, les contre-pouvoirs se sont multiplié au sein même de la société civile, que ce soient avec l’influence des médias (considérés comme un véritable quatrième pouvoir de fait aux Etats-Unis), des syndicats qui dans le cadre de la défense d’intérêts catégoriels sont devenus des partenaires des pouvoirs publics; des différentes Eglises ou mouvements religieux qui exercent leur influence pour la défense de certaines valeurs ; des puissances économiques qui pèsent sur les décisions de nature économique et sociale, sans compter tous les relais d’opinion incarnés par les vedettes du monde du spectacle ou du sport etc.

 

 

    En second lieu, un nouveau contre-pouvoir institutionnel, c’est-à-dire au sein même de l’Etat, s’est peu à peu mis en place dans le cadre des démocraties contemporaines. En quoi consiste-t-il ? La plupart des démocraties définissent des droits dits fondamentaux auxquels devra être soumis le travail législatif, autrement dit les lois et donc les fins des sociétés concernées. Cela apporte des garanties considérables à l’ensemble des citoyens. En effet, une démocratie est souvent réduite au fait que les citoyens choisissent librement leurs gouvernants et donc les orientations de la politique qui seront menées en respectant la loi de la majorité. Une démocratie peut donc être considérée de ce fait comme une « dictature » provisoire d’une majorité sur une ou des minorités. Chacun comprendra aisément que la seule règle de la majorité n’offre aucune garantie que seront respectés les intérêts des minorités. C’est particulièrement le cas lorsque ces minorités sont d’origine nationale ou religieuse. Le vote majoritaire peut les condamner à rester indéfiniment minoritaires et à être ce faisant indéfiniment spoliés de leurs droits.

 

 

En revanche, si, quelle que soit l’issue du scrutin, quelle que soit la majorité politique qui se dégage, des droits fondamentaux préalables sont définis, protégeant l’ensemble des citoyens, et auxquels les lois devront se soumettre, alors cette disposition participe de cette « modération » que Montesquieu appelait de ses vœux. Il est même possible de la considérer, sans exagération, comme étant le second pilier de la démocratie si le premier d’entre eux réside dans les élections libres. Lorsque ces précautions sont prises, les lois s’avèrent conformes à des principes généraux, eux-mêmes témoignages de certaines valeurs qui sont censées faire consensus. Dès lors, la démocratie n’est plus seulement un régime politique fondé sur la loi de la majorité, c’est également « un système de valeurs ».

  

Ajoutons à cela, que la « modération » chère à Montesquieu est renforcée par le système de « délégation de souveraineté ». Cette expression signifie que ce ne sont pas les citoyens qui décident directement deslois mais des représentants librement élus. Ce système, condamnésans appel par Rousseau, permet de confier la direction des affaires publiques à des personnes connaissant les dossiers puisque telle est leur mission et de mettre cette dernière à l’abri des passions de la foule, passions alimentées par l’émotion ou l’ignorance. Nous faisons tous l’expérience que lorsque nous connaissons bien un domaine donné, cela nous met à l’abri des jugements à l’emporte-pièce et nous amène à émettre des nuances bienvenues dans l’énoncé de nos conclusions.

 

 

 La « modération » peut provenir également du sens de la discussion et du compromis induit par le régime démocratique et son système de contre-pouvoirs. En ce sens, la démocratie est un régime fragile. Il n’est pas naturel pour un homme qui possède des convictions d’accepter et d’initier des compromis. Il n’est pas naturel d’accepter que son pouvoir soit limité par d’autres pouvoirs. D’ailleurs faut-il encore que ce jeu de pouvoirs et contre-pouvoirs soit bien équilibré afin qu’il n’y ait pas paralysie de l’action politique, chaque pouvoir faisant obstacle à l’action d’un autre pouvoir. Bref, être démocrate, non par nécessité, parce que les institutions nous y contraignent, mais par conviction, exige beaucoup de vertu. C’est pour cela qu’il est préférable de faire confiance à des institutions plutôt qu’à des hommes.

 

 

 

450 LA CONCILIATION DU POUVOIR ET DE LA LIBERTE

Publié le 04/12/2012 à 09:52 par cafenetphilosophie Tags : nature société homme bonne roman extrait

Cours de philosophie. Suite du billet N°447.

 

Toujours est-il que les analyses politiques de Rousseau ne sont guère plus rassurantes que celles de Hobbes, puisque en fin de compte, même si ce sont pour des raisons différentes, ces deux philosophes en concluent qu’un régime de liberté authentique demeure un horizon inaccessible. Certes, Rousseau, contrairement à Hobbes, soutient que l’homme, une bonne éducation aidant, peut devenir raisonnable et que c’est ce caractère raisonnable qui en définitive constitue la véritable nature de l’homme, sa nature pleinement accomplie. Il n’en reste pas moins vrai que l’instauration d’une véritable démocratie qui traduirait politiquement cette essence achevée relève de l’utopie et qu’ainsi ce modèle de régime politique reste, à défaut, un horizon vers lequel on doit s’efforcer de tendre le moins mal possible sans pouvoir prétendre l’atteindre dans sa pureté.

 

  

Montesquieu (XVIII° siècle) tient pleinement compte des limites de l’homme et propose en conséquence des solutions qui ne se fondent pas sur des analyses purement théoriques et idéales mais sur des conceptions qui prennent en considération des expériences historiques réelles à partir desquelles il tirera des conclusions générales. Montesquieu est un observateur attentif et admiratif du système parlementaire britannique mis en place dès 1689 et qui fonctionne à peu de choses près comme à notre époque.

 

  

Son idée clef est la suivante : puisque les hommes ne sont pas spontanément ni même de manière dominante vertueux, si on désigne par-là, sur le plan politique, la capacité à faire prévaloir l’intérêt général sur l’intérêt particulier, alors il convient de mettre en place des institutions vertueuses, qui contraindront les hommes à faire  comme s’ils étaient vertueux même si ce comportement ne correspond pas à leurs dispositions intérieures.

 

  

Les institutions vertueuses en question auront pour finalité de rendre compatibles l’exercice d’un pouvoir quelconque tout en garantissant la liberté des citoyens et la défense de leurs intérêts. En effet, pour Montesquieu, tout pouvoir tend par nature à l’excès de pouvoir, parfois d’ailleurs pour de bonnes raisons, ceux qui agissent ainsi croyant devoir faire le bonheur des hommes malgré eux. D’une manière générale tout pouvoir corrompt et le pouvoir absolu, en conséquence, corrompt absolument. Or, il n’y a que le pouvoir qui arrête le pouvoir. Dès lors, tout pouvoir doit être confronté à un contre-pouvoir, non pour l’empêcher de s’exercer mais pour en contrôler le bien-fondé. En somme, tous les pouvoirs ne doivent pas se retrouver dans les mêmes mains, comme ce fut le cas, globalement, sous la monarchie absolue. Il faut, comme en Angleterre, instaurer « la séparation des pouvoirs », à savoir instaurer différents pouvoirs ayant chacun des compétences propres en distinguant par exemple le pouvoir exécutif chargé de proposer les fins de la Cité et les moyens pour y parvenir du pouvoir législatif chargé de débattre, d’approuver, de modifier ou de refuser de telles propositions et enfin du pouvoir judiciaire qui , en cas de litiges, est souverainement chargé de rappeler la loi et les responsabilités de chacun vis-à-vis de cette dernière, sans qu’aucune autre autorité ne puisse remettre en cause ses jugements.

