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Date de création : 26.02.2011
Dernière mise à jour :
31.01.2025
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Réédition des billets N° 1 et N°2 de la rubrique "Morale et politique".
Nous présentons aujourd'hui un texte de Machiavel extrait de son oeuvre "Le Prince". Voici le texte:
"... vaut-il mieux être aimé que craint, ou craint qu'aimé? Je réponds que les deux seraient nécessaires; mais comme il paraît difficile de les marier ensemble, il est beaucoup plus sûr de se faire craindre qu'aimer, quand on doit renoncer à l'un des deux. Car des hommes, on peut dire généralement ceci: ils sont ingrats, changeants, simulateurs et dissimilateurs, ennemis des coups,amis des pécunes; (NB: pécunes signifie l'argent ou les ressources) tant que tu soutiens leur intérêt, ils sont tout à toi, ils t'offrent leur sang, leur fortune, leur vie et leurs enfants pourvu, comme je l'ai dit, que le besoin en soit éloigné; mais s'il se rapproche, ils se révoltent. Le prince qui s'est fondé entièrement sur leur parole, s'il n'a pas pris d'autres mesures, se trouve nu et condamné. Les amitiés qu'on prétend obtenir à force de ducats ( monnaie d'or à Venise) et non par une supériorité d'âme et de desseins, sont dues mais jamais acquises, et inutilisables au moment opportun. Et les hommes hésitent moins à offenser quelqu'un qui veut se faire aimer qu'un autre qui se fait craindre; car le lien de l'amour est filé de reconnaissance: une fibre que les hommes n'hésitent pas à rompre, parce qu'ils sont méchants, dès que leur intérêt personnel est en jeu; mais le lien de la crainte est filé par la peur du châtiment, qui ne les quitte jamais.
Cependant, le prince doit se faire craindre de telle sorte que, s'il ne peut gagner l'amitié, du moins il n'inspire aucune haine, car ce sont là deux choses qui peuvent très bien s'accorder. Il lui suffira pour cela de ne toucher ni aux biens de ses concitoyens ni à leurs femmes. Si pourtant il doit frapper la famille de quelqu'un, que cette action ait une cause manifeste, une convenable justification; qu'il évite par-dessus tout de prendre les biens d'autrui; car les hommes oublient plus vite la perte de leur père que la perte de leur patrimoine.
C'est pourquoi un seigneur avisé ne peut, ne doit respecter sa parole si ce respect se retourne contre lui et que les motifs de sa promesse soient éteints. Si les hommes étaient tous des gens de bien, mon précepte serait condamnable; mais comme ce sont tous de tristes sires et qu'ils n'observeraient pas leurs propres promesses, tu n'as pas non plus à observer les tiennes. Et jamais un prince n'a manqué de raisons légitimes pour colorer son manque de foi.
Il n'est donc pas nécessaire à un prince de posséder les vertus énumérées plus haut; ce qu'il faut, c'est qu'il paraisse les avoir. Bien mieux, j'affirme que s'il les avait et les appliquait toujours, elles lui porteraient préjudice; mais si ce sont de simples apparences, il en tirera pofit. Ainsi, tu peux sembler- et être réellement- pitoyable, fidèle, humain, intègre, religieux: fort bien; mais tu dois avoir entraîné ton coeur à être exactement l'opposé, si les circonstances l'exigent."
Machiavel est un auteur qui passe volontiers pour être cynique, immoral et défenseur des régimes autoritaires au service d'intérêts les plus sordides. Il est un des rares philosophes, avec Epicure notamment, dont le nom a donné naissance à un adjectif, "machiavélique" en l'occurrence. Selon le Larousse, machiavélique qualifie une action particulièrement tortueuse et perfide.
Comme souvent, pour ne pas dire presque toujours, les réputations d'auteurs, surtout lorsqu'elles sont sulfureuses, reposent pour une large part sur des ignorances et sur des préjugés tenaces. C'est assurément le cas concernant Machiavel.
Dans cet extrait, Machiavel se prononce sur les rapports que doivent entretenir selon lui la politique et la morale. Mais avant d'entrer dans le détail de l'argumentation, il convient de rappeler en quoi consistent ces deux activités humaines. La politique est l'activité consistant à définir les objectifs collectifs d'une société ainsi que les moyens pour y parvenir. La morale pour sa part renvoie à l'ensemble des valeurs qui guident ou devraient guider l'action individuelle en fonction de l'idée qu'une société et une époque données se font de l'homme. Toute la question est alors de savoir si l'action politique peut et doit se plier aux mêmes règles ou exigences que l'action individuelle lorsque celle-ci est guidée par la morale.
