6 RELIGIONS OU PHILOSOPHIES ?

Publié le 25/07/2011 à 16:58 par cafenetphilosophie Tags : nature blog homme histoire monde soi

   Les frontières entre la philosophie et la religion ne sont pas toujours aisées à définir et à tracer. En Occident, nous avons eu l'habitude d'établir une séparation nette et ce, depuis la naissance de la philosophie en Grèce vers les VI°-V° siècles av.JC. Mais précisément, cet acte de naissance de la philosophie en Grèce peut poser problème dans la mesure où il ne viendrait à personne l'idée selon laquelle l'humanité a attendu si tard pour réfléchir sur le monde et le destin de l'homme et où il est fréquent d'évoquer par exemple la philosophie indienne ou bien chinoise, bien antérieures.

   Qu'est-ce qui vaut à la Grèce du grand siècle cet honneur et cette réputation d'avoir inventé la philosophie? Pour bien saisir le sens de cette affirmation, il convient également de rappeler que la Grèce de la même époque est réputée avoir inventé les mathématiques alors qu'à l'évidence la plupart des civilisations anciennes maîtrisaient des connaissances mathématiques comme en témoignent avec éloquence la confection de calendriers, de cartes du ciel sans compter de remarquables réalisations architecturales requérant de telles connaissances.

   Pourtant si les grecs sont réputés avoir inventé les mathématiques c'est dans la mesure où une proposition est dite mathématique à partir du moment où l'on est en mesure de la démontrer. Or, pour démontrer une proposition mathématique, le recours aux ressources de la seule raison est la voie nécessaire. Le jeune collégien admet parfois difficilement qu'il doive démontrer ce qui apparaît évident en observant une figure géométrique ou bien en procédant à des mesures ou autres procédures empiriques, c'est-à-dire des procédures fondées sur le sens pratique, l'observation, la manipulation, la mesure, l'expérience par essais et erreurs etc. Démontrer consiste à établir de manière rationnelle ce qui peut apparaître comme allant de soi, à dégager la nécessité des conclusions, à mettre en évidence les raisons pour lesquelles il ne ne saurait en être autrement. La démonstration signe le triomphe de la raison. Les Grecs ont inventé la démonstration et par là même les mathématiques dans ce qu'elles ont d'original et de spécifique du point de vue de leur démarche afin d'établir des connaissances concernant les formes, les nombres et les relations entre les formes et les nombres.

    Ce que nous venons de dire concernant les mathématiques vaut de la même façon concernant la philosophie. Incontestablement, les civilisations antérieures aux Grecs ont développé des conceptions du monde et des réflexions sur le sens de l'aventure humaine que l'on peut qualifier de "philosophies" si on prend le terme de philosophie dans une acception très large, c'est-à-dire comme discipline exposant des hypothèses et des opinions sur le monde et sur l'homme.  Or, ce qui singularise les Grecs de cette époque, c'est le rôle qu'ils accordent à la seule raison afin  de construire un discours cohérent, rigoureux, fondé à propos des grandes questions qui préoccupent légitimement l'humanité. Les intellectuels Grecs du grand siècle veulent substituer le savoir à la croyance ou bien à l'opinion plus ou moins hypothétique, davantage fondée sur des intuitions ou des traditions que sur des analyses rationnelles et incontournables.

   Dès lors la philosophie ainsi conçue, non seulement est le privilège de cette civilisation grecque, mais elle semble s'opposer à la religion, fondée précisément sur la croyance ou plus profondément sur la démarche de foi. A vrai dire,  cette opposition  porte assez souvent davantage sur la démarche adoptée que sur les conclusions apportées. Car la raison philosophique ne nie pas nécessairement l'existence d'un ou plusieurs dieux, du sens ou du "logos" transcendant, c'est-à-dire objectif et indépendant de la volonté humaine, de l'immortalité de l'âme etc. Il est même possible d'affirmer que la tradition philosophique occidentale la plus prestigieuse a soutenu rationnellement de telles conclusions et ce, pendant vingt-cinq siècles. D'ailleurs ce que la tradition désigne par le terme de "métaphysique" concerne précisément cette démarche philosophique prétendant résoudre par la seule raison les grandes questions soulevées par les religions. Cela a même conduit Nietzsche à proclamer que la métaphysique n'était jamais que le prolongement ou une tentative indue à ses yeux de légitimation de la religion.

   Cette conclusion était d'ailleurs assez injuste ou polémique car rien n'interdit à la démarche philosophique de se présenter comme une contestation radicale et rationnelle du fait religieux comme en témoignent sa propre philosophie, ou bien celles d'Epicure, de Diderot, de Marx, Sartre etc.

   Il n'en reste pas moins vrai, qu'en Occident, la distinction entre la philosophie et la religion concerne  le rôle et les compétences accordés à la raison. Certes, l'histoire de la philosophie occidentale, vieille maintenant de vingt-cinq siècles, a souligné les limites voire l'échec de la raison en vue de répondre avec certitude aux grandes questions soulevées par l'humanité depuis ses origines. D'ailleurs, la philosophie a elle-même développé et argumenté de manière rationnelle les limites et les possibilités de la raison. C'est le cas notamment du célèbre système de Kant. Cependant, cette critique de la raison se présente elle-même comme le produit d'une démarche rationnelle et argumentée.

  Cette distinction nette entre philosophie et religion en Occident ne se retrouve pas au sein de la tradition orientale antérieure à la civilisation grecque. En effet, ces civilisations n'opèrent pas ce clivage rigoureux autour du rôle dévolu à la raison. C'est en ce sens que nombre de critiques s'interrogent sur le statut réel du bouddhisme et encore davantage sur ceux du taoïsme ou du confucianisme en Chine. Doit-on les classer parmi les religions ou bien parmi les philosophies entendues comme conceptions du monde ne se fondant pas sur une démarche de foi, faisant appel à un clergé, à des textes inspirés, à des rites précis? Cette interrogation ne soulève-t-elle pas également  la question de la nature d'une religion? C'est cet examen que nous nous proposons de mener lors d'un prochain billet. 

 NB: Si vous souhaitez vous informer sur les publications de l'auteur du blog, consultez dans la rubrique " Informations sur le blog"  le billet N°1.