· 10 LA NOTION D'INSTINCT CHEZ L'HOMME . COURS.
· 9 LE STATUT DE LA CONSCIENCE SELON NIETZSCHE. COURS.
· 13 CROYANCES, RITES ET FÊTES DU JUDAÏSME
· NATURE HUMAINE ET CONDITION HUMAINE.
· 1 LES FONDEMENTS D'UNE DEMOCRATIE
· 10 LA FONCTION DU MYTHE
· 531 L'ART POUR L'ART OU ART ENGAGE?
· 5 LE BOUDDHISME: COMPARAISON AVEC L'HINDOUISME
· 12 MOÏSE, FONDATEUR DU JUDAÏSME
· 1 COURS DE PHILOSOPHIE: LA PHILOSOPHIE SPONTANEE.
· 286. LES MANIFESTATIONS DE L'INCONSCIENT PSYCHIQUE.
· 289. INCONSCIENT PSYCHIQUE ET CONNAISSANCE DE SOI.
· 411 LES SOURCES DE LA CONNAISSANCE HUMAINE.
· 2 COURS DE PHILOSOPHIE: LE ROLE DE LA RAISON.
· 8 LE STATUT DE LA CONSCIENCE SELON KANT ET PASCAL. COURS.
>> Toutes les rubriques <<
· 29 Cours: La nature de l'homme (15)
· 8 Les grandes religions (24)
· 36 Cours: L'Art. (14)
· 31Cours: L'inconscient. (6)
· 3 L'esprit démocratique (23)
· 2 Cours: Pourquoi la philosophie? (5)
· 7 Le phénomène religieux (16)
· 30 Cours: La morale. (11)
· 45 Extraits de textes philosophiques (15)
· 35 Cours: La politique. (22)
soi sur roman moi place monde soi animal chez mode enfants société heureux création dieu femmes nature cadre coupable livre demain créations
Statistiques
Date de création : 26.02.2011
Dernière mise à jour :
31.01.2025
4866 articles
Rubrique " Fondements de la violence". Suitedu billet N°4246.
Extraits de Philosophie pour tous, Tome VII, A.MENDIRI
Prochain billet demain samedi 19 novembre
L’histoire de la philosophie a attribué au phénomène de la violence des origines et des fonctions variées. La pensée classique l’attribue aux caractéristiques singulières de l’espèce humaine, à savoir l’absence de régulation naturelle, à des facteurs culturels qui viennent l’exacerber, au besoin de reconnaissance lié au statut conscient de l’homme et considère que c’est un phénomène négatif qui est la cause de la plupart des perturbations que peut connaître la condition humaine. Hegel est plus nuancé: dans le cadre de son interprétation de la réalité, la violence peut se voir utilisée par la raison universelle, celle qui est constitutive de cette réalité, en vue de réaliser ses fins propres et non celles de la violence. Enfin Marx fait de la lutte des classes et donc d’une forme de violence le facteur exclusif du progrès humain et de la libération de l’humanité de ses chaînes.
Au cours du XX° siècle est apparue une conception inédite concernant les origines de la violence, celle impulsée par René Girard et qui fait du désir mimétique le fondement de toute forme de violence. Mais tout d’abord qui est René Girard (1923-2015)? Professeur de littérature aux États-Unis de 1957 à 1995, élu à l’Académie française en 2005, élection au cours de laquelle il se voit qualifié par Alain Serres de «nouveau Darwin des sciences humaines» et par l’historien Pierre Chaunu «d’Albert Einstein des sciences de l’homme», il se convertit au catholicisme en 1961 à la suite de ses travaux sur le désir mimétique.
Pour mieux comprendre de quoi il s’agit lorsque Girard évoque le caractère mimétique du désir, attachons-nous en premier lieu à la nature du désir en général. Le désir se distingue du besoin. En effet un besoin, besoin de nourriture par exemple, s’éteint temporairement lorsqu’il est satisfait. J’ai faim; je mange; je n’ai plus faim. En revanche le désir ne s’éteint pas après sa satisfaction ponctuelle. Dès qu’un désir obtient satisfaction il renaît aussitôt de ses cendres et se porte immédiatement sur un autre objet.
A vrai dire le désir est lié au statut conscient de l’homme. Il épouse le mouvement même de la conscience. A ce titre, le désir se projette toujours au-devant de lui-même, ce qui constitue un facteur de dépassement incessant mais aussi et corollairement en quelque sorte un motif d’insatisfaction permanente. C’est pour cela que tous les grands courants de pensée philosophique ou religieux ont réfléchi sur le statut du désir et sur la place qu’il convenait de lui accorder au sein de l’existence humaine. Cela va de la soumission du désir à l’intelligence chez Platon jusqu’aux tentatives de son éradication dans la pensée bouddhiste par exemple. Bref, le désir est une dimension fondamentale de la condition humaine.