 

  

C’est dans « L’Esprit des lois » que Montesquieu expose ses conceptions. En voici un extrait significatif :

  

 

 

« Il est vrai que, dans les démocraties, le peuple paraît faire ce qu’il veut ; mais la liberté politique ne consiste point à faire ce que l’on veut. Dans un Etat, c’est-à-dire dans une société où il y a des lois, la liberté ne peut consister qu’à pouvoir faire ce que l’on doit vouloir, et n’être point contraint de faire ce que l’on ne doit pas vouloir.

  

 

Il faut se mettre dans l’esprit ce que c’est que l’indépendance, et ce que c’est que la liberté. La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent ; et si un citoyen pouvait faire ce qu’elles défendent, il n’aurait plus de liberté, parce que les autres auraient tout de même ce pouvoir.

 

[Les démocraties] (…) ne sont point des Etats libres par leur nature. La liberté politique ne se trouve que dans les gouvernements modérés. Mais elle n’est pas toujours dans les Etats modérés ; elle n’y est que lorsqu’on n’abuse pas du pouvoir ; mais c’est une expérience éternelle, que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. Qui le dirait ! La vertu même a besoin de limites.

 

Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ».

 

447 LES LIMITES DE LA DEMOCRATIE IDEALE.

Publié le 01/12/2012 à 06:28 par cafenetphilosophie Tags : roman cadre vie bonne fond france nature livre

Cours de philosophie. Suite du billet N° 443.

 

 

Comme on le voit, la démocratie, régime politique ayant pour vocation à servir l’intérêt général, conçu et approuvé par l’unanimité des citoyens, est un régime politique idéal difficile voire impossible à instaurer. D’autant que la démocratie directe mobilise par définition la délibération de l’ensemble des citoyens. Cela était possible à Athènes car les citoyens grecs étaient déchargés des travaux quotidiens confiés à des esclaves. Mais s’il n’y a plus d’esclaves, comment procéder, même dans le cadre de petites cités ? Remarquons que la constitution de 1793, jamais appliquée à cause des guerres européennes menées par la France révolutionnaire afin de préserver ses acquis, prévoyait que la Convention, c’est-à-dire l’Assemblée élue, votait certes les lois mais ces dernières pouvaient être remises en cause ou approuvées définitivement par un référendum d’initiative populaire, qui devait être convoqué à la demande d’un nombre limité de citoyens. A certains égards, cette constitution pouvait être dite rousseauiste dans son inspiration.

 

 

Rousseau, pour sa part, n’est pas dupe. Il est conscient que la démocratie telle qu’il l’a décrite est une forme idéale, un absolu inaccessible, un modèle vers lequel on doit tendre le plus possible sans pouvoir prétendre le réaliser à l’état pur. Cela ressort de son propos dans le Livre III du « Contrat social »:

 

 

  «A prendre le terme dans la rigueur de l’acception, il n’a jamais existé de véritable démocratie, et il n’en existera jamais. Il est contre l’ordre naturel que le grand nombre gouverne et que le petit soit gouverné. On ne peut imaginer que le peuple reste incessamment assemblé pour vaquer aux affaires publiques, et l’on voit aisément qu’il ne saurait établir pour cela des commissions, sans que la forme de l’administration change.

 

 

D’ailleurs, que de choses difficiles à réunir ne suppose pas ce gouvernement ! Premièrement, un Etat très petit, où le peuple soit facile à rassembler, où chaque citoyen puisse aisément connaître tous les autres ; secondement, une grande simplicité de mœurs qui prévienne la multitude d’affaires et de discussions épineuses ; ensuite beaucoup d’égalité dans les rangs et dans les fortunes, sans quoi l’égalité ne saurait subsister longtemps dans les droits et l’autorité ; enfin peu ou point de luxe, car ou le luxe est l’effet des richesses, ou il les rend nécessaires ; il corrompt à la fois le riche et le pauvre, l’un par la possession, l’autre par la convoitise ; il vend la patrie à la mollesse, à la vanité ; il ôte à l’Etat tous ses citoyens pour les asservir les uns aux autres, et tous à l’opinion.

 

 

Voilà pourquoi un auteur célèbre a donné la vertu pour principe à la république, car toutes ces conditions ne sauraient subsister sans la vertu.

 

 

Ajoutons qu’il n’y a pas de gouvernement si sujet aux guerres civiles et aux agitations intestines que le démocratique ou populaire, parce qu’il n’y en a aucun qui tende si fortement et si continuellement à changer de forme, ni qui demande plus de vigilance et de courage pour être maintenu dans la sienne. C’est surtout dans cette constitution que le citoyen doit s’armer de force et de constance, et dire chaque jour de sa vie au fond de son cœur ce que disait un vertueux Palatin dans la diète de Pologne : Je préfère une liberté dangereuse à un esclavage tranquille.

 

 

S’il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement. Un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes ».

 

 

Rousseau, en effet, considère qu’une véritable démocratie réunit des conditions qui, historiquement et moralement, ne sont pas raisonnablement accessibles à des hommes ordinaires : la Cité doit être restreinte afin que tous les citoyens se connaissent et soient en mesure de se réunir ; ces réunions ne doivent pas accaparer l’essentiel de leur temps puisqu’ils doivent par ailleurs vaquer à leurs fonctions sociales ; mais il est exclu cependant que des représentants puissent gouverner à leur place puisque la liberté ne se délègue pas ; il faut que les inégalités de condition soient les plus réduites possible afin de ne pas susciter des jalousies qui fausseraient les délibérations d’autant que si les hommes par nature sont libres car tous sont des êtres conscients, de ce point de vue, qui est celui de leur essence, ils sont également fondamentalement égaux ; enfin, il est nécessaire qu’une bonne éducation leur soit donnée afin qu’ils acquièrent cette vertu consistant à privilégier l’intérêt général et non l’intérêt particulier. Toutes conditions, qui, réunies, rendent pour le moins utopique l’instauration d’une véritable démocratie.

 

 

C’est d’ailleurs pourquoi Platon, déjà, ne croyait pas dans les vertus de la démocratie. Il pensait que la commune humanité était trop faible pour faire prévaloir l’intérêt général avant l’intérêt particulier. Dans ce système, ce sont les passions qui prennent le dessus. La démocratie dégénère très vite en démagogie, c’est-à-dire un système où les décisions prises ne font que flatter le peuple et ses intérêts apparents ; bref où « la volonté de tous », dirait Rousseau, triomphe sans partage. Dès lors le seul moyen d’échapper à cette dérive inévitable consiste à retenir l’objectif légitime des démocraties, à savoir servir l’intérêt général, en confiant cette mission à des sages rigoureusement sélectionnés après une longue éducation et qui exerceront de manière bénévole et à tour de rôle cette fonction. « Il faut que les philosophes deviennent rois ou les rois philosophes ».

 

443. LOI ET LIBERTE SELON ROUSSEAU

Publié le 27/11/2012 à 05:53 par cafenetphilosophie Tags : bonne homme belle roman société nature soi divers cadre

Cours de philosophie. Suite du billet N° 437.

 

 

Dans l’immédiat, il convient d’analyser en quoi cette démarche démocratique réalise la pleine liberté des citoyens. En effet, si les lois sont généralement reconnues comme indispensables, la plupart des membres de la société ont tendance à considérer que les lois nous empêchent de vivre comme on le souhaite, bref sont antinomiques d’une liberté totale et idéale. Cette idée n’est pas absurde par elle-même. Le problème politique que Rousseau a voulu résoudre est le suivant : toute société a besoin de lois ; l’homme, par essence est libre ; comment concilier alors ces deux nécessités incontournables, à savoir l’existence de la loi et le respect de la liberté de l’homme ?

