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· 9 LE STATUT DE LA CONSCIENCE SELON NIETZSCHE. COURS.
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· NATURE HUMAINE ET CONDITION HUMAINE.
· 1 LES FONDEMENTS D'UNE DEMOCRATIE
· 10 LA FONCTION DU MYTHE
· 531 L'ART POUR L'ART OU ART ENGAGE?
· 5 LE BOUDDHISME: COMPARAISON AVEC L'HINDOUISME
· 12 MOÏSE, FONDATEUR DU JUDAÏSME
· 1 COURS DE PHILOSOPHIE: LA PHILOSOPHIE SPONTANEE.
· 286. LES MANIFESTATIONS DE L'INCONSCIENT PSYCHIQUE.
· 289. INCONSCIENT PSYCHIQUE ET CONNAISSANCE DE SOI.
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Dernière mise à jour :
31.01.2025
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Il y a tout lieu de penser que le phénomène religieux est contemporain de notre espèce ou plus précisément des espèces conscientes comme l'homo sapiens sapiens ou plus loin de nous l'homme de Néandertal. En effet la conscience de soi apporte un savoir sur soi et le monde très particulier et radicalement nouveau. Contrairement aux autres espèces animales, l'homme ne se contente pas d'avoir des savoirs susceptibles d'assurer l' adaptation à son milieu en l'insérant de manière précise au sein d'un écosystème (ensemble des relations entre les différentes réalités animales, végétales, minérales et constituant un tout organisé au sein duquel ces réalité sont complémentaires les unes par rapport aux autres) mais il sait qu'il dispose de ce savoir. Etre conscient, ce n'est pas seulement savoir, c'est savoir qu'on sait. L'animal dispose de savoirs naturels précis ordinairement qualifiés d'instinct. Mais il ignore qu'il est en possession de ce savoir. Il se contente de l'utiliser de manière quasiment mécanique. Il est vrai que les espèces animales dont le système nerveux central est plus développé dispose à côté de l'instinct des formes d'intelligence si on entend par intelligence la capacité générale d'apprendre. Nul n'ignore que si les mammifères notamment ne disposaient pas d'un minimum d'intelligence ainsi définie, le cirque n'existerait pas. Il n'en reste pas moins vrai que l'animal, même intelligent, connaît certes le plaisir, la douleur, la joie, la peine, une capacité de mémorisation etc. mais il ne sait pas qu'il ressent un plaisir, une douleur etc. Il se contente de les vivre. C'est à ce titre que l'on peut dire que l'animal vit alors que l'homme existe si on appelle existence cette relation très spécifique au monde qui consiste à savoir que l'on vit, que l'on ressent plaisir et douleur, que l'on a des souvenirs etc. L'état conscient a pour conséquence que la vie intérieure de l'homme est double: il vit des émotions, il utilise des souvenirs, il réagit en fonction de représentations mais il dispose d'un étage supplémentaire en quelque sorte, à savoir qu'il peut prendre du recul sur l'ensemble de ses contenus mentaux et savoir (c'est-à-dire prendre conscience) qu'il vit des émotions, utilise des souvenirs, a telle ou telle représentation etc.
De ce fait, l'individu humain ne coïncide jamais avec ce qu'il vit. Il se situe toujours au-delà de ce qu'il vit immédiatement. Il est comme projeté en avant ou au-delà de lui-même, ce qui définit très exactement l'étymologie du mot "exister".
L'état conscient lui permet alors de distinguer un monde possible par rapport au monde perçu. Il prend en effet du recul par rapport à ses états mentaux (représentations, souvenirs, émotions etc.) et peut mentalement les modifier, bref imaginer un autre monde que celui qu'il perçoit. L'animal est dans l'incapacité de faire de même. Il reste prisonnier du monde perçu par ses organes des sens et donc par son corps. Si on appelle "pensée" cette capacité à distinguer un monde possible par rapport au monde perçu, ou bien à séparer ce qui est uni dans la réalité (par exemple séparer mentalement au sein d'une fleur sa couleur, son odeur, sa forme, sa consistance etc.) alors nous pouvons en conclure avec le philosophe Grec Platon (V° siècle av.JC) que "la pensée nous libère de la prison du corps".
Qu'il n'y ait que l'homme qui dispose de telles capacités sur notre planète n'a rien de mystérieux. Le cerveau humain contiendrait 100 milliards de neurones alors que l'animal le plus développé après l'homme, à savoir le singe chimpanzé, n'en disposerait pour sa part que de 9 milliards. Si on ajoute à cela que chacun des neurones établit des millions de connexions avec d'autres neurones, on mesure le gouffre naturel nous séparant de nos cousins les singes. Certains ont même pu dire que le nombre de relations existant dans un cerveau humain était sans doute aussi important que le nombre d'étoiles dans l'univers observable qui, rappelons-le comporte 100 milliards de galaxies semblables à la nôtre, notre galaxie comportant pour sa part 100 milliards d'étoiles c'est-à-dire d'astres à l'image de notre Soleil.
La pensée ainsi conçue permet à l'homme de faire des hypothèses scientifiques, de créer des oeuvres d'art, d'imaginer un au-delà de la vie terrestre etc. Bref, l'humanité, parce qu'elle est consciente et qu'en conséquence elle dispose de la capacité de penser est à même de se poser un certain nombre de questions sur le sens de la vie et de la mort et de tenter d'y apporter des réponses. C'est en ce sens qu'il n'y a pas d'êtres conscients sans qu'il y ait notamment un ensemble d'interrogations et de tentatives de réponses qu'on désigne par le terme très général de religion.