L'idée clef de Machiavel est que l'impératif qui s'impose à l'homme d'Etat consiste à assurer la stabilité de l'Etat et la paix civile et ce, afin de servir le bien commun. Afin de bien comprendre la portée de cette affirmation, quelques rappels s'imposent. L'homme doit tout à la société. Un être humain ne peut exploiter les potentialités de l'espèce et dans le cadre de ces dernières ses potentialités individuelles qu'au sein d'une société organisée. Une société n'a de sens et de viabilité que si précisément elle est organisée, harmonieuse et si la paix civile règne avec la sécurité des personnes et des biens que cela implique. De tels objectifs ne sont remplis que s'il y a un Etat, c'est-à-dire un ensemble d'institutions politiques, administratives, judiciaires ainsi qu'une force publique s'arrogeant l'exercice de la "violence légitime", qui permette d'instaurer et de maintenir les objectifs en question.
A la lumière de ces rappels, nous comprenons mieux le devoir impératif que Machiavel assigne aux gouvernants. Quelle est la place de la morale dans la conduite des affaires publiques? Doit-on conclure que Machiavel est ouvertement immmoral ou bien de manière plus rigoureuse amoral, si on entend par là que l'action menée reste étrangère aux préoccupations d'ordre moral, et par conséquent ni morale ni immorale par principe ?
Rappelons tout d'abord qu'un excès de morale à propos des objectifs poursuivis peut conduire aux pires atrocités historiques. C'est là le propre de la plupart des aventures révolutionnaires. Souvenons-nous, entre autres, de Robespierre et de sa politique de la Terreur. Certes, de telles actions ainsi que leur inspiration sont condamnables à un double point de vue: par les moralistes d'abord qui soulignent que les exigences portent sur les fins mais non sur les moyens; par Machiavel ensuite qui constate que des actions de ce genre conduisent à la guerre civile, à la révolte, bref à la dislocation sociale, autrement dit à l'opposé de l'objectif vital et impératif que l'homme d'Etat devrait s'assigner.
Les vrais moralistes, ceux qui ont le souci à la fois des fins et des moyens, pèchent pour leur part par naïveté et par leur déni de la réalité. Ils deviennent, ce faisant, coupables de faiblesses mettant en danger la stabilité de l'Etat et donc la vie sociale harmonieuse. En quoi consiste leur naïveté coupable? Il faut avoir en tête, selon Machiavel, que les hommes ne sont pas des animaux sociaux semblables aux fourmis ou aux termites. Leur sens de la coopération mutuelle n'est pas "instinctif", commandé de manière aveugle par des facteurs naturels. Tout au contraire, la nature humaine, libérée de ce carcan naturel, est portée à servir ses intérêts particuliers et non l'intérêt général, à donner suite à de multiples tentations de domination ou d'exploitation d'autrui, sans compter les luttes pour s'emparer d'un pouvoir, petit ou grand.
Faut-il stigmatiser pour autant la commune humanité? Ce n'est pas là le propos de l'auteur. Machiavel ne moralise pas. Il se borne à constater et à décrire la réalité ou à tout le moins ce qu'il estime être la réalité. Etre moral suppose beaucoup d'efforts, de vertu, de renoncements, toutes choses qui sont naturellement au-dessus des forces de la plupart des êtres humains ordinaires. Il faut donc tenir compte de cette réalité.
En somme, Machiavel ne rejette pas la morale par principe. Lorsque celle-ci conduit les actions individuelles et privées, elle est honorable et doit être encouragée. Lorsque sur le plan politique, elle peut être mise en pratique ici ou là sans mettre en danger l'autorité de l'Etat et la vie sociale, il ne faut pas hésite à le faire.
Cependant, il faut bien reconnaître que l'observance des lois morales est le plus souvent inadaptée à la conduite des affaires publiques et aux objectifs qu'elle s'assigne et ce, pour les raisons que nous venons de rappeler. Les moralistes font preuve d'un déni de la réalité, et ce doublement: d'abord parce qu'on ne saurait gouverner un peuple dont les membres sont, dans leur immense majorité, immoraux, avec des méthodes morales. Il s'agit là d'une conduite inadaptée. Ensuite, parce que l'action morale se heurte fréquemment au problème du conflit des valeurs, que ce soit sur le plan individuel ou collectif. Rappelons qu'un conflit des valeurs est une situation parfois tragique où l'action à mener exige que l'on sacrifie une ou plusieurs valeurs (Par exemple, si lors d'un accouchement dramatique, son issue exige que l'on sacrifie soit la mère soit l'enfant). Supposer que l'action publique puisse être entièrement conforme à la morale relève donc de l'angélisme, au-delà des dangers qu'une telle attitude implique. C'est là, dira avec ironie Hegel plus tard, la conviction des "belles âmes".
Il nous faudra donc, lors de nos prochains billets consacrés à ce thème, d'une part analyser de plus près les "conseils" que Machiavel suggère au Prince et d'autre part, s'interroger sur les rapports qu'entretiennent les démocraties avec la morale. Car, contrairement à la croyance commune, Machiavel ne propose pas ses analyses uniquement pour un type de régime autoritaire et peu scrupuleux mais pour tous les régimes politiques en général, dont le devoir, quelle que soit la forme qu'ils prennent, consiste à servir le bien commun.