 

 

La solution est simple et découle des analyses qui précèdent. Si la loi est raisonnable, les citoyens, qu’ils aient ou non approuvé par leur vote cette loi, en obéissant à la loi raisonnable votée majoritairement, obéissent à leur propre raison c’est-à-dire à eux-mêmes. En effet, imaginons que ces citoyens n’aient pas voté cette loi. Cela signifie qu’en l’occurrence ils n’ont pas consulté leur raison. Ils n’ont fait que suivre leurs impulsions, leur bien apparent et non leur bien authentique. Leur choix n’exprimait qu’une liberté apparente ou illusoire. En revanche, en obéissant à la loi raisonnable, ils font leur bien en dépit de leur impression contraire. En obéissant à la loi raisonnable, ils obéissent aux conclusions qui auraient été celles de leur propre raison, ils obéissent donc à eux-mêmes. Quelle plus belle définition de la liberté que celle qui consiste à obéir à soi-même ?

 

 

 D’ailleurs, le citoyen, en l’occurrence, est en quelque sorte doublement, voire triplement libre : il est libre puisqu’il obéit à lui-même ; il est libre parce que, du même coup, il fait son bien, c’est-à-dire ce qu’il veut profondément. Il est libre car il n’obéit plus à des personnes mais à des lois impersonnelles, à des lois qui sont l’expression de la raison commune qui habite chaque homme.

 

 

La loi et la liberté ne sont donc pas nécessairement incompatibles. Pour que la loi soit l’expression même de la liberté, il suffit qu’elle soit raisonnable. Cette loi est donc délibérée et votée directement par les citoyens et non, comme dans le cadre des démocraties qui nous sont familières par des représentants élus. La démocratie idéale est une démocratie directe et non une démocratie représentative. En effet, si les hommes sont libres par nature, ils n’ont pas le droit de déléguer leur liberté de choix, ne serait-ce qu’un instant, à d’autres hommes en vue de les représenter, fussent-ils librement choisis. D’ailleurs une démocratie représentative voit fleurir une pluralité de partis politiques, chaque parti défendant, par essence des intérêts « parti-culiers » et non l’intérêt général.

 

 

La démocratie idéale ainsi conçue semble difficilement réalisable. Rousseau accorde qu’à défaut d’unanimité, une majorité de citoyens devrait être encline à approuver une disposition raisonnable, si tout au moins une bonne éducation les a disposés à se comporter ainsi. L’unanimité reste un objectif trop idéal, trop théorique pour pouvoir être atteint. D’ailleurs, l’unanimité n’est pas, par elle-même, le signe que la loi est raisonnable. L’unanimité peut résulter d’une convergence d’intérêts particuliers contradictoires (ou plus rarement uniformes). Par exemple, des mesures sociales fondées et raisonnables peuvent être rejetées unanimement, certains citoyens les refusant parce qu’ils les considèrent nettement insuffisantes, d’autres parce qu’ils les jugent au contraire excessives. En somme, la vérité exige légitimement et potentiellement la convergence des esprits alors que la convergence des esprits ne suppose pas nécessairement qu’elle se fasse autour de la vérité.

 

 

Une telle unanimité -ou à défaut une telle majorité- autour d’intérêts particuliers contradictoires est l’expression selon Rousseau, non plus de la « volonté générale » mais de la « volonté de tous ». Cette formulation indique clairement que, contrairement à la « volonté générale », l’unanimité en question n’exprime plus une volonté commune à tous les citoyens et ce autour de l’intérêt général, mais au contraire une somme, une juxtaposition d’intérêts particuliers divers et éloignés de l’intérêt de la Cité.

 

437 BIEN COMMUN ET LIBERTE

Publié le 21/11/2012 à 06:31 par cafenetphilosophie Tags : roman société homme nature

Cours de philosophie. Suite du billet N° 433.

 

 

Les conceptions politiques de Hobbes découlent de son pessimisme foncier concernant la nature de l’homme. L’ « homme étant un loup pour l’homme » et ce de manière irrémédiable, sa liberté, sur le plan politique, doit être sévèrement limitée et encadrée. Ce sont de telles conceptions qui hérissent Rousseau (XVIII° siècle) et qui font de Hobbes sa bête noire sur le plan philosophique. Car Rousseau défend une idée de l’homme, et par là même de la liberté, radicalement différente.

 

 

Le « Contrat social », œuvre majeure de Rousseau concernant la philosophie politique, part sur des bases opposées à celles du « Léviathan », œuvre où se voient consignées les conceptions politiques de Hobbes. La première phrase du « Contrat social » est célèbre et éclaire les conclusions qu’il en tirera et qui fonderont les principes d’une démocratie idéale : « L’homme est né libre et partout il est dans les fers ». Que peut bien signifier cette formule ? Le bon sens semble nous indiquer que le nouveau-né vit dans une dépendance totale vis-à-vis de ses parents. Rousseau sait évidemment cela. La liberté native de l’homme qu’il proclame repose donc sur d’autres considérations. En effet, l’homme est dépourvu d’instinct. La nature ne règle pas ses comportements. C’est un être conscient. La conscience lui donne le choix et la responsabilité de ses actes. C’est en ce sens que l’homme, par nature, est libre.

 

 

Dès lors, tout régime politique qui ne respecte pas cette liberté native de l’homme est contre-nature, est monstrueux, c’est-à-dire se situe hors des normes proposées par cette nature. Il convient en conséquence d’analyser en quoi consiste cette liberté qui caractérise l’homme par essence. Rousseau reprend sur ce plan les conclusions les plus classiques de la tradition philosophique. La liberté ne consiste pas à faire mes caprices ou ce qui me plaît mais à réaliser mon bien véritable. Le sujet n’est pas libre s’il est tyrannisé et dépendant par rapport à ses passions. En d’autres termes, seule la raison morale peut m’éclairer sur la nature de ce bien. Le sujet est libre s’il fait ce qu’il veut, à savoir son bien. Je suis libre si je suis capable « de consulter ma raison avant d’écouter mes penchants ».

 

 

Ce qui est vrai sur le plan de l’action individuelle l’est de la même manière sur le plan collectif et donc sur le plan politique. Rousseau rejoint là encore les penseurs classiques en ne distinguant pas le bien personnel et le bien de la Cité. Rousseau, rappelons-le, considère que l’homme ne devient véritablement homme, c’est-à-dire développe toutes les potentialités de son espèce, qu’au sein de la société. Ce n’est pas la société qui pervertit l’homme mais la société mal gouvernée. De ce fait, en servant le bien de la Cité il sert par le même mouvement son propre bien.

 

 

Comment servir son bien et le bien de la Cité ? Rousseau est convaincu que lorsque des hommes sont réunis en vue de délibérer sur un problème collectif à résoudre, si chacun utilise sa raison et oublie ses passions, ses désirs immédiats et illusoires, ils parviendront à une solution raisonnable et unanime. C’est ce que devraient faire les citoyens, un citoyen étant un membre de la société qui participe directement aux délibérations et aux votes aboutissant à la formation de la loi et donc des fins que se fixe la Cité.

 

 

Cette décision unanime parce que raisonnable incarne ce que Rousseau appelle la « volonté générale ». Elle est « générale » car elle est commune à tous les citoyens qui, au-delà de leurs différences individuelles, possèdent la même raison, faculté humaine qui, par essence, est source d’universalité. Ces décisions collectives et unanimes définissent par essence la démocratie idéale. Il s’agit bien d’une démocratie puisque ce sont les membres de la Cité qui, en tant que citoyens, sont souverains. Cette démocratie est idéale, car difficile d’imaginer que tous les citoyens soient capables de penser à l’intérêt général au détriment de l’intérêt particulier, même si ce dernier n’est qu’un intérêt apparent et illusoire au regard de la quête du bien.