Nous avons montré, lors de notre précédent billet, en quoi le phénomène religieux était étroitement lié à la nature consciente de l'homme. Autant que l'on puisse savoir, il semble que toutes les sociétés humaines, que ce soit celles de notre espèce ou bien celles de l'homme de Néandertal, aient connu ce qu'on appelle une religion, autrement dit, de manière schématique, un ensemble de croyances à propos du sens de la vie et de la mort. Rappelons-nous: l'homme de Néandertal, qui serait apparu il y a environ 300 000 ans pour disparaître de façon énigmatique il y a environ 30 000 ans, est la première espèce connue qui inhume ses morts, soulignant par là qu'il est conscient et donc qu'il est conscient de la mort et qu'à ce titre il développe des croyances concernant un au-delà de la mort. Bref, la religion, au même titre que le langage, l'art, la technique, les règles sociales, des valeurs morales, des traditions culinaires, vestimentaires, ou bien concernant l'habitat et enfin cette activité qui découle de la curiosité naturelle de l'homme et que nous appelons à notre époque la science, sont les traits qui sont constitutifs de toute culture.
Cependant, parmi tous ces traits culturels, seule la religion est parfois contestée quant à sa pérennité éventuelle. Certains courants d'opinion considèrent que la religion n'a d'existence et de justification qu'aussi longtemps que le savoir humain s'avère insuffisant. Le phénomène religieux aurait partie liée avec l'ignorance, peut-être provisoire, dans laquelle est plongée l'humanité.
A certains égards, la naissance de la philosophie en Grèce, vers les VI°-V° siècles av. JC, est fondée sur cette conviction. Les intellectuels de cette époque et de cette civilisation font confiance dans la seule raison en vue de répondre aux questions fondamentales que se pose l'homme. Il ne s'agit plus de croire mais de savoir. Les philosophes les plus célèbres de cette période, comme Platon ou Aristote, ne nient pas la transcendance, le sens ou le "logos" mais ils dépouillent ceux-ci de toute forme d'anthropomorphisme, autrement dit d'un mode de pensée consistant à se représenter ce qui n'est pas l'homme, à savoir le monde dans sa globalité et les dieux, à l'image de l'homme et en particulier à l'image de ses désirs, de ses peurs, de ses espoirs. Leurs conceptions du monde sont entièrement rationnelles et impersonnelles.
Cette entreprise qui accordait à la raison des possibilités quasiment divines et qui se faisait de l'homme une idée très élevée et ambitieuse a dû progressivement renoncer, au cours de son histoire, vieille maintenant de 25 siècles, à de tels objectifs. Kant au XVIII° siècle, à tort ou à raison, a théorisé les limites de la raison. La raison ne serait qu'une faculté humaine conduisant à se représenter de manière humaine ce dont l'homme peut faire l'expérience grâce à ses organes des sens, laissant échapper de manière définitive les mystères de l'Etre, c'est-à-dire ce qui est vraiment au-delà de ce que l'on peut appréhender. La croyance retrouvait là une légitimité éventuelle. Même si on accorde à la raison un pouvoir légitime d'élaborer des discours métaphysiques, c'est-à-dire des discours rationnels à propos notamment de grandes questions que se pose l'homme, force est de constater que la raison ne peut penser que la réalité présente, l'avenir et l'inconnu s'avérant impensables par définition. En conséquence, elle ne peut proposer que des interprétations provisoires, incomplètes et susceptibles non seulement d'être plurielles ici et maintenant mais surtout d'être remises en cause demain. Ajoutons que le XIX° siècle a vu fleurir des pensées qui ont fait le procès de la raison, notamment celle de Nietzsche, en réduisant la raison à un instrument purement adaptatif de l'animal homme et qui devient dangereux dès lors qu'on lui accorde une compétence sur le plan des valeurs, du savoir et du dévoilement du sens du monde.
Au vu de ces considérations, les religions peuvent accorder à leurs visions du monde, issues selon la plupart d'entre elles d'intuitions puisant leurs sources dans une hypothétique présence divine au sein de l'intériorité humaine, une légitimité au moins aussi forte que celle découlant du seul exercice de la raison. La raison ne devient alors dans ce contexte qu'un outil intellectuel donnant cohérence et rigueur à leurs propres croyances. La raison n'est plus la voie royale de la connaissance, mais un moyen subordonné à des croyances issues d'une autre source que cette raison et ayant pour seule vocation d' éclairer le contenu de ces croyances du point de vue qui est le sien. Cela aboutit à une manière particulière de traduire et d'interpréter ces croyances, plus appropriée que l'image ou le mythe pour des esprits contemporains, plus en phase avec l'esprit moderne, ce qui ne signifie pas pour autant que ces interprétations soient forcément plus pertinentes ou plus profondes que leurs devancières.
Lors d'un prochain billet, il nous faudra nous interroger sur les relations entre les religions et la science moderne et contemporaine, telle qu'elle s'est constituée et développée depuis le XVII° siècle, puisqu'aux yeux d'un nombre croissant de contemporains, la science remettrait en cause l'existence même des religions. Qu'en est-il?
La religion est la seule dimension culturelle qui voie sa pérennité contestée par certains courants d'opinion. Le siècle des Lumières a eu tendance à croire et à espérer que les progrès de la raison permettraient d'apporter des réponses aux grandes questions que se pose l'humanité, conduisant en conséquence à l'effacement progressif des différentes religions. Nous avons vu lors du précédent billet que cet idéal, qui ne faisait que prolonger celui du grand siècle Grec (V° siècle av. JC) s'était heurté à la réalité historique. Depuis Kant, à tort ou à raison, la tradition philosophique a majoritairement renoncé à cette ambition de substituer le savoir à la foi.
Il n'en est pas encore de même à propos de la science moderne et contemporaine telle qu'elle s'est puissamment développée depuis le XVII° siècle. Ses progrès ont été spectaculaires et les applications techniques directes ou indirectes qu'elle a autorisées ont persuadé nombre de contemporains que les religions avaient fait leur temps et qu'il suffisait d'attendre de nouveaux progrès de cette dernière pour que l'humanité dissipe toutes les énigmes de l'univers, de la vie et concernant le cours des choses.
