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31.01.2025
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Rubrique "Les fondements de la violence". Suite au billet N°4456.
Extrait de Philosophie pour tous, Tome VII, A.MENDIRI, Amazon.
Prochain billet demain samedi 03 août.
La violence est peut-être le problème fondamental auquel toute civilisation humaine se voit confrontée. Elle semble impossible à éradiquer car inhérente aux caractéristiques originales de l’espèce humaine. Dépourvu d’instincts, c’est-à- dire de canalisations naturelles comme en connaissent toutes les espèces animales, la nature biologique de l’homme lui ouvre les portes d’excès parfois inimaginables remettant en cause non seulement les vies individuelles mais également l’existence même des sociétés. A cela s’ajoute, si on en croit Freud, à côté d’une pulsion de vie, une pulsion de mort qui est portée à faire une œuvre destructrice.
Ces constats rejoignent les interrogations des fondateurs de la philosophie et ce, depuis le V° siècle av J.C. Platon considérait que la raison éthique « devait tenir le gouvernail » en contrôlant le bien-fondé éventuel des désirs et des passions qui, livrés à eux-mêmes desservaient la recherche d’un bien authentique, autrement dit ce que nous voulons vraiment. Cette attitude qui seule nous rend digne d’être appelé « homme » suppose une grande « maîtrise de soi ». Or celle-ci est rejetée par les contempteurs de la raison et de son rôle, à l’image de Calliclès, qui confond liberté et licence, bonheur et exacerbation des désirs et des passions, considérant que seule la foule de ceux incapables de les satisfaire érige par ressentiment la tempérance comme ligne de conduite à tenir.
La question de la violence est donc au cœur des problèmes politiques. En effet, l’homme est naturellement appelé à vivre en société s’il veut se protéger des violences des autres hommes et profiter de l’exploitation des possibilités de l’espèce humaine qui ne peut s’épanouir qu’au sein des sociétés avec le partage des tâches et des compétences qu’elle suppose. La question de la violence ou de la sécurité constitue donc un des problèmes fondamentaux à résoudre afin que la société, sans laquelle il n’y a ni langage, puisqu’il n’y a pas de langue naturelle, et donc ni pensée et sa faculté créatrice, puisse subsister de manière harmonieuse.
Ces considérations nous amènent à s’interroger sur les apports de l’état social par la médiation d’une réflexion sur l’état de nature, c’est-à-dire un état où l’homme vivrait en-dehors de toute société. Rappelons à cet égard que l’état de nature est considéré par tous les philosophes qui ont abordé cette question comme un état fictif, une expérience de pensée, dirait-on aujourd’hui, permettant de comprendre les apports et la nécessité de l’état social.
Rappelons à ce propos ce qu’écrit Hegel dans « Propédeutique philosophique » : « L’état de nature est l’état de rudesse, de violence et d’injustice. On décrit souvent l’état de nature comme un état parfait de l’homme, en ce qui concerne tant le bonheur que la bonté morale. Il faut d’abord noter que l’innocence est dépourvue comme telle de toute valeur morale, dans la mesure où elle est ignorance du mal et tient à l’absence des besoins d’où peut naître la méchanceté. D’autre part, cet état est bien plutôt celui où règnent la violence et l’injustice, précisément parce que les hommes ne s’y considèrent que du seul point de vue de la nature. Or, de ce point de vue là, ils sont inégaux tout à la fois quant aux forces du corps et quant aux dispositions de l’esprit, et c’est par la violence et la ruse qu’ils font valoir l’un contre l’autre leur différence. Sans doute la raison appartient aussi à l’état de nature, mais c’est l’élément naturel qui a en lui la prééminence. Il est donc indispensable que les hommes échappent à cet état pour accéder à un autre état, où prédomine le vouloir raisonnable ».
C’est en partant de ce constat que Hobbes (XVII° siècle) en conclut que seul l’état social est à même de protéger l’homme de la violence d’autrui et que pour ce faire il est nécessaire d’instaurer un État exerçant suffisamment d’autorité afin d’empêcher tous les facteurs de discorde et de dislocation sociales, comme la lutte pour le pouvoir ou le prosélytisme religieux. La liberté des membres de la société ne peut s’exercer que dans les domaines non réglés par des lois, ou comme dit Hobbes, « dans le silence des lois ».
Il justifie sa position dans « Le Léviathan » de la manière suivante : « Si deux hommes désirent la même chose alors qu’il n’est pas possible qu’ils en jouissent tous les deux, ils deviennent ennemis : et dans leur poursuite de cette fin (qui est, principalement, leur propre conservation, mais parfois seulement leur agrément), chacun s’efforce de détruire ou de dominer l’autre. Et de la vient que, là où l’agresseur n’a rien de plus à craindre que la puissance individuelle d’un autre homme, on peut s’attendre avec vraisemblance, si quelqu’un plante ; sème, bâtit, ou occupe un emplacement commode, à ce que d’autres arrivent tout équipés, ayant unis leurs forces, pour le déposséder et lui enlever non seulement le fruit de son travail, mais aussi la vie ou la liberté. Et l’agresseur à son tour court le même risque à l’égard d’un nouvel agresseur. Du fait de cette défiance de l’un à l’égard de l’autre, il n’existe pour nul homme aucun moyen de se garantir qui soit aussi raisonnable que le fait de prendre les devants, autrement dit, de se rendre maître, par la violence ou la ruse, de la personne de tous les hommes pour lesquels cela est possible, jusqu’à ce qu’il n’aperçoive plus d’autre puissance assez forte pour le mettre en danger. Il n’y a rien de plus que n’en exige la conservation de soi-même, et en général on estime cela permis… Il apparaît clairement par là qu’aussi longtemps que les hommes vivent sans un pouvoir commun qui les tienne tous en respect, ils sont dans cette condition qui se nomme guerre, et cette guerre est guerre de chacun contre chacun ».
