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02.03.2025
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Rubrique" Rationnel et irrationnel". Suite du billet N°4245.
Extrait de Philosophie pour tous, Tome VII, A.MENDIRI (en cours de rédaction)
Prochain billet demain jeudi 17 novembre
L’irrationnel présente deux acceptions très différentes: soit cette notion est conçue comme ce qui est contraire à la raison ou bien comme ce qui est étranger à la raison. Dans le premier cas l’irrationalité constitue un obstacle au bon déroulement de la vie morale et politique. Cependant l’irrationnel peut également être source de sens. Hegel considère que la raison universelle qui gouverne le monde et l’histoire, utilise les désordres et les passions humaines en vue de réaliser ses propres fins. De même pour Marx, la violence qui caractérise les luttes internes des sociétés est un facteur de progrès constant qui, s’il se poursuit, peut aboutir à une société où les hommes seront libérés de toutes les contraintes sociales.
L’irrationnel dans son second sens, à savoir les domaines étrangers à la raison, peut conduire à un usage illégitime de celle-ci. Kant prétend que la raison ne peut pas traiter et résoudre les questions métaphysiques alors même qu’elle est traversée par un besoin d’explication sur toutes les questions qui engagent le sens de l’existence humaine. La raison n’a pas cette compétence et dès lors elle ne produit que des illusions en la matière.
Il en va de même lorsque la pensée classique était convaincue que la raison ou la conscience de soi ouvrait sur une connaissance de soi. Or en développant les théories de l’inconscient psychique, Freud prétend ruiner cette illusion. En conséquence, la raison consciente se voit dépouillée de cette compétence. De manière moins sensible, Machiavel a théorisé le fait que la raison morale ne doit pas intervenir dans l’activité politique non par un parti pris d’immoralisme mais tout simplement parce que les vertus morales sont inadaptées en vue de garantir le devoir suprême des gouvernants, à savoir assurer la stabilité de l’État en tenant compte que les gouvernés sont, de fait, des gens peu moraux. Gouverner moralement des citoyens immoraux est une erreur grave, inefficace et peu réaliste par rapport aux objectifs poursuivis par l’activité politique.
Toutes ces conceptions n’ont de sens que si les présupposés philosophiques ou théoriques de ces différents auteurs sont recevables. Or, même s’ils présentent une force de conviction incontestable, dans les trois cas ils n’ont pas le monopole des interprétations dans leurs domaines respectifs, ce qui laisse ouverte la possibilité d’autres perspectives plus positives pour la raison. En revanche, il existe un aspect de l’irrationalité conçue comme étrangère à la raison qui n’est plus lié à des hypothèses théoriques mais souligne l’impuissance naturelle et définitivement insurmontable de cette faculté.
Rappelons tout d’abord les exemples classiques illustrant la radicale impuissance de la raison. Celle-ci est totalement inapte pour permettre à un aveugle de naissance de se représenter ce qu’est une couleur quelconque. De même le physicien est dans l’incapacité de rendre compte des raisons pour lesquelles à une longueur d’onde donnée correspond telle couleur plutôt que telle autre. C’est là un exemple d’irrationalité d’ordre ontologique, c’est-à-dire relative à l’Être, à la réalité telle qu’elle se présente à nous.
Mais l’impuissance de la raison se manifeste au sein même de la vie humaine. Commençons par le problème du conflit des valeurs. Il y a conflit de valeurs lorsqu’une situation morale ou politique est telle que toutes les valeurs en cause ne peuvent être simultanément honorées. Supposons un accouchement dramatique où il s’avère impossible de sauver la vie de la mère et en même temps celle de l’enfant à naître. La raison, et en l’occurrence la raison morale, est-elle en mesure de nous dire ce que nous devons faire, quel choix nous devons opérer ?
En effet, l’essence de la morale, selon Kant, consiste à respecter la personne d’autrui ou la sienne propre comme une fin en soi et jamais comme un simple moyen au service d’intérêts, quels qu’ils soient. L’acte moral est un acte désintéressé. Mais dans le cas de figure qui nous intéresse, nous nous voyons contraint de sacrifier soit la personne de la mère soit celle de l’enfant. Or ce n’est pas vraiment respecter une personne comme une fin en soi que de la sacrifier. Faute que la raison nous propose une réponse satisfaisante, nous pouvons avoir recours au précepte évangélique parfaitement résumé par St Augustin: « Aime et fais ce que tu veux», en prenant aimer au sens de vouloir du bien à quelqu’un. Là encore nous nous trouvons dans une impasse.
Dès lors, le choix ne peut être que subjectif et dramatique. Les conflits de valeur sont beaucoup plus fréquents que nous pourrions le supposer. Cela faisait dire à Sartre que nous ne pouvions pas agir sans avoir «les mains sales». Hegel pour sa part affirmait ironiquement que «seules les belles âmes» s’imaginent qu’il est toujours possible de respecter toutes les valeurs, sans devoir opérer des choix cornéliens.
La raison morale est donc impuissante à résoudre les problèmes soulevés par les conflits de valeur. Mais il y a un autre domaine culturel familier qui se heurte également à l’impuissance de la raison. C’est celui de la création artistique. En effet, l’artisan comme l’artiste possèdent un point commun : l’artisan de qualité ignore le secret de son «tour de main» au même titre que l’artiste ignore celui de son talent, car tous deux forcément singuliers. En conséquence, ils sont, l’un et l’autre, dans l’incapacité de les transmettre à leurs apprentis.