Il s'agit d'idées peu fondées et qui témoignent de l'ignorance des personnes concernées quant aux statuts respectifs de la religion et de la science. Tout lycéen qui découvre en classe terminale les premiers éléments de l'enseignement philosophique sait que les finalités de la religion et de la science sont radicalement différentes. Elles ne sont pas concurrentes pour la raison simple qu'elles ne parlent pas des mêmes choses. Il est classique de dire que la science a pour objectif d'expliquer comment fonctionne le monde, quelles sont ses lois, et connaissant les lois en question comment il est éventuellement possible de les exploiter techniquement. Mais la science reste muette sur la question des valeurs et du sens, que ce soit sur le plan moral, politique, esthétique, métaphysique. Par exemple, la science peut expliquer en quoi consiste le clonage reproductif d'un être vivant, quels sont les mécanismes qui entrent en ligne de compte, éventuellement la technique pourra trouver des moyens d'effectuer le clonage sur l'espèce humaine, mais ni la science, ni la technique ne sont en capacité de nous dire si on peut, si on doit tenter cette aventure. Il ne s'agit pas en l'occurrence de pusillanimité de leur part, d'une forme de prudence excessive mais d'une incompétence radicale. Car la science ne peut intervenir que si le problème soulevé est susceptible de faire l'objet d'expérimentation et de mesure. Ce n'est pas le cas à propos du problème évoqué qui est d'ordre qualitatif et non d'ordre quantitatif et purement fonctionnel.La science reste étrangère à la question des valeurs, de ce qui est"bien" ou de ce qui est"mal".
Il en va de même à propos de toutes les questions qui concernent le sens, c'est-à-dire toutes les questions relatives aux raisons d'être ou à l'absence de raisons d'être du monde, de la vie, de l'homme etc. La science explique comment fonctionne l'univers, décrit les facteurs ou les causes de son évolution, il ne peut se prononcer pour savoir si tous ces processus ont un sens, autremment dit une direction précise et un intérêt quelconque.
A ce titre, il est absurde comme le font certains positivistes (courant philosophique proclamant que seule l'explication scientifique mérite d'être prise en considération) ou certains intégristes religieux, notamment aux Etats-Unis, de mettre en concurrence ou en opposition l'explication scientifique de l'évolution des êtres vivants conduisant à l'homme et les mythes bibliques contenus au cours des deux premiers livres de la Genèse. Car ils ne se situent pas sur le même plan. La science s'intéresse à des faits, à leurs causes, à leurs enchaînements alors que par nature un mythe est un produit de l'imagination humaine en fonction d'une culture donnée pour traduire de manière humaine une intuition ou prétendue intuition du sens divin du monde, sens qu'il est possible de se dévoiler si, comme le croient les croyants il y a en l'homme plus que l'homme, il y a en lui une présence divine que tout être humain est invité à rencontrer et à faire l'expérience.
Ainsi, n'ayant pas, par la force des choses, les mêmes objectifs, ne traitant pas des mêmes questions, ayant chacune pour leur part leurs compétences respectives pour les domaines qui les concernent et une incompétence avérée pour les questions abordées par l'autre domaine, religion et science ne sont pas incompatibles et encore moins concurrentes.
D'après l'anthropologie, la science de l'homme, il n'y a pa de société sans religion. L'analyse philosophique de l'homme, notamment celle de son statut conscient nous en a donné les raisons: l'homme est le seul être qui selon toute probabilité pense, autrement dit, de manière schématique, est capable de distinguer un monde possible par comparaison à un monde perçu, qui peut prendre du recul sur sa propre existence et qui par là même s'interroge sur le sens de la vie et de la mort et tente enfin d'y apporter des réponses qui sont, faute de pouvoir accéder à un savoir, de l'ordre de la croyance.
La religion en général est l'institution culturelle qui propose des réponses de ce type à l'humanité ou de manière plus restreinte à une culture donnée. Etymologiquement, le mot religion contient la notion de lien. L'institution religieuse permettrait d'établir au sein d'une société donnée des liens entre les hommes de deux natures: en premier lieu, des liens verticaux entre les hommes et le monde divin, le monde de la transcendance; en second lieu des liens horizontaux entre les hommes partageant les mêmes croyances.
En effet, une religion renvoie presque toujours à une institution culturelle visible avec des édifices spécifiques où les croyants se rassemblent afin de célébrer des rites bien définis rappelant et maintenant un ensemble de croyances collectives. La plupart du temps, elle comporte des intermédiaires entre les hommes et le monde divin, qu'on désigne par le terme générique de prêtres. Certes, des religions importantes, l'Islam sunnite notamment, qui rassemble 90% des musulmans contemporains, n'ont pas de clergé, c'est-à-dire de personnes consacrées et ayant un statut privilégié au sein de l'institution religieuse d'abord et assez souvent au sein de la société ensuite, mais même dans ces cas il existe des autorités chargées d'enseigner ou de prêcher comme c'est le cas des immans concernant l'Islam. Ajoutons que les principales religions se réfèrent, depuis l'apparition de l'écriture à des textes dits sacrés, autrement dit des textes où se voit consigné un message sensé être inspiré directement ou indirectement par ce monde divin.
Bien entendu un tel message sur le sens de la vie et de la mort diffuse des valeurs qui très souvent garantissent l'unité de la société, sa cohérence, son ordre bien au-delà des règles purement profanes lorsque celles-ci sont distinctes des prescriptions religieuses. Ces croyances, ces valeurs constituent un pouvoir culturel très puissant très profond et sans doute bien plus prégnant que le pouvoir économique ou le pouvoir politique, car ce pouvoir se voit fondé bien au-delà de la sphère purement humaine, puisqu'il a pour source Dieu ou les dieux eux-mêmes. D'ailleurs, la réflexion philosophique a eu l'occasion au cours de sa longue histoire de s'interroger sur l'étrange disposition des hommes à obéir à des autorités alors même qu'aucune contrainte naturelle ne les y oblige, alors même que les injustices ou l' oppression devraient au contraire les amener à se révolter en permanence. Il n'est pas interdit de penser que des valeurs profondément intériorisées et souvent dérivées des croyances religieuses sont certainement la clé de l'explication à ce type de phénomènes.
