Thèmes

afrique amis annonce article base belle bonne cadre carte centre chez coup

Rubriques

>> Toutes les rubriques <<
· CULTURE (65)
· L'ACTUALITE (62)
· JARDIN (80)
· LA LECTURE (114)
· HUMEUR,HUMOUR ! (47)
· LES SCIENCES (85)
· RELIGION (64)
· HISTOIRE DE LA FAMILLE (47)
· PRIER (70)
· POESIE (62)

Rechercher
Derniers commentaires Articles les plus lus

· MILLARDAIRES
· SAINT JOSEPH ,PERE.PAR LE PAPE.
· lES EMIRATS ARABE UNIS
· FORUM DE DAVOS
· LA VAGUE VERTE

· LA TURQUIE
· ALLOCATIONS FAMILIALES
· ELECTIONS AMERICAINES
· ELECTIONS
· AVEC MACRON ?
· LES PARASITES
· MARITAIN
· 1200MILLARDS DE DOLLAR SUR LES INFRASTRUCTURES
· LAFILIERE
· LE CORAIL

Voir plus 

Abonnement au blog
Recevez les actualités de mon blog gratuitement :

Je comprends qu’en m’abonnant, je choisis explicitement de recevoir la newsletter du blog "papilacabane" et que je peux facilement et à tout moment me désinscrire.


Statistiques

Date de création : 30.11.2013
Dernière mise à jour : 31.01.2025
10705 articles


LA LECTURE

genese du phenomene humain de theillard de chardin

Publié le 09/02/2023 à 11:28 par papilacabane Tags : gratuit sur vie soi coeur mort histoire centre fille création dieu femmes nature livre
Genèse du « Phénomène humain » : Teilhard de Chardin toujours stimulant Genèse du « Phénomène humain » : Teilhard de Chardin toujours stimulant

 

Pierre Teilhard de Chardin jésuite, théologien, philosophe et paléontologue, en 1939, avec le doct. Walter W. Granger, au Muséum d'Histoire Naturelle de New York, aux Etats-Unis. Archives CIRIC/Archives CIRIC

 

Le Phénomène humainde Pierre Teilhard de Chardin. Genèse d’une publication hors normes

de Dominique Lambert, Marie Bayon de La Tour et Paul Malphettes

Éditions jésuites, 350 p., 29 €

Le Phénomène humain fut pour Teilhard de Chardin (1881-1955) « le livre de sa vie(où) il reprend l’intuition maîtresse de toute son œuvre et de toute sa vie de prêtre et de scientifique : Dieu crée en unissant ». Trois spécialistes du jésuite ne sont pas de trop pour évoquer cette « publication hors normes » : Dominique Lambert, philosophe des sciences et enseignant à l’université de Namur, qui a beaucoup publié sur les rapports entre foi et science ; Marie Bayon de La Tour, petite-fille de Joseph Teilhard de Chardin – dernier frère survivant de Pierre –, membre de plusieurs associations créées autour de la mémoire de son grand-oncle, entre autres pour veiller sur ses archives ; Paul Malphettes, expert de la correspondance de Teilhard et éditeur de plusieurs volumes de lettres dûment répertoriées et commentées.

Une vision d’une grande cohérence

Pour ces trois auteurs, Pierre Teilhard de Chardin a tenté « d’établir, par la médiation d’une philosophie de la nature, un lien entre la vision scientifique et la vision théologique » tout en restant fidèle « à une grande tradition catholique ». Le résultat est « une vision d’une grande cohérence, qui de surcroît est homogène avec une théologie chrétienne de la création, de l’incarnation et de la rédemption », affirment-ils, rappelant qu’en son temps Mgr Bruno de Solages, recteur de la Catho de Toulouse et défenseur constant du philosophe jésuite, a montré « que Teilhard est beaucoup plus traditionnel que ce que peuvent croire ou dire ses critiques ».