Deux exemples éclaireront notre propos. Si nous décalquons très soigneusement un dessin fort dépouillé de Toulouse-Lautrec, le décalque deviendra un dessin banal et sans intérêt. Car il y manquera le mouvement de son créateur, mouvement qui était le secret de l’attrait de l’œuvre. De même, la célèbre toile de «La Joconde» de Léonard de Vinci ne doit pas sa renommée à l’utilisation du procédé du clair-obscur, car des disciples de Léonard, tel Luini ont fait usage de cette technique sans que cela ne s’accompagne du même succès. En fait c’est uniquement l’utilisation singulière de ce procédé pictural qui conduit à la réalisation d’un chef-d’œuvre.
De plus, l’artiste, contrairement à l’artisan, est dans l’incapacité de se représenter son œuvre achevée lorsqu’il commence à travailler. Alain a écrit à ce propos des observations fort pertinentes: «Pensons au travail du portrait; il est clair qu’il ne peut avoir le projet de toutes les couleurs qu’il emploiera à l’œuvre qu’il commence; l’idée lui vient à mesure qu’il fait; il serait même rigoureux de dire que l’idée lui vient ensuite, comme un spectateur, et qu’il est spectateur aussi de son œuvre en train de naître. Et c’est là le propre de l’artiste».
Là encore, se manifeste avec éclat l’impuissance de la raison. Mais il y a mieux. Car cette impuissance se retrouve également dans un domaine où il était légitime de supposer que cela était tout à fait exclu, à savoir en mathématiques. Car les mathématiques sont la science de la démonstration et celle-ci n’a recours qu’à la seule raison afin d’établir ses conclusions. Pourtant, nous savons que tout système mathématique est de nature axiomatique ce qui signifie qu’il doit posséder pour points de départ de ses démonstration des propositions premières qui sont pour leur part indémontrables. Ce paradoxe est déjà un premier accroc à la toute-puissance de la raison.
De plus, depuis 1930, nous savons avec le théorème d’incomplétude de Gödel, qu’un système axiomatique contient des propositions vraisemblablement toujours vraies sans que nous puissions le démontrer. C’est le cas de la conjecture de Goldbach qui affirme que tout nombre pair à partir de 4 est égale à la somme de deux nombres premiers, c’est-à-dire deux nombres qui ne sont divisibles que par eux-mêmes ou par un. Cette conjecture a été vérifiée à ce jour jusqu’à 1018.. Ainsi, même en mathématiques, la raison peut être mise en échec.
L’impuissance de la raison est encore plus patente lorsqu’il s’agit de certaines questions d’ordre métaphysique. Nous n’évoquons même pas son éventuelle utilisation illégitime à l’image de Kant. Il s’agit ici de domaines qui s’avèrent manifestement étrangers à ce qui est rationnel. C’est le cas lorsque nous réfléchissons sur la notion de temps. St Augustin a formulé à ce propos des remarques décisives dans les «Confessions»: «(Existe-t-il) une idée plus familière et mieux connue que l’idée de temps?...Or qu’est-ce que le temps? Quand personne me le demande, je le sais; dès qu’il s’agit de l’expliquer,je ne le sais plus...Le passé et l’avenir, comment sont-ils, puisque le passé n’est plus et que l’avenir n’est pas encore? Le présent même, s’il était toujours présent, sans se perdre dans le passé, ne serait plus le temps; il serait éternité».
D’ailleurs Bergson mettra bien en lumière qu’il n’ y a pas de mesure spécifique du temps. On mesure le temps par de l’espace parcouru: « La succession (des instants) se présente d’abord à notre conscience comme la distinction d’un «avant» et d’un «après» juxtaposés..(Or) quand nous écoutons une mélodie...si nous la découpons en notes distinctes, en autant d’«avants» et d’«après» qu’il nous plaît, c’est que nous y mêlons des images spatiales...Dans l’espace, et dans l’espace seulement, il y a distinction nette de parties extérieures les unes aux autres...(Ce n’est que dans la durée) que prennent place dans un seul et même temps les changements plus ou moins longs auxquels nous assistons en nous et dans le monde extérieur».
Ainsi cette réalité métaphysique familière qu’est le temps échappe aux prises de la raison. A plus forte raison en est-il de même concernant une réalité lointaine et hypothétique qui est celle de l’idée d’un absolu. Car, par définition, l’absolu se situe au-delà des caractéristiques de notre finitude et par conséquent de notre raison. C’est ainsi que la tradition monothéiste judéo-chrétienne proclame que l’absolu ou Dieu est impensable comme en témoigne le célèbre tétragramme YHWH, imprononçable volontairement. L’absolu renvoie à un au-delà de la raison. Il ne peut pas être pensé ni représenté ni avoir de nom.
Mais dans le même temps, cet absolu est présenté comme proche et à ce titre habite notre vie intérieure. Sa présence se dévoile à nos «cœurs» si nous prenons la peine de le rechercher et de nous y relier. Telle est l’essence de l’esprit religieux, à savoir cette conviction de pouvoir se relier à l’absolu. Cette attitude rejoint ce qu’affirme Pascal dans «Les Pensées»: «C’est le cœur qui sent Dieu, et non la raison. Voilà ce qu’est la foi, Dieu sensible au cœur, et non à la raison. Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point»