Dès lors que les croyances véhiculées concernent le sens même de la vie, elles ont inévitablement une influence voire une prégnance sur toutes les sphères de la vie sociale, que ce soit les comportements privés, les conceptions que se font les hommes de l'organisation sociale, la création artistique et plus près de nous, historiquement parlant, les interférences avec l'activité scientifique.
Comme toute institution, l'institution religieuse dispose d'un pouvoir qui, à l'image de n'importe quel pouvoir tend naturellement vers l'excès de pouvoir dès lors qu'aucun contre-pouvoir n'existe pour en limiter et encadrer les débordements éventuels. Tout le monde a en mémoire le fameux cas Galilée au XVII° siècle, condamné pour avoir affirmé que la Terre tournait autour du Soleil et donc n'était pas le centre géographique du monde; ou bien des résistances qui se sont fait jour par rapport aux travaux de Darwin lorsque celui-ci au XIX° siècle a établi les filiations animales de l'homme.
Il est vrai que ces débats sont largement dépassés de nos jours et notre précédent billet en a exposé et rappelé les raisons. Il n'en reste pas moins vrai que les institutions religieuses entrent parfois encore en conflit avec les autorités politiques ou temporelles lorsque celles-ci légifèrent dans le domaine des libertés privées sans s'en tenir aux prescriptions religieuses en la matière. C'est le cas des démocraties qui respectent par définition l'ensemble des croyances et se refusent en principe d'imposer des normes morales d'un courant d'opinion donné, aussi nombreux soit-il, à l'ensemble de la population. Là encore, il s'agit de dérives des institutions religieuses lorsque de force de proposition et d'influence elles sont tentées de se présenter comme des forces de coercition.
Il faut cependant souligner qu'en retour les pouvoirs politiques n'ont pas manqué d'instrumentaliser ou d'utiliser cette influence considérable incarnée par les institutions religieuses et les valeurs véhiculées afin de les mettre à leur propre service, notamment en vue d' aventures guerrières qui précisément font appel à l'idée que l'on se fait du devoir, du sens de la vie et de la mort. D'ailleurs, la plupart des guerres dites de religion ne sont jamais que des guerres au service d'enjeux politiques ou de luttes pour le pouvoir. Notre époque en connaît des illustrations récentes, notamment le conflit entre les catholiques et les protestants en Irlande du Nord, les premiers renvoyant aux couches pauvres de la société, les seconds aux détenteurs du pouvoir économique et d'un pouvoir de nature colonial, celui des Anglais; de même le conflit en Irak entre les musulmans sunnites et les musulmans chiittes, les premiers, minoritaires disposant du pouvoir sous Saddam Hussein et les seconds, largement majoritaires et dépossédés de leurs droits pendant de longues décennies.
Tels sont quelques aspects de l'influence sociale des religions. Nous y reviendrons dans un prochain billet afin d'éclairer la distinction entre une religion et une secte.
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Lors de notre précédent billet, nous avons succinctement analysé les raisons pour lesquelles une religion était une institution culturelle dont les croyances et les préceptes avaient une influence profonde sur la vie des sociétés et des individus et ce, dans la mesure où leur message concernait le sens de la vie et de la mort, bref nos raisons de vivre et d'espérer.
Toute religion, souvent attachée à une culture bien précise, est incontestablement un facteur d'unité, de cohésion à la fois dans l'espace et le temps au sein d'une société donnée. Elle touche aux questions essentielles, aux valeurs les plus hautes et de ce fait joue un rôle considérable, détenant sans doute le pouvoir le plus puissant ou à tout le moins une grande partie du pouvoir le plus puissant, à savoir le pouvoir culturel.
Dès lors, les sociétés en crise suite à des bouleversements d'ordre politique ou social, trouvent-elles dans les institutions religieuses les points de repères nécessaires à leur survie ou à leur continuité. Ce fut le cas lorsque l'Empire Romain s'effondra sous les coups de boutoir des invasions germaniques, laissant un champ de ruines face à la disparition d'une autorité politique centrale ainsi que le maillage administratif qui la servait. L'Eglise demeurait la seule institution pouvant intoduire ou maintenir une forme d'organisation sociale, notamment sur le plan de l'instruction et de la santé, sans compter les valeurs qu'elle continuait à transmettre. D'ailleurs ceci explique en grande partie que ce rôle social considérable ait perduré et que comme toute institution qui détient un pouvoir elle ne s'en soit pas déssaisi facilement par la suite.
Plus près de nous, nous savons qu'à la suite de l'effondrement brutal et inattendu du système soviétique, les pouvoirss qui se sont mis en place se sont appuyé sur l'Eglise Orthodoxe afin d'éviter un éclatement général de la société russe et afin de maintenir un certain nombre de valeurs indispensables à toute vie sociale.
Bref, une religion, comme son étymologie la plus fréquente le rappelle, est un lien et un ciment social utiles voire indispensables. Pourtant, de nos jours, les différents pouvoirs politiques à travers le monde, se voient confrontés au phénomène des sectes. Qu'est-ce qu'une secte ? Pourquoi sont-elles perçues comme un danger? Qu'est-ce qui les différencie d'une religion?
Remarquons tout d'abord que le terme de secte revêt deux significations très différentes. Le premier sens n' a pas de connotation péjorative. Il s'agit en premier lieu d'une religion fille qui se détache d'une religion mère, d'une dissidence d'ordre religieux en quelque sorte. Ce fut le cas du bouddhisme lorsque ce dernier se détacha de l'hindouisme ou encore du christianisme lorsqu'il se sépara du judaïsme. Ces jeunes religions, embryonnaires au départ, prennent progressivement de l'ampleur au point que l'on finit par oublier leurs conditions d'apparition. C'est ce qui fait dire à certains esprits plaisants qu'une religion est une secte qui a réussi.