La première partie du livre est particulièrement intéressante. Elle présente de manière précise les idées principales du Phénomène humain, ainsi que l’histoire de sa rédaction. À une époque où cela n’allait pas de soi pour le magistère romain, Teilhard de Chardin est saisi « par la nécessité de proposer un christianisme plus adapté aux dimensions de la vision cosmologique de son temps », ce qui va le conduire à prendre en compte le concept d’évolution : « Si l’on suit l’Évolution et si l’on veut tenir fermement à la Matière, on est conduit vers l’Esprit.(…) Continuant le mouvement, on arrive à se demander quel serait le Centre vers lequel convergent les réalités personnelles en continuant la grande dérive évolutive et qui les attirent ? Une réponse naturelle est le Christ. »

Le jésuite va plus loin sur deux points précis : il n’exclut pas que l’évolution concerne aussi l’être humain ; et il s’oppose à la doctrine catholique selon laquelle « tous les hommes tirent leur origine d’un seul père et d’une seule mère » – ce qui n’est pas sans conséquence sur la question du péché originel. De quoi nourrir la fureur de ses critiques.

Censure romaine

La seconde partie narre par le menu tous les épisodes de la censure romaine qui frappa le manuscrit du Phénomène humain… De fait, achevé dès juin 1940, le livre ne paraîtra au Seuil que six mois après la mort de son auteur, en octobre 1955, à l’initiative d’une des nombreuses femmes proches de Teilhard, Mlle Jeanne Mortier qui, de guerre lasse, ne demanda l’approbation d’aucune autorité ecclésiastique que ce fût. Et, preuve qu’il répondait à un énorme besoin de catholiques avides de réconcilier foi et science et de trouver une « cohérence »entre elles, il connut un énorme succès avec plusieurs rééditions.

Avec Le Phénomène humain, « on a bien un essai à la fois provoquant et stimulant pour notre temps, puisqu’il suppose un au-delà de la rationalité scientifique stricte et qu’il invite à accueillir, comme un don transcendant et gratuit, ce qui vient parfaire et donner son plein accomplissement et sa pleine consistance à ce qui s’expérimente déjà dans l’immanence évolutive », écrivent les trois auteurs en fin d’ouvrage, convaincus que le livre a encore beaucoup de choses à apporter aux chrétiens du XXIe siècle. Ce qui ne les empêche pas de pointer des insuffisances dans la pensée du jésuite ou de le questionner, comme au sujet du mal, mais aussi de dénoncer « un certain nombre d’excès voire de déviations de ce qui deviendra le “teilhardisme” », qui dépasse ce que l’on trouve sous la plume du jésuite.

LES NOUVELLES DES INDESIRABLES

Publié le 02/02/2023 à 16:38 par papilacabane Tags : prix sur mer vie monde voyage enfants belle fond travail histoire fille texte livre
« Avers. Des nouvelles des indésirables » de J.M.G. Le Clézio : se souvenir des invisibles « Avers. Des nouvelles des indésirables » de J.M.G. Le Clézio : se souvenir des invisibles

 

Des enfants jouent sur une plage de l’île de Madagascar BLANCHE-ANA / ONLYWORLD.NET

 

Avers. Des nouvelles des indésirables

de Jean-Marie Gustave Le Clézio

Gallimard, 224 p., 19,50 €

Ils sont ceux que vous ne voyez pas, que vous n’imaginez pas ; des enfants, pour la plupart. Ils sont tous en chemin, échappés de camps de travail ou se dérobant aux narcotrafiquants, refusant de se soumettre à l’arbitraire, repoussant les sévices et la fureur des guerres ; ils progressent à travers la forêt, sous terre, sur les pirogues des fleuves ; ils serrent les dents et jouent des coudes ; ils ne fuient pas, ils se libèrent. Ils vivent la tête haute mais vous sont invisibles, vous sont indésirables. De ces humbles, ces intrus, Le Clézio aime à donner des nouvelles, au long d’une œuvre nourrie d’un irréductible humanisme. De ses nouveaux personnages – Maureez, Martin, Cecilia, Miguel, Yoni, Renault, Oriya, Chuche et Juanico, Marwan et Mehdi et Hanné… –, l’auteur révèle la beauté et célèbre le courage, au long de huit lumineux textes.

