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· 1 COURS DE PHILOSOPHIE: LA PHILOSOPHIE SPONTANEE.
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Dernière mise à jour :
31.01.2025
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Rubrique " Philosophie par les textes". Suite du billet N°4428.
Extrait de Philosophie pour tous, Tome IV, A.MENDIRI, Amazon.
Prochain billet demain samedi 20 mai.
La notion de justice est éminemment complexe et engage une certaine idée de l’homme. Or, nous le savons, ni la religion, ni la philosophie, ni la science ne sont à même d’énoncer avec précision et surtout certitude ce qu’est l’homme. En conséquence, la conception de la justice qui découle de la conception que nous avons de l’homme s’avère-t-elle un engagement philosophique, relève de l’ordre de la croyance et non du savoir.
Si, comme le faisait Calliclès, l’interlocuteur imaginaire de Socrate, on retreint l’homme aux seules considérations biologiques ou sociales, aux seules capacités physiques ou intellectuelles ou encore aux seuls pouvoirs sociaux dont dispose un individu quelconque, alors est juste une situation où les plus forts dans tous ces domaines possèdent la plus grosse part. La force prime le droit. Mieux le droit crée par essence des injustices puisqu’il a pour effet de fixer des limites artificielles à l’exploitation naturelle de telles compétences innées ou acquises. La loi, disait Calliclès, est le résultat de la coalition des faibles afin d’enchaîner les forts.
Observons d’ailleurs que même à notre époque et au sein de notre civilisation empreintes de deux mille ans de christianisme, façonnée par la philosophie des Lumières (XVIII° siècle) et les idéaux de la Révolution française, de telles analyses fleurissent spontanément dans le monde économique lorsque certains de ses acteurs clament haut et fort que les lois les empêchent de prospérer comme ils le désireraient en limitant leurs droits quant au traitement de leurs employés sur le plan des rémunérations, des conditions de travail, des règles de licenciement, des possibilités d’absorption d’entreprises etc. Le libéralisme économique à l’état pur rejoint complètement les conceptions de Calliclès.
Nous avons vu que Platon partait de considérations totalement différentes quant à la nature de l’homme. L’homme ne se définit pas sur un plan strictement biologique ou social. Si nous nous en tenons à ces critères, il n’y a à vrai dire que des individus, tous différents, que ce soit sur le plan physique, intellectuel, social au sens large. Autrement dit, que ce soit sur le plan individuel ou collectif, il n’y a que des différences, différences individuelles, différences entre peuples avec toutes les hiérarchies que ces conceptions introduisent entre elles. De telles conceptions peuvent parfaitement théoriser le racisme par exemple, puisque le racisme est fondé sur la hiérarchie entre individus et entre groupes humains, hiérarchie fondée sur la supériorité présumée ou prétendument constatée empiriquement entre ces individus et ces peuples, supériorité dont l’origine ultime serait naturelle.
En somme, l’idée d’humanité, l’idée d’une universalité des êtres humains au-delà des qualités qu’ils possèdent nativement ou qu’ils ont acquises sont absentes des analyses que nous venons de rappeler. Tel n’est pas le cas de Platon et à sa suite de toute la longue tradition philosophique rationaliste qui fait de la raison la faculté universelle, commune à tous les hommes, faculté qui fait l’originalité de l’homme parmi tous les êtres vivants et qui, par là même, le définit spécifiquement. La raison est à leurs yeux l’essence de l’homme, autrement dit ce qui fait qu’un homme est un homme et non pas un singe par exemple, et toutes les qualités qu’ils possèdent nativement ou acquises ne sont, disait Aristote, que des « accidents ». Le fait d’être brun ou blond, d’être un bon mathématicien ou un bon ébéniste ne permettent en rien de définir l’homme, autrement dit ce qui est spécifiquement en l’homme.
Certes, comme nous l’avons vu également, la raison dont il s’agit est une raison morale et non la raison seulement logique. La raison invoquée par Platon introduit au monde des valeurs. Qu’est-ce que cela signifie exactement ? La raison indique ce que nous devons faire en vue de notre bien. Les autres espèces animales possèdent l’instinct afin de remplir cet office. Pas l’homme. La raison supplée heureusement cette absence de savoirs innés, car elle est dépouillée des rigidités de l’instinct, elle est à même d’apprécier et de s’adapter aux situations les plus variées.