Bien entendu, ce n'est pas en ce sens que nos contemporains comprennent le terme de secte. Il s'agit à vrai dire de mouvements religieux qui se coupent de la société (comme le terme de secte le laisse supposer), qui s'adressent souvent à une "élite" restreinte, qui adoptent des règles de vie internes souvent en contradiction avec les lois protégeant en Occident la liberté et la dignité humaines, bref qui deviennent non un facteur de lien social mais qui constituent au contraire un facteur de dislocation sociale.
C'est ainsi que leurs membres sont souvent invités ou plutôt contraints à rompre tous les liens familiaux, à faire donation de leurs biens, à obéir de manière aveugle à un 'gourou", à subir souvent des actes de soumission sexuelle dégradants.
Ainsi, ce qui distingue et même oppose religion et secte ce n'est pas tant la nature de leurs croyances que le rôle social qu'elles remplissent. La religion joue un rôle de ciment social et s'adresse à l'ensemble d'une société voire à toutes les sociétés dans le cas de religions universalistes; une secte est un facteur de dislocation sociale et ne s'adresse qu'à une "élite" supposée et donc restreinte par définition.
Nul n'ignore que depuis les origines de l'humanité, celle-ci a connu une diversité impressionnante de religions. A vrai dire il y a eu autant de religions différentes que de formes de civilisation. Les religions universalistes sont relativement récentes et liées logiquement à l'affirmation explicite du monothéisme, autrement dit la proclamation d'un Dieu unique. Le Christianisme d'une part, l'Islam d'autre part constituent de nos jours les deux grandes religions à vocation universelle et ne sont pas des religions ne s'adressant qu'à une aire géographique limitée. Nous aurons l'occasion d'y revenir.
Dans l'immédiat, la question qui nous intéresse ce jour est la suivante: au-delà de ce foisonnement de religions diverses, peut-on dégager des croyances fondamentales communes? Nous avons vu lors d'un précédent billet que le phénomène religieux s'avérait inhérent à la condition consciente de l'homme. Dès lors qu'il y a conscience, la question du sens de l'existence, de l'univers, de l'être individuel se pose. Soulever la question du sens revient à se demander s'il y a des raisons d'être à toutes choses et si oui, lesquelles. Ce même état conscient conduit les hommes à faire l'expérience de leurs limites en matière de savoir. Face à cette impuissance du savoir, les hommes ont tenté d'explorer d'autres voies, notamment celle de l'expérience intérieure, de l'intuition, du "coeur" dira Pascal au XVII° siècle. Mais cette voie est sujette à interprétation quant à sa valeur, sa réelle portée et de ce fait, l'expérience religieuse et les réponses proposées aux questions que l'humanité se pose à propos du sens relèvent forcément de la croyance.
Mais pourquoi la question du sens se pose-telle? Derrière cette question se cache le problème central et irrésolu de l'humanité, à savoir la question du Mal, autrement dit tout ce qui remet en cause ce qui fait l'intérêt de la vie, qui en justifie l' attachement spontané et épidermique que nous lui portons. Le Mal renvoie aux injustices, aux désordres de toutes sortes, aux souffrances physiques et morales, au vieillissement, aux handicaps, et in fine à la seule certitude empirique que nous possédons, à savoir la mort. Le Mal est la source la plus radicale de toutes les formes d'athéisme: proclamer un Dieu bon et tout-puissant face au spectacle effroyable que nous offrent la nature et l'histoire est indécent, affirmait Schopenhauer. Le Mal serait le témoignage de l'absurde, c'est-à-dire de l'absence de raisons d'être à toutes choses.
Pourtant, l'existence ne se réduit évidemment pas à cet aspect de la réalité. A côté du Mal, il y a, par antinomie schématique, ce que l'humanité qualifie de "Bien" et qui rend compte de l'attachement que nous portons précisément à la vie, par exemple le plaisir, la beauté, l'amour etc. Mais ce qui alimente éventuellement le sentiment de l'absurde, c'est que le Mal, au-delà même de sa présence, semble avoir toujours le dernier mot, comme le phénomène de la mort en est le témoignage le plus éloquent.
Cette opposition ente le Bien et le Mal, le sens et le non-sens, est le noeud autour duquel se séparent ceux qui font confiance aux apparences et qui proclament, en le déplorant, le non-sens et ceux qui croient qu'au-delà des apparences, les hommes et la réalité toute entière verront in fine le Bien avoir le dernier mot. Telle est l'idée de Salut, implicitement ou explicitement présente dans toute religion, si nous entendons par Salut les voies permettant de se sauver du Mal. Cette idée de Salut est présente à la fois dans des religions proclamant un Dieu personnel comme le Judaïsme, le Christianisme, l'Islam ou bien des religions concevant un absolu impersonnel comme le Bouddhisme par exemple. A ce titre, il est possible d'affirmer que toute religion se fonde sur un optimisme ontologique fondamental, un optimisme relativement au devenir de l'Etre, autrement dit ce qui est vraiment au-delà des apparences.
Il nous faudra donc analyser en quoi consiste la spécificité de la croyance religieuse et donc en quoi il convient de distinguer simple croyance et foi.
La démarche religieuse est étroitement associée à l'idée de croyance. Mais qu'est-ce qu'une croyance? Il s'agit d'abord d'un acte intellectuel consistant à accorder un certain crédit à une affirmation ou à une impression ou à un sentiment etc. Nous dirons par exemple que nous croyons que demain il fera beau en nous appuyant sur certains indices par ailleurs incertains. Ou bien nous croyons que telle ou telle personne est digne de confiance en nous fondant sur des impressions, une intuition, des actes précis etc. L'opinion commune incline volontiers à penser que la croyance religieuse est du même type. L'affirmation de l'existence d'un Dieu ou bien d'ailleurs sa négation sont des croyances fondées sur des indices fragiles et dénués de toute preuve. A certains égards, l'incroyance semble plus justifiée pour tous ceux qui ne croient que ce qu'ils voient.