On y plonge par la merveilleuse histoire de Maureez Samson, orpheline de la baie Malgache à la conquête de son affranchissement. Toujours, sur elle, la jeune fille conserve une pièce de monnaie que son père lui légua pour qu’elle soit « protégée ». Cette filiation, cette force symboliquement contenue dans l’avers de la pièce donne au livre son nom. Et l’enfant de se souvenir de ses sorties en mer avec son père, pêcheur « mozambique » : « C’était doux et violent comme une lumière qui éblouit, c’était long et lent, le bruit du moteur, et le roulement des vagues à l’approche des récifs, puis, au large, quand Tomy hissait la vergue oblique, les claquements du vent dans la voile, le glissement soyeux du sillage, les cris des oiseaux. »

Déjà, le « long voyage de sa vie »commence, « de ville en ville, de chanson en chanson ». Déjà, Le Clézio nous embarque. Ses récits, plus vrais que réels, sont remplis de « la forêt immense, mystérieuse, captivante, capturante » et résonnent de musiques métissées, de chants venus d’Afrique et du Panama, de berceuses créoles.

Racines mauriciennes

Ainsi ce texte, peut-être le plus beau d’entre tous, dans lequel il déroule l’histoire de « la chanson douce et amère » de la rivière Taniers, chantée par sa grand-mère lorsqu’il était enfant et qu’ils se protégeaient des bombardements dans le noir de la cave, villa Idalie à Nice. « Je l’écoute et je sais que c’est la voix de mon grand-père qui parle par sa gorge, cette voix grave et chantante, qui dit le seul poème créole que j’aie jamais connu, le poème qui vient du fond des âges, du fond de la ravine où les travailleurs noirs sont enfermés le soir, du fond de la gorge qui font téter leurs bébés, et je sais que c’est ce lait que mon grand-père a bu dans son enfance, ce lait blanc de la nénéne noire, qu’il a bu avec les paroles du chant mélancolique des serviteurs et des servantes. »

Dans un même mouvement, Le Clézio révèle par ce poème la profondeur de ses racines mauriciennes – jusqu’à l’admirable figure de la nourrice Yaya –, et la rudesse du monde, « dans les pays de guerres et d’exil, sur les bateaux de fortune, sur les plages grises de la Méditerranée, ou dans les camps de concentration, de Beyrouth à Gaza, à Nour Shams. »

« Comment l’écrivain pourrait-il agir, alors qu’il ne sait que se souvenir ? »,se demandait le romancier dans son discours de réception du prix Nobel de littérature, en 2008. Comment « écrire, imaginer, rêver, pour que ses mots, ses inventions et ses rêves interviennent dans la réalité »? Le questionnement, qui porte déjà en lui les ferments d’une résolution, se dénoue encore de belle manière dans ce recueil de nouvelles, qui célèbre la résistance à l’oppression, quelle qu’elle fût. Il faut toute l’exigence de la littérature pour révéler la force de l’action.

LES ARDENNES,UNAN DANS LA FORET

Publié le 17/11/2022 à 15:18 par papilacabane Tags : vie amour monde argent photo papier belle amis maison fille femmes nature message
« Un an dans la forêt », de François Sureau : pour l’amour des lieux « Un an dans la forêt », de François Sureau : pour l’amour des lieux

 

Des grues cendrées en vol, dans les Ardennes belges (photo d’illustration). CHRISTIAN CABRON/Biosphoto via AFP

 

Un an dans la forêt

de François Sureau

Gallimard, 91 p., 12,50 €

Le nouveau récit de François Sureau a le format d’un opuscule. De quoi surprendre après son ouvrage fleuve consacré à la Seine (1). Mais ces pages sont d’une densité impressionnante. Le récent académicien réussit à nous toucher triplement. Il nous fait entrer dans son amour de la forêt, il ravive la mémoire d’un des écrivains les plus attachants du XXe siècle, Blaise Cendrars, et il met en lumière une très belle figure féminine, Élisabeth Prévost.