 

 

Certes, Rousseau insiste sur le fait qu’une société bien gouvernée prévoit d’éduquer les citoyens à « consulter leur raison avant d’écouter leurs penchants ». L’ouvrage consacré à l’éducation, à savoir l’ « Emile », précède en termes de publication et est complémentaire du « Contrat Social ». Une éducation « idéale » permettrait d’instaurer une démocratie elle-même idéale. Rousseau peut-il être taxé en la matière de naïveté ? Nous verrons que ce n’est pas le cas. 

433 BIEN COMMUN ET SECURITE

Publié le 17/11/2012 à 06:27 par cafenetphilosophie Tags : société chez homme monde vie nature roman animal

Cours de philosophie. Suite du billet N°429.

 

 

Les critiques radicales et opposées de la loi et donc, indirectement ou directement de l’Etat, menées par Calliclès et Marx ne nous condamnent pas nécessairement à un choix difficile ou à un rejet global sans examen à cause des excès apparents contenus dans ces analyses. Même si nous ne les retenons pas dans ce qu’elles ont de radicales, et notamment dans ce que nous pouvons peut-être considérer comme des généralisations abusives, ces dernières sont susceptibles néanmoins d’éclairer certains aspects de la vie sociale. La réalité est suffisamment riche et complexe pour qu’on y trouve matière à utiliser de manière éclairante l’une ou l’autre des analyses en question. Il n’en reste pas moins que les conceptions classiques selon lesquelles toute société complexe doit se donner des fins collectives servant globalement le moins mal possible l’intérêt du plus grand nombre, la fixation de ces fins collectives et des moyens pour y parvenir relevant d’institutions spécialisées ou d’un Etat, demeurent sans doute celles qui traduisent de la manière la moins infidèle, car éloignées vraisemblablement de tout excès coupable, la réalité historique mais aussi les aspirations des hommes.

 

 

 De même qu’un individu, à titre privé, désire servir son intérêt véritable et faire son bien tout en pouvant commettre des erreurs dans cette quête, aveuglé notamment par la passion ou l’ignorance, de même une collectivité recherche en tant que telle son intérêt véritable tout en étant exposée aux mêmes risques ou dérives qu’un individu. L’intérêt de la société en tant que société renvoie à ce que l’on désigne par le terme de bien commun. Ce dernier est donc constitué par les fins qu’une société se fixe ainsi que par les moyens qu’elle se donne afin d’y parvenir.

 

 

Quel que soit le jugement que l’on peut porter sur les analyses de Hobbes à propos de la nature de l’homme et l’origine de la société, il semble difficile de contester que la sécurité des personnes et des biens soit sans doute la première aspiration de l’homme. Tout homme désire d’abord continuer à vivre, à l’abri des agressions éventuelles de ses congénères et nulle société ne peut subsister, être viable et garder un intérêt sans que cette sécurité ne soit assurée. Chacun admet que la guerre civile en particulier, guerre intestine où l’identification de l’ennemi est souvent difficile, voire impossible car potentiellement omniprésent et invisible, n’est jamais qu’un retour à « l’état de nature », état où les individus ne seraient pas protégés par un ordre social et les lois qui l’organisent, mais soumis aux seuls rapports de force naturels. Or, nous le savons, l’instinct de conservation est central dans le monde animal. De même en est-il chez l’homme du besoin de survie.

 

 

 C’est pourquoi Hobbes fait de la sécurité l’objectif majeur de l’activité politique. Seulement, la conception politique de Hobbes est influencée par l’idée qu’il se fait de l’homme. Ce dernier est considéré comme un animal foncièrement « méchant ». L’homme « est un loup pour l’homme » proclame-t-il. Cependant, ce terme de « méchant » peut avoir une connotation naïve dont il faut rendre compte. Car cela ne signifie pas qu’aucun homme ne soit capable ici ou là d’actes de générosité ou de vertus morales. Cela signifie que tout homme, en fin de compte, lorsque des intérêts personnels majeurs se verront en cause, servira ces derniers au détriment de l’intérêt collectif. Il s’agit là d’un comportement qui relève de sa nature biologique et qu’aucune éducation ne pourra modifier. A certains égards, Hobbes défend sur l’homme une thèse que reprendra Au XX°siècle et à sa manière Freud avec ses fameuses « pulsion de mort » et « pulsion de vie ».

 

 

Dès lors que l’homme est un simple animal dont il n’y a rien à attendre sinon le pire, il faut en tirer les conclusions sur le plan politique. Rappelons que l’homme accepte de vivre en société dans la mesure où sa liberté naturelle s’avère théorique, menacé qu’il est dans sa sécurité par ses congénères. L’homme fait donc en quelque sorte un marché ou bien ce que Hobbes appelle un « contrat », c’est-à-dire un accord implicite avec ceux chargés de diriger la société : il renonce à sa liberté naturelle en échange de la sécurité que lui procurent les lois et la force qui les soutient et permet de les appliquer effectivement.

 

 Les gouvernants se voient donc investis de la mission d’assurer la sécurité. Leur légitimité, c’est-à-dire la justification de leur pouvoir, est fondée sur cette seule capacité et non sur d’autres vertus ou valeurs. Or, pour remplir cette mission, ils doivent tout naturellement tenir compte de la nature de l’homme. Si on laisse ce dernier agir comme bon lui semble, la société risque de se disloquer, l’insécurité régner en maître. Il faut donc prévenir tout comportement mettant en danger la paix au sein du corps social. C’est pour cela qu’il faut interdire toute liberté susceptible de diviser, d’attiser les rivalités sociales. Il convient donc d’empêcher toute lutte pour le pouvoir ; d’interdire tout prosélytisme (autrement dit toute diffusion et propagande) religieux ou idéologique. A ce titre, Hobbes fait l’apologie de l’Etat autoritaire.

 

 

Cela signifie-t-il pour autant que les membres de la société ne sont pas libres ? Pour répondre à cette question, il ne faut pas conserver en tête le modèle politique qui est le nôtre à notre époque et en Occident. Car si les membres de la société sont en sécurité, ils sont libres dans la mesure où la sécurité demeure la première des libertés et la condition de toutes les autres. De plus, nous l’avons déjà signalé, les hommes sont libres dans tous les domaines de la vie ordinaire, tous ceux qui ne sont pas régis par des lois et ces domaines s’avèrent très étendus.

 

 

Afin de remplir sa mission, qui est d’assurer la sécurité des personnes et des biens, l’Etat autoritaire doit être un Etat de droit, un Etat où les décisions publiques sont prises en accord avec les lois existantes. Sinon, si ce pouvoir viole ses propres lois simplement parce qu’il dispose de la puissance pour le faire, il rétablit l’insécurité qu’il était censé garantir. En effet, dans ce cas, les citoyens, quoiqu’ils fassent, qu’ils respectent les lois ou non, ne savent plus ce qui les attend. C’est la conséquence de décisions purement arbitraires. Les hommes auraient alors fait un marché de dupes : ils avaient renoncé à leur liberté naturelle afin de gagner en échange la sécurité, et face à l’arbitraire du pouvoir ils n’auraient plus ni l’une ni l’autre.

  

 

La conception de Hobbes est certes cohérente. Mais, historiquement, on n’a jamais connu d’Etat autoritaire respectant scrupuleusement le droit. D’ailleurs, si les hommes sont mauvais, il en ira de même des gouvernants et rien n’assurera les gouvernés que l’Etat en question respectera le droit avec la garantie de sécurité que cela implique. Certes il y va de l’intérêt des gouvernants de respecter les règles de l’Etat de droit puisque leur pouvoir n’est légitime qu’à cette condition. Mais l’homme est de nature faible. Il a toujours tendance à penser qu’il peut rompre ses engagements lorsque cela l’arrange et qu’il pourra échapper aux risques encourus. Un Etat autoritaire qui ne serait pas également un Etat arbitraire est vraisemblablement une vue de l’esprit.