Ajoutons à cela qu’Aristote considérait que la capacité d’imitation était le propre de l’homme, car cette capacité présupposait la conscience de soi et d’autrui et la possibilité de s’identifier à lui. Cette affirmation demandera cependant d’être nuancée car l’imitation se retrouve également dans le monde animal, même si elle est largement commandée par l’instinct.
Toujours est-il que Girard établira un lien consubstantiel entre le désir et l’imitation et fera du désir mimétique le fondement même de ses analyses anthropologiques, celles qui concernent par conséquent la nature de l’homme. En effet, l’imitation se trouve au cœur même du désir. Le désir est certes recherche d’une satisfaction mais qui ne se porte pas sur un objet quelconque mais sur l’objet que désire autrui. Le désir mimétique suppose donc trois facteurs: moi, autrui, l’objet désiré par autrui. De ce fait le désir ne consiste pas à posséder un objet mais témoigne du souci d’être comme autrui. En somme le désir ne traduit pas un souci «d’avoir» mais un souci «d’être». Par exemple le regard distrait de A sur X suscite le désir de B sur X qui lui-même suscite le désir de A et accroît celui de B.
Les fondements des conceptions de Girard concernant la nature mimétique du désir sont de deux sortes. En premier lieu il s’inspire des données que l’on trouve dans la littérature mondiale. Cela fait d’ailleurs l’objet d’un premier livre sur ce sujet, publié en 1961 et intitulé«Mensonge romantique et Vérité romanesque». Il y précise que ce qu’il le frappait c’était par exemple le rapport entre ce que Proust appelait snobisme et ce que Stendhal désignait par le terme de vanité. Ce qui a déclenché l’idée de désir mimétique, ce désir imité qui n’est jamais spontané, c’est lorsque Girard a compris que chez Cervantès et chez Dostoïevski, il y avait la même chose que chez Proust et Stendhal, et parfois sous des formes plus outrées, sous des formes qui avaient un caractère psycho-pathologique.
Le deuxième fondement possible du désir mimétique est de nature scientifique. A la fin du XX° siècle la neurologie a découvert les neurones miroirs. Celles-ci permettent l’observation et l’imitation, tant chez l’homme que chez l’animal. Il existe cependant une différence fondamentale entre l’homme et l’animal en la matière dans la mesure où d’une part l’imitation humaine est consciente et colorée par le besoin de reconnaissance et où d’autre part il n’existe pas chez l’homme de canalisation naturelle de la violence, ce qui explique que l’imitation de la violence peut être chez lui sans retenue et rend compte de cette spécificité humaine qu’est la vengeance.
En quoi le désir mimétique peut-il être source de violence ? Girard décrit ce mécanisme dans un second ouvrage « La violence et le sacré » en 1972. Il existe deux types d’objets : les partageables comme la sympathie ou a connivence et les non-partageables comme l’amour ou la carrière. Ces derniers font l’objet d’une rivalité mimétique. Ce phénomène de rivalité se généralise de proche en proche et aboutit à une crise mimétique. Dès lors, un régulateur est nécessaire afin que la société n’éclate pas. «De tous contre tous» la régulation consiste à passer à « Tous contre un ».
Ce mécanisme présente alors des conséquences anthropologiques fondamentales. Car la victime est perçue à la fois comme étant à l’origine de la crise mais également à l’origine du retour à la paix. De ce fait elle apparaît comme toute-puissante et devient une divinité archaïque. Ainsi naît une religion nouvelle.
L’objet, origine de la crise, devient tabou. Il est source d’interdits. De même sont institués des rites qui répètent le processus de crise en vue de bénéficier à nouveau de son dénouement heureux. Enfin, il invite à des sacrifices qui rappellent le meurtre fondateur. Le tout suscite des mythes relatant la crise mimétique et son dénouement. Girard prétend que tous les mythes de l’humanité sont semblables et décrivent tous le même processus.
Cela amène Girard à critiquer l’interprétation des mythes par Lévi-Strauss pour qui ils sont purement symboliques. Or pour Girard les mythes sont fondés sur un phénomène réel. Ce ne sont pas des explications infantiles des origines mais des nécessités afin d’assurer la cohésion de la société. De même met-il en cause la notion de l’inconscient freudien. Il réinterprète le célèbre complexe d’Œdipe. Le désir du garçon ne porte pas sur la mère mais sur le désir du désir du père. Girard prétend que pour surmonter l’absurdité du désir conscient de l’enfant pour sa mère, Freud a inventé l’hypothèse de l’inconscient.