Elle est née en 1911, héritière d’un maître de forges ardennais. Très tôt, la jeune fille, « une beauté, une force de la nature », va voyager à travers le monde comme peu de femmes de sa génération. Mais dans quel but ? Elle cherche sa vocation, peut-être celle d’écrire. En 1937, un ami commun lui fait rencontrer Blaise Cendrars, auteur et reporter célèbre. Elle a 27 ans, lui 51. Elle l’invite dans sa maison des Ardennes. Il y passera un an. « Nul ne sait ce qu’il y a eu entre eux », écrit François Sureau. « La rencontre de Blaise Cendrars et d’Élisabeth Prévost est baignée d’ombre. Je ne me soucierai pas de la dissiper. C’est une ombre plus réconfortante que bien des lumières. »

Cendrars traverse alors une période d’aridité. Le génial poète des Pâques à New York (1911) et de La Prose du Transsibérien(1913), le romancier à succès de L’Or(1925) et de Moravagine (1925), le grand reporter de Paris Soirest « vacant, désœuvré ». Il écrit à l’un de ses amis : « Le sort en est jeté, j’ai joué la chose à pile ou face et je suis parti hier matin pour la forêt des Ardennes. Je puis y rester dix jours ou dix ans, peu importe, c’est un tel changement dans ma vie que j’ai l’impression de vous envoyer un message de l’autre monde. »

Les Ardennes, un « autre monde » décrit en des termes magnifiques

Depuis son service militaire à Sedan à la fin des années 1970, François Sureau aime profondément cet « autre monde » qu’il évoque en des mots magnifiques : « J’ai voyagé toute une année dans la forêt des Ardennes. L’hiver, on n’entend pas d’autre bruit que le craquement des branches mortes ou celui des plaques de neige qui s’effondrent et, glissant par paliers du plus haut des sapins presque noirs, se dispersent en fontaines blanches et glacées. On dirait un papier de soie qu’on déchire. »

L’habit vert n’a pas fait perdre à François Sureau son esprit d’enfance, rêveur, à la fois sérieux et facétieux. « Je resterai voué à la forêt et le disciple d’un Petit Poucet inconnu, celui que des cailloux jetés guident pour entrer dans ce royaume enchanté, non pour en sortir. » L’ancien chroniqueur à La Croixnous étonne encore une fois par une manière unique de poser ses phrases. Ainsi à propos d’une table qu’il fréquentait : « C’était un restaurant d’autrefois, avec ses nappes épaisses, d’un blanc éclatant, amidonnées, ses couverts en argent, ses flambées, son cognac. Il a fermé depuis. »

François Sureau a en commun avec ses deux héros le refus « du plaisir amer de la nostalgie ». À la veille de la Seconde Guerre mondiale, Cendrars quitte la maison dans la forêt. « Quand tu aimes, il faut partir », dit un de ses poèmes. Il écrira bientôt de magnifiques livres de mémoires, mi-réels, mi-rêvés. Élisabeth Prévost bourlinguera jusqu’à la fin de ses jours, chérissant le souvenir de son ami. Elle s’est éteinte en 1996 à l’île d’Houat.