Pourtant, il s'agit d'une erreur d'appréciation. La foi religieuse n'entretient aucun rapport avec un acte intellectuel de ce type, assez banal au demeurant. La foi renvoie d'abord à une expérience intérieure, à une expérience spirituelle et non à un acte intellectuel, à des démarches raisonnées ou argumentées. Philosophiquement, cette expérience intérieure est fondée sur l'idée que toute vie intérieure consciente est habitée par la présence d'un absolu qui nous dépasse mais avec qui tout être peut entrer en contact de manière singulière.
Afin d'éclairer cette idée d'une rencontre singulière avec la présence d'une réalité qui nous dépasse et qui semble la source du sens, une comparaison est sans doute utile. L'expérience intérieure en question est comparable à l'expérience esthétique. Face à une oeuvre d'art, réalisation d'un être unique, dans le cadre d'une culture également unique, mais exprimant d'une manière unique un aspect de la condition universelle de l'homme, le contemplateur reconnaît la présence de ce sens universel mais de manière singulière, en fonction de son histoire unique mais également en fonction des capacités de lecture de l'oeuvre qui lui ont été transmises par son éducation.
A certains égards, il en va de même de l'expérience spirituelle, autrement dit de la foi. Face à une supposée présence intérieure d'un absolu, présence qui se manifeste de manière unique tout en exprimant un sens universel, celle-ci est interprétée ou lue en fonction d'une histoire unique d'un être conscient et en fonction de repères transmis par une éducation bien déterminée.
L'éducation transmet des repères, des traditions, une grille de lecture puisée dans le contenu des livres dits "sacrés" et interprétés par des générations successives de croyants. Ces données culturelles sont donc présentes au sein de cette expérience intérieure. Elles permettent au sujet individuel d'interpréter de manière singulière l'expérience personnelle qu'il croit faire de cette présence transcendante et d'un sens universel. A ce titre, précisément parce que cette expérience est singulière, elle ne saurait se communiquer, notamment par les généralités du langage ou bien par des argumentations construites. C'est à ce titre qu'il est possible d'affirmer que la foi s'éprouve mais qu'elle ne se prouve pas.
Bien entendu, cette présence transcendante n'est pas une évidence qui s'impose à tout sujet. Elle est le résultat d'une recherche. Croire c'est une manière de "voir". St Augustin soutenait qu'il fallait croire pour comprendre et comprendre pour croire. Bref, l'expérience spirituelle ou la foi est une quête de "signes" qui n'ont de sens que pour l'être unique qui en fait l'expérience.
Néanmoins, la comparaison que nous avons menée entre l'expérience religieuse et l'expérience esthétique trouve ses limites sur un point fondamental: la présence de l'oeuvre ne fait pas question, même si le béotien, face à elle, reste aveugle à son sens et son message; en revanche la "présence intérieure de la transcendance" fait question. Le profane ne peut nier la présence d'une oeuvre d'art même s'il reste étranger à l'intérêt dont l'oeuvre est porteuse. Mais la présence de la transcendance peut être considérée comme un mirage, une interprétation délirante ou illusoire.
A ce titre, fondée ou illusoire, l'expérience spirituelle suppose non seulement la quête volontaire de cette présence transcendante mais également une capacité à en interpréter le sens. Comme on le voit, quelles que soient la valeur, la portée, l'objectivité de cette expérience, elle se situe très loin de la croyance banale dont nous faisions état en débutant ce court billet.
Lors du précédent billet, nous avons essayé d'analyser la distinction entre une simple croyance et la foi religieuse. Il est apparu que celle-ci renvoyait à une expérience intérieure, à une expérience spirituelle qui conduisait à un mode spécifique de perception du monde, de soi-même, de l'existence dont le sujet concerné est un acteur. Nous voudrions préciser l'originalité ou la spécificité de cette relation au monde.
Rappelons en premier lieu que la perception en général n'est pas un phénomène naturel neutre. Autrement dit, il ne suffit pas de regarder pour voir ce qu'il y a à voir ou écouter pour entendre ce qu'il y a à entendre. Le monde ne s'offre pas à nous tel qu'il est, dans une espèce d'objectivité et de neutralité qui ne font pas question. Notre perception est structurée, orientée, influencée par notre savoir, nos expériences, nos états d'âme, nos croyances. Je perçois ce que je sais et tel que je suis.
C'est ainsi que la perception quotidienne, celle qui guide notre vie ordinaire, est dominée, selon le philosophe français du XX° siècle Bergson, par nos soucis pratiques. Dès lors, inconsciemment, le sujet élimine toutes les informations inutiles pour l'action en cours ou la préoccupation présente. Ce mode de perception, indispensable en vue de notre adaptation à la réalité environnante, s'avère en conséquence très sélective et à certains égards fort appauvrissante.
Le même auteur note que ce qui fait précisément l'originalité de l'artiste, c'est que celui-ci n'est plus dans l'action au sein du monde mais dans une attitude de contemplation. Il regarde pour le plaisir de regarder et il écoute pour le plaisir d'écouter. De ce fait, le monde lui apparaît beaucoup plus riche en informations que pour l'homme de l'action quotidienne. L'art, observe le peintre contemporain Klee, rend visible ce que nous ne voyons pas habituellement. Il y a donc à côté de la perception pratique, une perception esthétique du monde. D'ailleurs, même modestement, tout un chacun a fait l'expérience qu'un même paysage urbain ou naturel ne se présente pas de la même manière lorsque nous sommes disponibles, ouverts au monde, à son écoute et lorsque nous sommes enfermés en nous-mêmes, dans nos préoccupations, concentrés sur une tâche immédiate et précise, tâche qui mobilise toute notre attention.
De même, à côté de la perception pratique et de la perception esthétique, pouvons-nous distinguer une perception scientifique du monde. Chacun conviendra aisément que la perception d'une coupe de cellule sous un microscope n'est pas la même pour un biologiste et pour un profane en la matière. Ce dernier non seulement ne verra pas ce qu'il y a à voir, mais le sens et l'intérêt de ce qui lui aparaît lui échapperont.