 

429 LES ETATS NON-DEMOCRATIQUES

Publié le 13/11/2012 à 06:41 par cafenetphilosophie Tags : texte cadre soi mode nature société homme monde vie extrait solidarité roman pensée

Cours de philosophie. Suite du billet N° 425.

 

  

 A partir de ce constat,(Cf  N°425) Marx et Engels tirent des conclusions afin de remédier à cet état de fait. Les classes sociales exploitées doivent tout d’abord prendre clairement conscience de leur condition et des raisons qui en rendent compte. Cette prise de conscience doit être initiée par une minorité, une élite de la classe ouvrière qui se constitue en parti révolutionnaire. L’objectif consiste à supprimer l’Etat bourgeois, à faire une révolution sociale conduisant à abolir la propriété privée des moyens de production. Cependant, la société, afin d’atteindre de tels objectifs et de s’organiser sur de nouvelles bases, a encore besoin d’un Etat. Ce dernier aura pour mission de servir les intérêts non pas de la classe dominante mais au contraire du prolétariat, c’est-à-dire de l’immense majorité de la population. Cette mission sera provisoire. Car un Etat est ordinairement le reflet d’une société traversée par des conflits de classes. Dès lors que la propriété des moyens de production est abolie, il n’y a plus de classe dominante et donc de luttes internes avec la nécessité d’un arbitre. En conséquence le nouvel Etat, l’Etat dit prolétarien, dépérira progressivement au fur et à mesure que les objectifs de la Révolution se verront atteints. L’Etat prolétarien est bien par essence un Etat provisoire. C’est ce processus qu’Engels décrit dans cet extrait de l’ « Anti-Dühring » :

  

  

 « Le prolétariat s’empare du pouvoir d’Etat et transforme les moyens de production d’abord en propriété d’Etat. Mais par-là, il se supprime lui-même en tant que prolétariat. Il supprime toutes les différences de classe et opposition de classe et également l’Etat en tant qu’Etat. La société antérieure, évoluant dans des oppositions de classes, avait besoin de l’Etat, c’est-à-dire, dans chaque cas, d’une organisation de classe exploiteuse […] pour maintenir par la force la classe exploitée dans les conditions d’oppression données par le mode de production existant (esclavage, servage, salariat). L’Etat était le représentant officiel de toute la société, sa synthèse en un corps visible, mais cela, il ne l’était que dans la mesure où il était l’Etat de la classe qui, pour son temps, représentait elle-même toute la société : dans l’Antiquité, Etat des citoyens propriétaires d’esclaves ; au Moyen Age, de la noblesse féodale ; à notre époque, de la bourgeoisie. Quand il finit par devenir effectivement le représentant de toute la société, il se rend lui-même superflu. Dès qu’il n’y a plus de classe sociale à tenir dans l’oppression ; dès que, avec la domination de classe et la lutte pour l’existence individuelle […] sont éliminés également les collisions et les excès qui en résultent ; il n’y a plus rien à réprimer qui rende nécessaire un pouvoir de répression, un Etat. Le premier acte dans lequel l’Etat apparaît réellement comme représentant de toute la société – la prise de possession des moyens de production au nom de la société- est en même temps son dernier acte propre en tant qu’Etat. L’intervention d’un pouvoir d’Etat dans des rapports sociaux devient superflue dans un domaine après l’autre, et entre alors naturellement en sommeil. Le gouvernement des personnes fait place à l’administration des choses et à la direction des opérations de production. L’Etat n’est pas « aboli, il s’éteint ».

 

  

Engels, dans les dernières lignes de ce texte conclut à propos de l’Etat prolétarien que ce dernier est destiné à dépérir pour enfin disparaître. A l’issue de ce processus, se sera mis en place une société autogestionnaire, à savoir une société sans Etat, une société au sein de laquelle chaque milieu de vie ou chaque profession gèreront eux-mêmes leur activité. C’est en ce sens que Engels définit cette future société, où toute autorité d’un Etat et de ses représentants ou d’un propriétaire d’une terre ou d’une usine aura disparu comme une société où « le gouvernement des personnes fait place à l’administration des choses ». Autrement dit, toutes les décisions seront prises collectivement, démocratiquement. Aucun homme ne sera soumis à un autre homme.

 

 

  

C’est précisément cette société autogestionnaire qui représente l’idéal des anarchistes. Mais alors qu’est-ce qui distingue voire oppose les anarchistes et les marxistes ? Les anarchistes tombent d’accord avec Marx concernant la perspective de la société autogestionnaire. Ce qui les sépare, c’est la nécessité provisoire d’un Etat prolétarien afin de servir de transition entre l’Etat bourgeois et cette société autogestionnaire. Les anarchistes sont convaincus que tout Etat engendre nécessairement répression, privilèges, domination des gouvernants sur l’ensemble de la société. La révolution doit instaurer immédiatement cette société autogestionnaire. Notons à cet égard que, contrairement au préjugé fort répandu selon lequel l’anarchie est assimilée au désordre, à l’individualisme débridé, à l’absence de règles et de sanctions, les anarchistes rêvent d’une société autogestionnaire, qui, comme nous l’avons déjà dit, suppose que la société soit organisée autour de règles débattues et approuvées démocratiquement. Néanmoins, dans le cadre d’une société autogestionnaire nous n’évoquons plus l’idée de loi, créée par définition par un Etat, mais de règles décidées par la base de la population. Dans une telle société, non seulement il n’y a plus de lois créées par un Etat, mais toutes les institutions spécialisées d’un Etat (armée, police, magistrature….) disparaissent au bénéfice d’associations populaires dont les membres sont élus et remplissent de manière temporaire les fonctions correspondantes.La position des anarchistes est parfaitement exprimée par Bakounine dans ce passage de la « Lettre du 5 octobre 1872 » :

 

  

 « Nous pensons que la politique, nécessairement révolutionnaire, du prolétariat doit avoir pour objet immédiat et unique la destruction des Etats. Nous ne comprenons pas qu’on puisse parler de la solidarité internationale lorsqu’on veut conserver les Etats – à moins qu’on ne rêve l’Etat universel, c’est-à-dire l’esclavage universel, comme les grands empereurs et les papes – l’Etat par sa nature même étant une rupture de cette solidarité et par conséquent une cause permanente de guerre. Nous ne concevons pas non plus qu’on puisse parler de la liberté du prolétariat ou de la délivrance réelle des masses dans l’Etat et par l’Etat. Etat veut dire domination, et toute domination suppose l’assujettissement des masses et par conséquent leur exploitation au profit d’une minorité gouvernante quelconque. Nous n’admettons pas, même comme transition révolutionnaire, ni les Conventions nationales, ni les Assemblées constituantes, ni les gouvernements provisoires, ni les dictatures soi-disant révolutionnaires : parce que nous sommes convaincus que la révolution n’est sincère, honnête et réelle que dans les masses, et que, lorsqu’elle se trouve concentrée entre les mains de quelques individus gouvernants, elle devient inévitablement et immédiatement la réaction. Telle est notre croyance, ce n’est pas ici le moment de la développer.

 

  

Les marxiens professent des idées toutes contraires. Ils sont les adorateurs du pouvoir de l’Etat, et nécessairement aussi les prophètes de la discipline politique et sociale, les champions de l’ordre établi de haut en bas, toujours au nom du suffrage universel et de la souveraineté des masses, auxquelles on réserve le bonheur et l’honneur d’obéir à des chefs, à des maîtres élus. (…) Entre les marxiens et nous il y a un abîme. Eux, ils sont les gouvernementaux, nous les anarchistes… ».