Or, l’homme, grâce à la pensée et à la raison, est appelé à être naturellement un être historique, un être qui est l’auteur des changements qu’il connaît à travers le temps, un être qui naturellement a vocation à s’arracher à sa condition naturelle et à fonder un monde artificiel ou culturel. Les mondes culturels, les différentes civilisations sont le domaine de la diversité, de la nouveauté, de la complexité des situations, toutes choses qui nécessitent la plasticité de la raison.
Certes, la raison nous indique ce que nous devrions faire afin d’accéder à notre bien authentique et non apparent. Inévitablement, la raison ainsi comprise va fixer des limites. Des limites à nos désirs, à nos passions, non par principe mais afin de dissiper les illusions engendrées par ces instances. Il est vrai qu’un individu qui se fixe ainsi de telles limites aurait pu parfois réaliser ses désirs ou donner suite à ses passions. Il en avait peut-être la force, les capacités physiques ou intellectuelles ou bien une position sociale qui lui en donnait l’opportunité. Il n’est pas vrai comme le croit Calliclès que seuls les faibles, ceux qui ne peuvent assouvir désirs ou passions invoquent l’autorité et la légitimité de la loi, qu’elle soit politique ou morale. La vraie force, la vraie grandeur consistent précisément à être capable de se fixer volontairement des limites que les circonstances n’imposent pas, non encore une fois par principe en quelque sorte d’ordre masochiste, mais simplement par lucidité et vision à long terme de son bien véritable.
L’argument selon lequel cette libre limitation n’est jamais qu’un choix de vie et qu’un individu peut préférer donner libre cours à ses désirs et passions sans aucun contrôle, ce qui n’est tout au plus qu’un autre choix de vie, ne tient pas. Car Platon et les rationalistes en général ont bien montré que la recherche de mon bien est inséparable de la poursuite de l’objectif du bien commun. Distinguer entre les deux est artificiel et erroné.
En effet, donner libre cours à ses désirs ou ses passions peut conduire à nuire à autrui et à saper les fondements de l’ordre social. Or, l’homme est ainsi fait que son sort, que son bien, se voient indissociablement liés à l’état social. Faute de savoirs innés, un individu humain doit tout à la société : son langage, le développement de la pensée, les valeurs morales, les avantages procurés par la division sociale des tâches, l’exploitation des possibilités de l’espèce et de la maîtrise toujours plus grande et plus libératrice sur le monde. Bref, ne pas tenir compte du bon fonctionnement du corps social, du bien commun que cela suppose, est un comportement insensé et à courte vue.
Ce comportement n’a d’ailleurs rien de naturel au sens biologique du terme puisqu’il peut créer les conditions remettant en cause les intérêts même de l’espèce non seulement ici et maintenant mais également concernant les générations futures. Bref, ce comportement est totalement contraire aux exigences de la conservation de la vie et de la sélection naturelle. Dès lors, le paradoxe des thèses naturalistes de Calliclès ou prétendues telles, c’est précisément qu’elles se dispensent de se soumettre aux exigences les plus naturelles qui soient.
Ainsi, Calliclès est-il doublement infidèle à l’idée de nature, que ce soit celle que l’on peut dégager des lois purement biologiques ou celles qui découlent des exigences de la raison lorsque celle-ci se voit contester son rôle consistant « à tenir le gouvernail » en l’absence d’autres garde-fous naturels. Calliclès ne fait pas l’apologie de la nature mais de la licence, cette forme de liberté sans limite que l’homme peut se donner pour son plus grand malheur et pour le malheur de son espèce.
Ainsi, les conceptions de la justice selon Platon sont-elles fondées non sur de simples considérations morales mais sur une analyse rigoureuse du statut ontologique de l’homme. Toute la question c’est de savoir si on doit s’en tenir à des considérations aussi générales que celles concernant le rôle de la raison afin de définir la notion de justice. Ce sera l’objet de prochains billets.