Nous comprenons mieux maintenant en quoi il peut y avoir une perception encore d'un autre type et que nous pouvons appeler perception religieuse du monde. Rappelons qu'étymologiquement la religion renvoie à l'idée de lien avec une réalité autre que celle de l'homme, avec une réalité transcendante. Ce lien, réel ou illusoire, permet de "voir" le monde sous un angle spécifique. Cette manière de percevoir est en rupture ou est de nature différente de ce que nous offre la perception ordinaire, pratique, sans lien avec une signification transcendante quelconque et que l'on appelle classiquement la vision profane des choses.
En revanche, la perception religieuse est toujours en quête de "signes" de la présence supposée du divin au sein de cette réalité profane. C'est cela le sens du sacré. Le sacré renvoie à la présence supposée du divin au sein de telle ou telle réalité ou de tel ou tel évènement. En somme, il n'y a pas de religion sans sens du sacré. Le sacré est constitutif de l'essence même de la religion, si nous appelons essence les caractéristiques qui définissent de manière spécifique une réalité quelconque.
Certes, toute religion, au cours de ses rites propres, définit des lieux, des évènements, des gestes, qui sont considérés comme étant la manifestation du sacré par excellence. Cependant, le sens du sacré ne se restreint pas à ce périmètre rituel, celui-ci ne faisant que rappeler et maintenir ce qui est considéré comme essentiel et surtout ce qui est commun à une communauté de fidèles, établissant ainsi ce lien horizontal qui unit les croyants dans leur rapport au divin, qui les invite à manifester ce lien vertical à la transcendance à travers les mêmes rites.
Néanmoins, le sacré ne se réduit pas à la dimension rituelle d'une religion quelconque. Toute expérience spirituelle, toute vie de foi telles que nous les avons décrites lors de notre précédent billet relèvent du sacré, autrement dit du lien établi, de manière réelle ou illusoire, avec la transcendance.
Lors des deux précédents billets, nous avons analysé en quoi consistait l'originalité de la foi, autrement dit l'expérience spirituelle singulière intimement liée au sens du sacré, au sens de la présence du divin au coeur du monde. Nous avions souligné, que réelle ou illusoire, cette expérience spirituelle prétendait saisir un sens universel et transcendant à travers une expérience unique et singulière. Ainsi, l'expérience spirituelle, la Révélation du sens transcendant dirait la tradition judéo-chrétienne, comporte une dimension singulière et une dimension universelle.
A ce titre le rapprochement effectué avec une oeuvre d'art semble pertinent. L'oeuvre d'art comporte également une dimension singulière, puisqu'elle est la création d'un être unique dans le cadre d'une époque et d'une civilisation elles-mêmes uniques et une dimension universelle lorsque le créateur de qualité est capable d'exprimer dans son oeuvre et ce de manière singulière un aspect de la condition universelle et intemporelle de l'homme.
A cet égard le langage esthétique s'avère capable de contourner pour partie l'inaptitude du langage ordinaire à traduire ce qui est singulier dans la mesure où celui-ci, par nature est un instrument social n'exprimant que ce qu'il y a de commun entre les hommes, tout en ne restant pas prisonnier de cette singularité puisque à travers elle il peut s'élever jusqu'à l'intemporel et l'universel.
Il en ira de même du langage religieux. Celui-ci sera nécessairement de nature symbolique. Un symbole exprime par des images, des analogies, des métaphores des réalités qui échappent au langage ordinaire. Or il s'agit ici de tenter d'exprimer une expérience singulière et qui plus est d'une réalité absolue ou prétendue telle alors même que l'homme, le langage, ses expériences sont relatives. Cette double contrainte conduit donc nécessairement au choix d'un langage symbolique qui, à l'égal des oeuvres d'art, exprimera de manière singulière, propre à un personnage précis, dans le cadre d'une culture elle-même unique, un sens non seulement universel et intemporel à l'image des oeuvres d'art mais également un sens transcendant ou divin, inaccessible comme tel à la raison humaine et qui soit communicable à toutes les civilisations et à toutes les époques.
Que ce langage soit symbolique ne signifie pas pour autant que les personnages, les évènements, les réalités évoqués au sein des textes concernés ne possèdent aucun ancrage historique. Mais cela signifie que leur réalité historique ainsi que la fidélité factuelle des récits rapportés ne sont pas l'objet central et exclusif de ces textes. Ce qui importe c'est le sens transcendant ou divin qui peut se dégager de leur construction. D'ailleurs, n'oublions pas à cet égard que le sens en question se rapporte davantage à des interprétations de l'ordre de la foi, de l'expérience spirituelle et donc de phénomènes invisibles par là-même. Cette analyse peut s'éclairer par cette célèbre maxime de Saint-Exupéry dans le Petit Prince, selon laquelle "l'essentiel est invisible pour les yeux. On ne voit bien qu'avec le coeur".
De même, Pascal, au XVII° siècle, pouvait-il proclamer, en décrivant la foi que "le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point". Bien entendu, le coeur ne renvoie pas aux sentiments, voire à la sensiblerie mais à des capacités de saisie intuitive du sens au-delà des capacités de la raison.
Il nous faudra donc préciser ce que nous voulons dire par la connaissance intuitive et par la même occasion tenter de légitimer la pertinence éventuelle du langage religieux dans sa prétention à saisir le sens divin ou transcendant de l'Etre, c'est-à-dire de ce qui est vraiment au-delà des apparences.
Le langage religieux est nécessairement symbolique puisqu'il s'agit d'évoquer une réalité de l'ordre de l'absolu et qui plus est de la manière singulière d'entrer en contact intérieurement avec une telle réalité. Dès lors, il convient davantage de s'attacher au sens de ces textes qu'à leur lettre, puisque ceux-ci n'ont nullement l'intention de rapporter fidèlement des faits qui puissent être observés par tous et relatifs à des personnages ou des évènements précis. Il devient alors difficile de reconstituer la nature exacte des faits ou des évènements rapportés.