 

  

L’Etat, tel que le conçoit et le décrit Bakounine est effrayant. Les théoriciens de l’Etat « démocratique » contemporain, Etat de droit qui protège contre l’arbitraire, Etat qui, comme nous le verrons s’efforce de respecter la dignité et les droits des personnes, resteront sceptiques et réservés vis-à-vis de thèses aussi radicales et maintiendront la nécessité d’un Etat afin de coordonner l’ensemble des activités sociales vers des fins précises. Pourtant, le XX° siècle a inventé et mis en place une forme d’Etat qui dépasse sans doute en capacité « d’asservissement » tout ce que pouvait imaginer Bakounine, à savoir l’Etat dit « totalitaire ». Ce dernier a revêtu deux formes distinctes du seul point de vue des finalités qui inspiraient son action : il s’agit d’une part de l’Etat de type soviétique visant à instaurer une égalité sociale la plus poussée possible et préparant théoriquement la mise en place de la société d’abondance annoncée par Marx et d’autre part l’Etat de type « fasciste » visant à ériger en absolu le nationalisme et même concernant l’Allemagne hitlérienne, le racisme pur et simple, c’est-à-dire rappelons-le, la conviction selon laquelle il existe une race biologiquement et culturellement supérieure par essence à toutes les autres.

 

  

  

  

Qu’est-ce qu’un Etat totalitaire ? C’est un Etat qui, par définition, non seulement contrôle la totalité des activités sociales mais qui de plus exerce cette autorité au nom d’une idéologie officielle, au nom d’un ensemble de conceptions philosophiques exclusives, supposées incarner la vérité et qui s’imposent par la contrainte, s’il le faut, à l’ensemble de la population. L’Etat soviétique est officiellement athée et considère les conceptions initiées par Marx, Engels et Lénine non comme une conception du monde parmi d’autre mais comme une « science » de l’économie et de l’Histoire, éclairant l’humanité sur les origines de l’exploitation de l’homme par l’homme et sur les moyens de s’en libérer. L’Etat hitlérien, également athée ou à tout le moins ouvertement païen, fait de la race dite « aryenne » la race supérieure et du peuple juif l’origine de tous les maux qu’a connu le monde et en particulier le peuple allemand.

 

  

Ces Etats n’ont donc rien de « laïque » si nous entendons par là des Etats où il n’y a aucune religion ou idéologie officielles, où chaque membre de la société peut militer pour l’idéologie religieuse ou profane de son choix, sous réserve que ces dernières n’agissent pas de manière violente ou ne cultivent pas des pratiques conduisant à disloquer la société en question. Par ailleurs, il n’y a plus de distinction entre l’Etat et la « société civile », entre les institutions dirigeantes et l’ensemble des activités sociales, puisque ces dernières deviennent l’expression, le témoignage de l’idéologie officielle de l’Etat. D’ailleurs l’Etat ainsi conçu n’est plus un simple moyen « technique » en vue de réaliser quelques objectifs collectifs majeurs, il devient l’ « âme » même de la société toute entière, sa raison d’être, bref une fin en soi, le chef de l’Etat incarnant les valeurs et les finalités de cet Etat et de son idéologie, avec le culte de la personnalité du chef ou  du guide que cela implique.

 

  

Bien entendu, de tels Etats suscitent des résistances intérieures qui sont impitoyablement brisées par la violence, sans compter la surveillance étroite et policière que doit subir la population afin de prévenir tout risque d’insoumission. Les camps de concentration en Allemagne (Les Allemands ayant été les premières victimes de ces camps avant la seconde guerre mondiale) ou les camps de « travail » ou autres goulags en URSS ont pour fonction de « jeter à la poubelle de l’Histoire » comme le proclame Lénine, ceux qui résistent à l’idéologie censée aller précisément dans le « sens de l’histoire » et servir la vérité.

 

  

Le sociologue français Raymond Aron (XX° siècle) analyse assez bien dans « Démocratie et totalitarisme » la nature et les caractéristiques de l’Etat totalitaire :

« 1. Le phénomène totalitaire intervient dans un régime qui accorde à un parti le monopole de l’activité politique.

 2. Le parti monopolistique est animé ou armé d’une idéologie à laquelle il confère une autorité absolue et qui, par suite, devient la vérité officielle de l’Etat.

3. Pour répandre cette vérité officielle, l’Etat se réserve à son tour un double monopole, le monopole des moyens de force et celui des moyens de persuasion. L’ensemble des moyens de communication, radio, télévision, presse, est dirigé, commandé, par l’Etat et ceux qui le représentent.

  4. La plupart des activités économiques et professionnelles sont soumises à l’Etat et deviennent, d’une certaine façon, partie de l’Etat lui-même. Comme l’Etat est inséparable d’une idéologie, la plupart des activités économiques et professionnelles sont colorées par la vérité officielle.

5. Tout étant désormais activité d’Etat et toute activité étant soumise à l’idéologie, une faute commise dans une activité économique ou professionnelle est simultanément une faute idéologique. D’où, au point d’arrivée, une politisation, une transfiguration idéologique de toutes les fautes possibles des individus et, en conclusion, une terreur à la fois policière et idéologique.

 

 

 

 

Ajoutons à ces considérations l’encadrement et l’embrigadement très précoce et très étroit de la jeunesse afin de la couler dans le moule de l’idéologie officielle tant sur le plan de la pensée que des pratiques.

425 SUSPICIONS SUR LE RÔLE DES LOIS

Publié le 09/11/2012 à 05:52 par cafenetphilosophie Tags : travail société moi vie nature roman pensée

Cours de philosophie. Suite du billet N°421

 

 

 

 Comme nous l’avons signalé, si un Etat de droit nous met à l’abri de mesures arbitraires, il ne nous assure pas pour autant que les lois existantes soient équitables ou justes et servent l’intérêt général et non les intérêts d’une minorité de la population. Mais précisément, les lois doivent-elles servir l’intérêt général et s’appliquer de manière uniforme ou égale à tous les membres d’une société donnée ? Car, dans la mesure où tous les membres d’une société sont en principe ou la plupart du temps soumis aux mêmes lois et dans la mesure où le droit limite la puissance des plus forts, les lois conduisent à égaliser les hommes face aux circonstances de la vie alors que la nature ne connaît que des inégalités. C’est pourquoi Calliclès, personnage de Platon dans « Gorgias » et contradicteur de Socrate, le porte-parole de Platon, soutient le point de vue suivant à propos des lois :

 

 

 « …Selon moi, les lois sont faites pour les faibles et par le grand nombre. C’est pour eux et dans leur intérêt qu’ils les font et qu’ils distribuent les éloges ou blâmes ; et, pour effrayer les plus forts, ceux qui sont capables d’avoir l’avantage sur eux, pour les empêche de l’obtenir, ils disent qu’il est honteux et injuste d’ambitionner plus que sa part et que c’est en cela que consiste l’injustice, à vouloir posséder plus que les autres ; quant à eux j’imagine qu’ils se contentent d’être sur le pied de l’égalité avec ceux qui valent mieux qu’eux.

 

 

Voilà pourquoi, dans l’ordre de la loi, on déclare injuste et laide l’ambition d’avoir plus que le commun des hommes, et c’est ce qu’on appelle injustice. Mais je vois que la nature elle-même proclame qu’il est juste que le meilleur ait plus que le pire et le plus puissant plus que le faible ».