GUSTAVE ROUD

Publié le 03/11/2022 à 14:16 par papilacabane Tags : vie monde coup amis mort heureux automne amitié livre
Œuvres complètes de Gustave Roud : heureux l’homme qui est d’un pays Œuvres complètes de Gustave Roud : heureux l’homme qui est d’un pays

 

Le poète Gustave Roud à Mézières, en Suisse, en juin 1957. BRIDGEMAN IMAGES

 

Œuvres complètes

de Gustave Roud

Sous la direction de Claire Jaquier et Daniel Maggetti

Éd. Zoé, 5 056 p. en 4 volumes, 65 € le coffret

Vaudois, Gustave Roud ? Enraciné, oui, capable de dire : « Tu es mon maître, ô Pays (…) tu es le maître de mes joies ». Son œuvre parle de cette chance inespérée à quiconque porte au cœur un pays blessé. À chaque page, nous vient la pensée, douce et douloureuse : heureux l’homme qui reconnaît qu’il voit toute lumière à travers celle de son pays natal et ses paysages qui ont le secret de le mener vers le silence et la beauté.

Il y a, dans ce qu’écrit Roud, une force unique de présence et de célébration : « Il me vient des élans, une tendresse inaccoutumée pour tout ce qui m’entoure. Adoration ? Salutation du moins et vers le moindre brin d’herbe » (Journal, 26 juillet 1931). Nul besoin de le comparer à d’autres lyrismes de la terre comme celui de Giono. Chacun de ses mots nous parvient depuis une très longue patience. Il laisse à d’autres le clairon des chants et se contente d’affirmer : « Je saurai prendre au piège des vers de délicates merveilles »(Feuillets).

Ces merveilles, ce sont la main du moissonneur qui aiguise sa faux, le combat des ombres légères et du soleil, les cerises qu’on met en bocaux, le chant limpide d’une fauvette, la vie mystérieuse des bêtes sauvages qui traversent un instant nos vies, «et c’est une surprise émerveillée, le sentiment tout à coup de tout ce qui nous échappe et nous fuit, et qu’un peu d’abandon, de simple amitié peut-être, rapprocherait de nous »(Campagne perdue).

Ses œuvres sont dédiées à des amis laboureurs et c’est toute la grandeur des gestes mille fois répétés qui nous parvient, la noblesse coutumière des travaux et des jours : la vie qui marche au pas des saisons. Les héros de ces Géorgiquesse nomment Olivier Cherpillod de Sarandin, René Balsiger. Si Roud leur consacre son œuvre, c’est parce qu’une tragédie est en train de se nouer, dont nous n’avons toujours pas fini de mesurer la gravité : la mort de l’ancien monde paysan.

Un poète aux yeux ouverts

C’est d’un « extrême-automne »(Requiem)que Roud nous entretient. La mélancolie est le revers irréductible de sa joie. Car le poète a les yeux ouverts, il voit ce que l’humanité est en train de perdre inexorablement : « Ce pas de laboureur si lent et si sûr pour battre au Temps sa mesure vraie – et pour en triompher » (Campagne perdue). Qui, bientôt, pour nous dire que dès que nous retrouvons cette mesure, nous sommes éternels ? Bien sûr il reste « l’infinie fidélité des oiseaux», ce « royaume de leur chant et de leur vol ouvert comme un miséricordieux refuge ». Mais pour combien de temps ? Et « que peut un petit oiseau contre la vieille surdité des hommes ? » (Requiem).

C’est peut-être là que Roud est le plus beau, suggère son ami capital, Philippe Jaccottet, lorsque le paradis de l’été s’éparpille, ces pages où il n’y a plus que l’hiver et la brume : «Jamais, me semble-t-il, la voix de Roud n’est plus saisissante que lorsqu’elle monte, assourdie, durcie même, de ces confins où il est le plus mal »(L’Entretien des muses).

La question pour Roud est que le livre ne vienne pas aplanir le mouvement de la vie, ses régularités et ses discontinuités : « Tout serait bien si je pouvais ordonner en mosaïque vivante à force d’accords et de réactions réciproques les fragments d’âge, de ton, d’aboutissement si variables » (Journal, 5 mai 1968). Le poète prend soin de ne pas lisser artificiellement son écriture. Elle doit recueillir le balbutiement ou le cri, les dires quotidiens et « les dictées soudaines de l’autre voix imprévisible » (Journal, août 1969).