Cela ne signifie nullement que les faits ou les personnages évoqués n'aient aucun ancrage historique. Prenons un exemple: que pouvons-nous savoir, historiquement parlant, d'un personnage central comme Abraham, qui appartenait à une tribu errant dans le désert il y a 4000 ans, et qui plus est dépourvue d'écriture? Pourtant Abraham est considéré par les trois grandes religions monothéistes, le Judaïsme, le Christianisme, l'Islam, comme le père des croyants. Son itinéraire spirituel supposé, rapporté par la Bible, en fait le symbole même du croyant, de la confiance et de l'obéissance totales en Dieu, jusqu'au sacrifice éventuel de son fils unique.
De ce fait, il importe peu de connaître la vérité historique concernant l'itinéraire spirituel de ce personnage et même , à la limite, de savoir s'il a vraiment existé, cette hypothèse demeurant la plus vraisemblable cependant. Car n'oublions pas que le symbole fait partie de la réalité. On peut même dire que pour le peuple Juif il est un élément essentiel de la réalité spirituelle, culturelle, religieuse qui a marqué son histoire.
Mais l'exemple d'Abraham concerne un personnage qui a sans doute vraiment existé et qui a sans doute marqué les esprits de son entourage, alimentant ainsi une longue tradition orale pour aboutir enfin à un écrit consigné dans un des livres de la Bible. L'histoire d'Abraham permet de rendre compte de la figure du croyant.
En revanche, nombre de thèmes religieux, comme la notion de création, l'origine de celle-ci, l'existence du mal, les fins dernières etc. ne peuvent se traiter en se fondant sur des réalités humaines, même interprétées spirituellement. Ces questions dépassent les capacités de compréhension de l'homme, notamment sa raison. Il est alors nécessaire, si l'humanité veut préserver son désir de comprendre, de supposer une capacité de saisie du sens au-delà de ce que la raison nous propose. Cette capacité est l'intuition.
L'intuition est une saisie immédiate d'un savoir qui ne requiert aucun raisonnement. C'est le cas de l'intuition sensible. Lorsqu'un sujet affirme, par exemple, qu'il a chaud, nul besoin de passer par des arguments construits pour énoncer ce ressenti. De même, existerait-il une intuition intellectuelle ou bien spirituelle, c'est-à-dire la saisie immédiate d'un sens, faculté intuitive que Pascal désignait par le "coeur". Pascal donnait pour exemple de cette intuition intellectuelle, la conviction qu'à l'état de veille nous ne rêvons pas alors même, comme le notait Descartes, que le rêve et l'état de veille sont habités par la même certitude intime que nous vivons ce que nous nous représentons et par conséquent qu'aucun raisonnement ne permet de distinguer avec certitude ces deux états. "Et pourtant, concluait Pascal, je sais bien que je ne rêve pas".
Cette éventuelle faculté intuitive est une hypothèse que des penseurs non religieux comme Platon ont évoqué. C'est cette faculté intuitive qui permet au sujet de saisir de manière furtive la beauté absolue, autrement dit le fondement, la source ultime de cette beauté, manifestation de la vérité même, et ce, après qu'à l'issue d'un long cheminement la raison ait atteint ses limites.
Aussi, si l'on veut traduire par des mots cette expérience intuitive, est-il nécessaire de recourir non au langage ordinaire, fut-il symbolique, mais au mythe. Qu'est-ce qu'un mythe? Il s'agit d'une histoire inventée par les hommes, en fonction de leur culture, histoire extraordinaire puisque son objet est lui-même extraordinaire et dont il faut retenir le sens et non la lettre. A ce titre il existe des mythes profanes à côté des mythes religieux. Platon, fidèle en cela à son itinéraire philosophique, a composé des mythes profanes afin d'évoquer ce qui échappe à la raison.
L'erreur capitale et pourtant assez commune consisterait à lire les mythes comme des histoires réelles et qu'il faut prendre au pied de la lettre. Sur le plan religieux, un exemple simple ruine cette manière d'aborder les mythes. C'est ainsi que les deux premiers livres de la Bible offrent deux récits différents de la création. Pourtant, le sens profond est le même. Il s'agit de faire de Dieu le fondement ultime de toutes choses et de l'homme le roi de la création, ayant vocation à poursuivre la création divine et invité à le faire dans la fidélité au sens divin de cette création. Qui peut sérieusement supposer que ceux qui ont écrit ces textes et à plus forte raison ceux qui les ont sélectionné, auraient maintenu deux récits différents s'ils accordaient à ces textes une valeur objective ou historique et non une valeur purement symbolique, supports et traductions d'une intuition du sens profond de la réalité?
Bien entendu, il est possible de douter ou de contester l'existence d'une telle faculté intuitive au-delà des capacités de la raison. C'est notamment la position du philosophe du XVIII° siècle Kant. Nous comprenons alors pourquoi celui-ci confinait la religion dans les limites de la raison naturelle. Dieu, l'immortalité de l'âme étaient posés comme des postulats de la raison, c'est-à-dire des affirmations que nous sommes rationnellement conduits à poser comme étant vraies sans pouvoir les démontrer. Si, comme Nietzsche, on refuse à la raison cette prétention à poser de tels postulats, alors on aboutit à "la mort de Dieu".
Ainsi, la démarche religieuse, à l'image d'ailleurs des fondateurs Grecs de la philosophie, fait-elle de l'homme un intermédiaire entre l'ignorance et le savoir. Le savoir sur ces questions du sens est inaccessible. Mais nous ne sommes pas pour autant ignorants. La faculté intuitive ou le coeur peuvent saisir de manière humaine ce sens qui n'est pas ou ne serait pas de nature et d'origine humaines. Et pour dire ce sens, l'homme a pour seul recours le mythe.