 

Il est clair que Calliclès condamne comme contre-nature l’idée même d’intérêt général et au-delà de ce qu’on appellera plus tard l’Etat de droit. Il ne faut pas que la loi entrave les possibilités des plus forts, des plus doués, des mieux pourvus par la nature. Pour Calliclès, il est juste que les intérêts particuliers, lorsqu’il s’agit de ceux des meilleurs, puissent s’imposer sans aucune entrave et que la loi ne s’applique pas à ces derniers lorsqu’elle fait obstacle au déploiement de leur talent naturel. Dans ces conditions, c’est l’idée même de loi qui se voit remise en cause, puisque si on suit les recommandations de Calliclès, la loi devient purement théorique, l’arbitraire étant légitimé afin de favoriser les plus forts. La loi, aux yeux de Calliclès, est injuste par essence du point de vue de la nature, puisqu’au sein de cette dernière les plus forts prennent le dessus sans entrave et les inégalités constituent la règle.

 

 

 C’est en ce sens que Calliclès prétend que la loi, qui vise à établir une égalité artificielle entre des individus naturellement inégaux, a été inventée par la foule des faibles afin de ligoter les forts. Les faibles n’aiment pas les têtes qui dépassent tout en désirant secrètement leurs privilèges. Afin de masquer cette démarche mesquine, ils inventent des principes moraux justifiant cette égalité et destinés à culpabiliser les « forts ». Platon, par la bouche de Calliclès, mais sans le reprendre à son compte, avait donc analysé les mécanismes du ressentiment, ce sentiment qui consiste de la part de certains individus à critiquer ce que secrètement ils désirent, faute d’être capables d’obtenir l’objet de ce désir, ressentiment qui deviendra un des fondements de la critique nietzschéenne de la morale.

 

 

 

Cette critique radicale de la loi n’est pas la seule qui ait vu le jour au cours de l’histoire de la pensée. Au XIX° siècle, Marx et Engels proposent un autre type de critique sans concession de la loi mais aux antipodes de celle de Calliclès. Nous savons en effet que la loi est créée par un Etat. Or, quelle est la fonction cachée d’un Etat et donc des lois ? Pour Marx et Engels toute société connaît des conflits sourds ou ouverts entre des catégories sociales dont les intérêts sont divergents. Ces conflits opposent ce qu’ils appellent des classes sociales, une classe sociale étant définie par le statut de ses membres par rapport à la propriété des moyens de production, c’est-à-dire les terres et les usines. Même si l’analyse peut être affinée en la matière, il existe en fin de compte deux classes fondamentales au sein des diverses sociétés : celle qui est propriétaire de ces moyens de production et celle qui ne possède rien d’autre que sa force de travail et qu’on appelle le prolétariat.

 

 

L’origine historique de ces conflits et de cette division en classes sociales est simple. Elle n’est pas de nature morale. Ce n’est pas parce que les hommes sont « méchants » que de telles inégalités existent. C’est tout simplement parce que depuis les origines, les sociétés connaissent une pénurie relative de biens produits. Cela signifie qu’il n’y a pas assez de biens pour pouvoir satisfaire tous les besoins de l’ensemble d’une population donnée. Cela entraîne des luttes afin de s’approprier le maximum de biens possible. Ces conflits ont donc une origine matérielle et sont inévitables jusqu’au jour très lointain où l’humanité parviendra à une société d’abondance, une société où les biens seront précisément tellement abondants qu’une lutte pour se les approprier aura perdu toute signification.

 

 

Or, une société ne peut durablement se maintenir s’il existe en son sein des conflits ouverts. Il faut donc qu’il y ait des instances capables d’arbitrer ces conflits. L’ensemble des institutions jouant ce rôle d’arbitre correspond à l’Etat. Telle est la fonction de l’Etat. Il crée certes des lois mais ces dernières sont destinées à étouffer ces conflits internes et inévitables au sein d’une société. Seulement l’Etat en question arbitre toujours dans le même sens, à savoir au service des intérêts de la classe dominante.

 

 

Comment expliquer ce phénomène ? Car il ne s’agit pas de diaboliser les gouvernants ni d’ailleurs la totalité des propriétaires des moyens de production. Nombre d’entre eux souhaitent sincèrement agir au mieux, de la manière la plus équitable possible, améliorant ainsi la condition des prolétaires. Seulement, ces souhaits généreux éventuels sont voués à l’échec. Cela est dû non à la mauvaise volonté des hommes mais à la nature même du système économique, en particulier le système économique capitaliste. Ce ne sont pas les hommes qui sont mauvais, c’est le système économique qui est mauvais par nature.

 

 

 Exposons un scénario théorique et schématique afin de mieux comprendre ce que Marx et Engels avancent. Supposons qu’un gouvernement veuille prendre des dispositions sociales favorables à la classe ouvrière. Ces dispositions peuvent conduire à alourdir les charges des grandes entreprises concernées de telle sorte que la concurrence avec des entreprises étrangères se trouve faussée et que, si le gouvernement en question maintient sa position, il s’expose à des faillites, dramatiques en termes de chômage notamment. Ce gouvernement y renoncera alors, contraint et forcé par la logique du système économique capitaliste. En conséquence, la loi s’avère, en fin de compte, toujours favorable aux intérêts des propriétaires des moyens de production ou si l’on préfère à la classe dominante. Ainsi, la justification ultime d’un Etat réside-t-elle dans la défense de tels intérêts. Ce type d’analyse aboutit donc à des conclusions diamétralement opposées à celles de Calliclès. La loi, émanation d’un Etat, est par essence au service des plus puissants.C’est ce qu’écrit Engels dans « L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat » :

 

 

 «  L’Etat n’est donc pas un pouvoir imposé du dehors à la société…Il est bien plutôt un produit de la société à un stade déterminé de son développement ; il est l’aveu que cette société s’empêtre dans une insoluble contradiction avec elle-même, s’étant scindée en oppositions inconciliables qu’elle est impuissante à conjurer . Mais pour que les antagonismes, les classes aux intérêts économiques opposés, ne se consument pas, elles et la société, en une lutte stérile, le besoin s’impose d’un pouvoir qui, placé en apparence au-dessus de la société, doit estomper le conflit, le maintenir dans les limites de « l’ordre » : et ce pouvoir, né de la société, mais qui se place au-dessus d’elle et lui devient de plus en plus étranger , c’est l’Etat ; […] Comme l’Etat est né du besoin de réfréner des oppositions de classes, mais comme il est né, en même temps, au milieu du conflit des classes, il est, dans la règle, L’Etat de la classe la plus puissante, de celle qui domine au point de vue économique et qui, grâce à lui, devient aussi classe politiquement dominante et acquiert ainsi de nouveaux moyens pour mater et exploiter la classe opprimée.[…]L’Etat n’existe donc pas de toute éternité. Il y a eu des sociétés qui se sont tirées d’affaire sans lui, qui n’avaient aucune idée de l’Etat et du pouvoir d’Etat. A un certain stade du développement économique, qui était nécessairement lié à la division de la société en classes, cette division fit de l’Etat une nécessité ». 

421 ORIGINE ET FONCTION DES LOIS

Publié le 05/11/2012 à 07:44 par cafenetphilosophie Tags : enfants homme monde vie soi roman société

Cours  de philosophie. Suite du billet N° 417.

 

 

 

Dans la conception qui précède, (cf billet N° 417) les exigences naturelles et les exigences sociales se complètent harmonieusement. D’une manière générale, les auteurs classiques, quelles que soient par ailleurs leurs divergences, reconnaissent la nécessité de la société et en conséquence des lois en vue d’amener l’homme à exploiter pleinement ses potentialités individuelles et collectives.