Cette voix qui croit possible malgré tout d’habiter le monde en poète.

UN JEUNE HOMME TRANQUILLE

Publié le 03/11/2022 à 14:11 par papilacabane Tags : sur roman vie photo homme femme mort heureux sourire amitié coupable
« Un jeune homme si tranquille », un ami bien sous tous rapports « Un jeune homme si tranquille », un ami bien sous tous rapports

 

Un ami si tranquille que rien ne permettait d’imaginer qu’il ait pu être un personnage trouble durant la Seconde Guerre mondiale. Antje Solveig/plainpicture

 

Un jeune homme si tranquille

d’Yves Viollier

Les Presses de la Cité, 264 p., 20 €

C’est un écrivain aux mille vies. De son quotidien, des rencontres et de l’histoire, Yves Viollier fait feu de tout bois et tisse des histoires dont il est le propre témoin, quand il n’en est pas l’un des protagonistes. Dans ce nouveau roman, c’est la rencontre vraie d’un ami qui est au cœur de l’intrigue. Un ami si tranquille que rien ne permettait d’imaginer qu’il ait pu être un personnage trouble durant la Seconde Guerre mondiale.

Pas question de laisser tomber Roger quand il perd sa femme. Il est donc accueilli dans ce village vendéen dont le narrateur est maire. Et le brave homme, affable et chaleureux, ne tarde pas à mettre tous les habitants dans sa poche. À son enterrement, la face sombre de l’individu surgit : Roger a travaillé avec la Gestapo, jusqu’à provoquer l’arrestation et la mort de Résistants : « C’est la guerre. Le temps a des accélérations foudroyantes en temps de guerre. À dix-huit ans, on a l’âge d’être tué et de tuer. »

Commence, pour le narrateur, sa femme et ses filles, la reconstitution du passé de cet ami si tranquille, en apparence. Tout est là, aux archives départementales, gardant les traces du procès de Roger à la Libération. Et une photo aussi : « Il a l’air heureux, il regarde l’appareil en face avec ce sourire espiègle qui nous a séduits aussi. Est-ce que c’est là une figure de traître ? Est-ce qu’après la photo, ce jour-là, il est monté sur son vélo pour livrer des noms à la Gestapo ? »L’impression d’être floué, le constat douloureux d’une amitié trahie… Pourquoi n’a-t-il rien dit ? A-t-il pu profiter de notre accueil ?

L’amitié peut-elle se perdre ?

Occultant le passé coupable, Roger soignait son âne, faisait les courses, menait une vie ordinaire. Il était comme un membre de la famille : « Son avantage était d’être de nulle part. Les héritages sont parfois lourds à porter dans un village. On connaît tout de vous, vos parents, les histoires, le passé, les croisements, les réussites, les échecs. Lui ne portait rien. Il est arrivé avec sa valise. (…) Nous l’avons pris comme il était. »

Pouvait-on lui pardonner, alors même qu’il ne se confiait pas ? Comment vivait-il avec un si lourd secret ? « Son sourire était celui d’un homme qui dort du sommeil du juste. Mais qu’est-ce que nous connaissons de ceux qui partagent notre vie ? », interroge encore Yves Viollier. Dans ce roman vrai bien ficelé, les allers-retours posent la question de la destinée et du poids du passé. À quoi peut-on jauger une vie ? Partant de cette amitié vécue, le romancier fait revivre les époques charnières et pose un cas de conscience : l’amitié peut-elle se perdre ?