Dans son troisième ouvrage « Des choses cachées depuis la fondation du monde »(1978), Girard décrit ce qui , à ses yeux, constitue ce qu’il appelle la révolution culturelle introduite par le judéo-christianisme. Cette révolution, amorcée dans l’Ancien Testament, est pleinement achevée dans les Évangiles. En quoi consiste-t-elle ? Ces textes reconnaissent que la victime d’une crise mimétique est innocente et non coupable comme dans les civilisations précédentes. Ils légitiment le point de vue de la victime et non celui des persécuteurs. La foule et ses accusations ont tort.
En conséquence le sacrifice de la victime n’apporte plus la paix puisqu’elle n’est plus un moyen de réconciliation. Girard reprend pour étayer son propos la proclamation que l’on trouve dans l’Évangile de St Mathieu : « Je ne suis pas venu apporter la paix mais le glaive ».Cette reconnaissance de l’innocence de la victime ne conduit pas à la création de nouveaux dieux. D’ailleurs Nietzsche l’avait constaté sans en comprendre les vraies raisons : « Presque deux millénaires et pas un seul nouveau Dieu ». Nietzsche expliquait ce phénomène par le fait que le christianisme avait étouffé la naissance possible de nouvelles religion car il incarnait la revanche des faibles sur les forts et constituait une morale du ressentiment au service des esclaves.
Dès lors il n’existe qu’un seul remède pour surmonter désormais les crises mimétiques, c’est l’amour inconditionnel, y compris pour le persécuteur. Cette attitude élimine la vengeance et rejoint la doctrine de la non-violence de Luther King, de Gandhi, de Tolstoï. La non-violence n’est pas le refus du recours à la force, exceptée si nécessaire en dernier recours, alors que pour le sentiment commun la force est considérée et pratiquée comme étant le premier recours.
Girard s’appuie sur des cas historiques précis pour illustrer ses thèses. Toutes les crises mimétiques comportent deux éléments : un bouc-émissaire et une crise sacrificielle. C’est le cas de la Révolution française (D’un côté le roi, l’aristocratie, le clergé de l’autre les Tribunaux révolutionnaires) ; du communisme avec d’un côté la bourgeoisie et de l’autre les procès staliniens ; le libéralisme libertaire (d’un côté toutes les institutions Église, partis, syndicats confrontés à la fin des normes et des obligations) ; de l’Islamisme avec l’Occident ou le Grand Satan d’un côté et les attentats suicides. De l’autre, attentats qui constituent un nouveau mode de sacrifice où il ne s’agit plus de tuer pour en sauver d’autres mais de se tuer pour en tuer d’autres.
Mais l’exemple le plus emblématique est celui du nationalisme franco-allemand. Celui-ci a pris racine lors de la bataille de Iéna en 1806 et qui a inspiré les thèses de Clausewitz sur les nouvelles formes de guerre, des guerres avec des levées de masse ; ce conflit trouve son prolongement avec la guerre de 1870 et l’humiliant traité de Versailles (perte de l’Alsace-Lorraine et saignée économique) ; la revanche de la première guerre mondiale avec le second traité de Versailles, humiliant cette fois pour l’Allemagne ( perte de la Ruhr et saignée économique) et qui a conduit à la seconde guerre mondiale où le nationalisme est accompagné de racisme et qui se termine par la destruction et la division de l’Allemagne. Cet interminable conflit a trouvé son issue par la réconciliation sans condition opérée d’ailleurs par trois dirigeants chrétiens-démocrates (Schumann, Adenauer et de Gaspéri).
Remarquons cependant que Girard semble proposer une interprétation contestable de l’Islam. Il établit un lien constant entre cette religion et la violence. Pourtant sur un plan doctrinal, cette analyse est contestable. Le Coran ne contient que 4 versets dits de l’épée ou du sabre appelant à la défense légitime contre ceux qui combattent l’Islam. A côté de ces derniers on y trouve 200 versets de miséricorde et de tolérance. Selon J. Chabbi le Coran affirme qu’il ne dit y avoir aucune contrainte en religion et que les guerres de défense légitime doivent respecter une certaine éthique : « Ne tuez ni enfants, ni femmes, ni hommes âgés, ni reclus dans une tour ; ne coupez ni palmier, ni arbre et ne détruisez pas de bâtiment ». Mais sur le plan strictement historique et non plus doctrinal, les thèses de Girard peuvent éventuellement être recevables.