 

 

 

Bien entendu les lois ne régissent pas l’ensemble des activités d’un individu. D’ailleurs, quotidiennement, nous en faisons l’expérience. Aucune loi ne nous contraint à faire notre toilette le matin ; à employer telle ou telle marque de dentifrice ; à acheter sur le marché telle ou telle marchandise ; à consommer tel ou tel plat ; à saluer ou non son voisinage ; à rechercher les champignons dans les bois etc. La liste des gestes quotidiens non régis par des lois serait longue et fastidieuse. Il est clair que la plupart de ces actes ordinaires de la vie relève de la coutume, des modes, des règles morales qu’on se donne, c’est-à-dire de manières de vivre librement choisies à titre individuel et non de la loi, qui incarne une exigence collective à laquelle nous ne saurions échapper sous peine de sanction.

 

 

C’est précisément ce qu’affirme Hobbes dans le « Léviathan » :

 

 

« Etant donné qu’il n’existe pas au monde de république où l’on ait établi suffisamment de règles pour présider à toutes les actions et paroles des hommes (car cela serait impossible), il s’ensuit nécessairement que, dans tous les domaines d’activité que les lois ont passés sous silence, les gens ont la liberté de faire ce que leur propre raison leur indique comme leur étant le plus profitable. Car si nous prenons le mot de liberté en son sens propre de liberté corporelle, c’est-à-dire de n’être ni enchaîné ni emprisonné, il serait tout à fait absurde de crier comme ils le font pour obtenir cette liberté dont ils jouissent si manifestement. D’autre part, si nous entendons par liberté le fait d’être soustrait aux lois, il n’est pas moins absurde de la part des hommes de réclamer comme ils le font cette liberté qui permettrait à tous les autres hommes de se rendre maîtres de leurs vies. Et cependant, aussi absurde que ce soit, c’est bien ce qu’ils réclament, ne sachant pas que leurs lois sont sans pouvoir pour les protéger s’il n’est pas un glaive entre les mains d’un homme (ou de plusieurs) pour faire exécuter ces lois.

 

 

Par conséquent, la liberté des sujets réside seulement dans les choses qu’en règlementant leurs actions le souverain a passées sous silence, par exemple la liberté d’acheter, de vendre, et de conclure d’autres contrats les uns avec les autres, de choisir leur résidence, leur genre de nourriture, leur métier, d’éduquer leurs enfants comme ils le jugent convenable et ainsi de suite ».

 

 

Les lois, rappelons-le, ne concernent que les domaines d’activités relatifs aux fins ou aux objectifs collectifs que la société s’est donnés et aux moyens pour atteindre ces derniers. Le nombre ou l’étendue de ces objectifs s’avère plus ou moins importants. Certaines sociétés historiques ne se donnent qu’un nombre très limité d’objectifs collectifs et les restreignent à quelques fonctions vitales afin de maintenir leur unité et leur identité : défendre leur territoire par rapport à des ennemis potentiels ; assurer la sécurité des personnes et des biens à l’intérieur ; battre monnaie etc. A l’autre extrême, certaines sociétés régentent la quasi-totalité des activités sociales comme ce fut le cas dans l’ex-URSS, avec, entre ces extrêmes tous les intermédiaires imaginables. C’est ainsi par exemple que la plupart des sociétés démocratiques contemporaines assurent l’instruction de la population ou mettent en place des systèmes de santé publics et organisent des garanties par rapport à la maladie ou à la vieillesse etc., tout en laissant des pans entiers et importants de l’activité sociale aux mains et à l’initiative d’intérêts privés.

    

 

    Il convient alors de se demander par quels moyens ces lois sont décidées, appliquées et défendues. Il va de soi que pour les sociétés dont le territoire est peu étendu, la population restreinte, les activités sociales peu différenciées comme c’est le cas concernant les sociétés primitives ou même, beaucoup plus près de nous, les microsociétés de la féodalité, le pouvoir de créer les règles sociales est tout entier entre les mains de quelques personnes voire d’une seule. Nul besoin, dans ces cas de figure, d’institutions spécialisées. Il n’en va pas de même lorsque, au contraire, les sociétés concernées sont développées et complexes. Dans ce cas, les sociétés supposent un ensemble d’institutions spécialisées dont la fonction consiste à créer les lois, à les faire appliquer et à les défendre.

 

   

  Cet ensemble d’institutions constitue ce qu’on appelle un Etat. Ce terme est quelque peu équivoque dans la langue française. La notion d’Etat renvoie souvent à un territoire délimité par des frontières et sur lequel s’applique les mêmes lois. On évoque l’Etat français, allemand, espagnol etc. ou on parle de la réunion des Etats européens par exemple. Mais la notion d’Etat revêt un sens plus strictement juridique : il s’agit de l’ensemble des institutions spécialisées destinées à créer les lois, à les faire appliquer et à les défendre contre des ennemis extérieurs ou intérieurs. En effet, un Etat possède une tête, à savoir le pouvoir politique, avec des gouvernants et des assemblées délibératives chargés de créer les lois et de fixer les fins de la société concernée et les moyens pour les atteindre ; une administration permettant de faire appliquer ces lois sur l’ensemble du territoire ; une armée pour les défendre vis-à-vis des ennemis de l’extérieur ; une police pour faire respecter les lois à l’intérieur du dit territoire et réprimer ceux qui les violent ; car il ne suffit pas que les lois existent pour qu’elles soient appliquées sans qu’une force n’intervienne ou menace d’intervenir et ce dans la mesure où l’homme ne dispose d’aucun instinct social; c’est à ce titre que l’Etat dispose, selon Weber (XIX°-XX° siècle), « du monopole de la violence légitime » afin de défendre les lois vis-à-vis de ceux qui se refusent à y obéir ; enfin, une institution judiciaire afin de régler les différends entre particuliers ou entre particuliers et l’Etat (par exemple des erreurs fiscales éventuelles) en rappelant quelle est la loi existante au regard de ces différends et en conséquence les droits de chacun.

 

 

   Les membres de ces institutions spécialisées portent, la plupart du temps, de manière symbolique, un uniforme. Pensons aux uniformes des militaires, des policiers, des magistrats. Cela signifie que ces personnes n’exercent plus leur fonction en tant que personnes privées mais au nom des lois générales qu’elles ont pour mission de servir et qui, par définition, sont uniformes sur l’ensemble d’un territoire donné.

 

 

Cependant, cette uniformité de la loi ne va pas toujours de soi. Une question politique importante consiste à savoir en premier lieu si les fins collectives choisies et les moyens pour les atteindre, c’est-à-dire, rappelons-le, les lois, doivent viser les intérêts du plus grand nombre ou bien les intérêts d’une minorité de privilégiés et en second lieu si les lois en question doivent être respectées en toutes circonstances et s’appliquer également à tous les membres de la société, quel que soit leur statut social. En somme, les lois sont-elles au service de ce qu’on appelle l’intérêt général d’une part et servent-elles de base à ce qu’on appelle un Etat de droit d’autre part ?

 

 

Un Etat de droit est un Etat où toutes les décisions prises par les autorités publiques, les gouvernants, l’administration, la police, l’institution judiciaire le sont en vertu des lois existantes. Cela ne signifie pas nécessairement que ces lois soient considérées par la population comme justes ou équitables. Cela veut dire que chaque membre de la société connaît en quelque sorte « les règles du jeu » et sait à quoi il s’expose s’il y déroge. En somme aucune décision arbitraire ne peut être prise par les autorités publiques. Une mesure est arbitraire lorsqu’elle n’est pas justifiée par les lois existantes. Par exemple si la loi prévoit que je peux rouler sur autoroute à 130 Kms / par heure, que je m’y conforme et que la gendarmerie me dresse un procès-verbal, la mesure est arbitraire au regard de la loi. Bien entendu, la victime de cette mesure peut avoir recours à des tribunaux compétents qui seront chargés de rappeler la loi et qui annuleront les mesures répressives prises de manière injustifiée au regard de cette loi.