KARL MARLANTES

Publié le 22/09/2022 à 15:26 par papilacabane
« Faire bientôt éclater la terre », de Karl Marlantes : rouge comme l’horizon « Faire bientôt éclater la terre », de Karl Marlantes : rouge comme l’horizon

 

Bûcherons aux États-Unis, photographiés au début du XXe siècle. Library of Congress

 

Faire bientôt éclater la terre

de Karl Marlantes

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Suzy Borello, Calmann-Lévy, 866 p., 24,50 €

Les flots d’émigration vers les États-Unis, depuis la traversée du Mayflower au XVIIe siècle, ont fait l’objet d’une vaste littérature : romans sur l’implantation des Anglais, Irlandais, Allemands, Italiens, Juifs, ainsi que sur l’arrivée forcée des Africains et l’esclavage. Mais il était une vague migratoire ignorée : celle des Finlandais, à l’origine d’un conséquent peuplement de bûcherons dans les États du Nord-Ouest, Oregon et Washington. Karl Marlantes est issu de cette odyssée rude et laborieuse.

Lui-même fut officier dans l’armée américaine, lieutenant des marines. Son grand roman, à ce jour, Retour à Matterhorn, narrait sa guerre au Vietnam. Un deuxième livre, Partir à la guerre, lui a valu une certaine reconnaissance. On aurait pu penser que le troisième ouvrage de cet écrivain de 78 ans serait un hymne à la virilité.

Il serait faux de dire qu’il n’en est rien, car le quotidien des bûcherons finlandais confrontés à des arbres géants, dont les troncs peuvent atteindre un diamètre d’une bonne dizaine de mètres, y est décrit avec une puissante précision. Mais l’auteur a choisi un point de vue autre : celui d’une femme hors norme à la personnalité inflexible pour entraîner le lecteur dans cette saga spectaculaire.

Ardeur révolutionnaire

En 1891, en Finlande, à l’âge de 3 ans, Aino – prénom qui signifie « la seule » – a compris, lorsque son petit frère est mort du choléra, qu’il lui faudrait se débrouiller seule. Dix ans plus tard, son frère aîné a fui l’occupation russe et le service militaire qu’il lui aurait fallu effectuer à la solde de l’ennemi, et a émigré aux États-Unis près de la Columbia River, qui marque la frontière entre l’Oregon et l’État de Washington.

Le XXe siècle vient de commencer, la révolution bolchevique n’est pas encore là. Aino tombe amoureuse d’un jeune professeur communiste hébergé dans sa famille, qui l’initie aux écrits de Marx, de Rosa Luxemburg. Les soldats russes pratiquent une occupation musclée, relativement dépendante de leur alcoolémie.

Aino se forge une mentalité de rouge qui, d’attentat manqué en abominable séjour en prison, l’oblige à fuir à son tour. Son débarquement au milieu des bûcherons, dont certains sont ses frères, ses amis d’enfance ou ses amoureux éconduits, n’éteint nullement son ardeur révolutionnaire.

Fresque historique

L’exploitation des bûcherons par les grandes compagnies américaines va lui donner un nouveau combat à mener, quand elle aurait pourtant pu se contenter d’un bonheur simple auprès d’un mari gentil. Malgré sa peur et sa compassion, Aino, la rouge, sait qu’elle devra faire des sacrifices… Elle appartient à cette génération de travailleurs qui vont créer le syndicalisme aux États-Unis.

L’écriture du roman est remarquable, concrète, imagée, solide. Nous vivons au rythme de cette Scarlett finlandaise et de ses bûcherons, épatés par son énergie, impatients de dérouler son destin, de savoir si elle va enfin être capable de se fixer, de s’attacher et, pourquoi pas, d’aimer. La fresque historique, déroulée sur presque 900 pages, est spectaculaire.