Les analyses de Hegel et de Hobbes s’appuient sur une conception de l’état fictif de nature qui n’est pas partagée par tous les philosophes et en particulier par Rousseau. Certes celui-ci ne fait pas de l’état de nature un état parfait de l’homme comme on le croit trop souvent. Cependant, il considère que si l’état de nature est neutre sur la plan moral, ni bon ni mauvais,il se caractérise par la présence d’un sentiment spontané, le sentiment de pitié vis-à-vis de la souffrance d’autrui, affirmation qui s’accorde avec les découvertes contemporaines récentes des neurones miroirs source des capacités humaines d’empathie, autrement dit de la possibilité de se mettre à la place de l’autre et de le comprendre en conséquence.
C’est le point de vue qu’il développe dans le « Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité » : « Il est donc bien certain que la pitié est un sentiment naturel qui, modérant dans chaque individu l’activité de l’amour de soi-même, concourt à la conservation mutuelle de toute l’espèce. C’est elle qui nous porte sans réflexion au secours de ceux que nous voyons souffrir ; c’est elle qui, dans l’état de nature, tient lieu de lois, de mœurs et de vertu, avec cet avantage que nul n’est tenté de désobéir à sa douce voix : c’est elle qui détournera tout sauvage robuste d’enlever à un faible enfant, ou à un vieillard infirme, sa subsistance acquise avec peine, si lui-même espère pouvoir trouver la sienne ailleurs : c’est elle qui, au lieu de cette maxime sublime de justice raisonné, Fais à autrui comme tu veux qu’on te fasse,inspire à tous les hommes cette autre maxime de bonté naturelle bien moins parfaite, mais plus utile peut-être que la précédente, Fais ton bien avec le moindre mal d’autrui qu’il est possible. C’est en un mot dans ce sentiment naturel, plutôt que dans des arguments subtils, qu’il faut chercher la cause de la répugnance que tout homme éprouvait à mal faire, même indépendamment des maximes de l’éducation. Quoi qu’il puisse appartenir à Socrate et aux esprits de sa trempe, d’acquérir de la vertu par raison, il y a longtemps que le genre humain ne serait plus si la conservation n’eût dépendu que des raisonnements de ceux qui le composent ».
Cette expérience de pensée de Rousseau concernant l’état de nature est fort intéressante. Car si l’état social est le seul permettant à un homme de devenir véritablement un homme, de développer ou d’éduquer sa raison, il n’en demeure pas moins vrai que la raison éthique connaît des failles, des faiblesses, qu’elle ne saurait suffire à assurer la cohésion sociale tant son usage exclusif est fort difficile et peut-être réservé à une rare élite. C’est donc en prenant en compte ce sentiment naturel de pitié qu’il s’avère possible de comprendre en quoi une société peut subsister alors même que la raison manifeste ses insuffisances.
Mais en premier lieu, voyons en quoi l’état social permet l’émergence d’un homme véritable en arrachant celui-ci à la simple condition animale ; « Ce passage de l’état de nature à l’état civil produit dans l’homme un changement très remarquable, en substituant dans sa conduite la justice à l’instinct, et donnant à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant. C’est alors seulement que la voix du devoir succédant à l’impulsion physique et le droit à l’appétit, l’homme, qui jusque-là n’avait regardé que lui-même, se voit forcé d’agir sur d’autres principes, et de consulter sa raison avant d’écouter ses penchants. Quoiqu’il se prive dans cet état de plusieurs avantages qu’il tient de la nature, il en regagne de si grands, ses facultés s’exercent et se développent, ses idées s’étendent, ses sentiments s’ennoblissent, son âme tout entière s’élève à tel point que si les abus de cette nouvelle condition ne le dégradaient souvent au-dessous de celle dont il est sorti, il devrait bénir sans cesse l’instant heureux qui l’en arracha pour jamais, et qui, d’un animal stupide et borné, fit un être intelligent et un homme ».
Ainsi il est clair que l’état social n’est pas condamné par Rousseau mais au contraire magnifié par lui. Car si la société lui fait perdre sa liberté naturelle, elle peut le faire accéder à une forme de liberté supérieure, vraiment humaine, à savoir la liberté civile qui dans l’idéal incarne une liberté raisonnable, la raison l’invitant également à devenir maître de lui-même et de n’être plus esclave de ses désirs et de ses passions, autrement dit de leur appartenir. Au sein de cette situation idéale, la raison triomphe et exclut par essence toute forme de violence, de domination d’un homme sur un autre.
Cependant, comme nous l’avons noté, la raison ainsi idéalisée et parfaite reste un horizon inaccessible pour la plupart du commun des mortels. Dès lors, toute société s’avère forcément étrangère à cet idéal et par conséquent mal gouvernée. Rousseau proclame non que c’est la société qui pervertit l’homme , qui le détourne du droit chemin et de sa vocation, mais la société mal gouvernée. Une véritable démocratie, c’est-à-dire un régime politique fondé sur la volonté raisonnable des citoyens ou sur ce qu’il appelle la volonté générale demeure une utopie. C’est en ce sens qu’il proclame dans le « Contrat social » que « s’il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement. Un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes ».
Or, c’est le seul régime susceptible de servir l’intérêt individuel et collectif des citoyens et d’exclure toute autorité fondée sur la violence. Peut-on envisager une organisation politique surmontant les impasses mises en avant par Rousseau ? Les faiblesses de la raison ne peuvent-elles pas conduire aux pires excès, dont le fanatisme est un triste témoignage ? Tels seront les thèmes du prochain billet.