LAVIE CLANDESTINE

Publié le 10/09/2022 à 08:47 par papilacabane Tags : sur roman vie france monde histoire fille coupable enfant pouvoir
« La Vie clandestine » : Monica Sabolo vers la lumière « La Vie clandestine » : Monica Sabolo vers la lumière

 

Monica Sabolo, autrice de « La Vie Clandestine », avec sa mère, dans les années 1970. Collection Particulière MS/Gallimard

 

La Vie clandestine

de Monica Sabolo

Gallimard, 320 p., 21 €

Le projet originel n’était pas celui-ci, ce récit formidable et intime d’une remontée d’apnée depuis les marges du monde. Il ne se posa pas d’emblée en ces termes, pas consciemment du moins. En s’emparant de l’histoire, peu documentée, des membres d’Action directe, Monica Sabolo a songé s’engager dans « quelque chose de facile et d’efficace », un roman à succès, reposant et rémunérateur. Elle y a rencontré « le secret, le silence et l’écho de la violence »dont elle fut victime, enfant. Elle y a puisé la force d’affronter les mystères de son âme blessée.

Faire émerger des traumatismes muets

Le secret, voilà le lien sous-terrain unissant les « membres d’AD », qui sévirent entre 1979 et 1987 en France, et Monica Sabolo, en proie au cours de ces mêmes années au chaos et à l’abattement. En enquêtant sur le groupe terroriste, l’autrice fait, patiemment, douloureusement, émerger les traumatismes muets qu’elle eut à subir quand elle était enfant. Partant, littéralement, au contact de « ces êtres qui se promènent eux aussi dans les souterrains du monde »,promis à la perpétuelle clandestinité, elle explore sa propre duplicité : la fausseté contrainte d’une enfant souriante et saccagée, issue d’une bourgeoisie conformiste, narcissique et bouillonnante ; la dissociation d’une jeune fille pétrie de solitude, prise sous le joug d’un père tyrannique et manipulateur, qui lui intime l’ordre de se taire, d’oublier les abus qu’il lui fit subir.

Monica Sabolo retrace les parcours de Jean-Marc Rouillan, Nathalie Ménigon et Joëlle Aubron, le noyau dur du groupuscule d’AD. Elle imagine les confins de leurs rêves, effleure les idéaux d’extrême gauche qui les animent, préférant toujours « l’individu face au collectif ». Elle raconte les attaques, retrace les meurtres, les cavales mais aussi les procès, la prison et « l’après ». Elle en rencontre certains, acteurs ou soutiens de la lutte armée. Elle trouvera quelques fois, dans cette quête fantasmée, un répit face à la férocité de la vie. Mais n’oublie pas, en creux, les mots de douleur contenue de Françoise Besse, dont le mari fut assassiné par Nathalie Ménigon et Joëlle Aubron : « Tout ce qu’ils révèlent, et tout ce qu’ils taisent. »

Et puis. Et puis, chacun de ses mots transpire d’autres mots, chaque lieu en appelle d’autres, sur chaque reconstitution plane une autre histoire, personnelle celle-là… Et puis « ce qui n’existe pas insiste, insiste pour exister ». Le temps de cette enquête, le temps de ce récit la révèle à elle-même. Ce roman est la lente exhumation, par la littérature, de ce qui ne fut pas nommé : l’inceste qu’elle subit ; le mystère de ses origines, aussi : elle est une enfant « naturelle », adoptée à 3 ans par celui qui fut pour elle, dès lors, ce père terrible et destructeur.

Le récit d’une reconquête

Les précédents romans de Monica Sabolo racontaient déjà la fragilité adolescente en proie aux cruautés des adultes. Ce récit polymorphe, d’une grande subtilité, est une reconquête. En réinventant les trajectoires meurtrières des membres d’AD, Monica Sabolo creuse la responsabilité, le mensonge, la faute, le pardon… Et procède dans le même temps à une déconstruction lente de l’abus de pouvoir et de la culpabilité mortifère qui étreint les victimes : « J’en ai fini avec le caché, et avec le silence. Je ne veux plus creuser d’une main, et ensevelir de l’autre. Je ne veux plus être coupable, ni avoir honte. » La clarté des jours ne sera plus jamais franche, mais l’amour, et la douceur, trouveront à s’y glisser. Dans cette nuance-là, dans ce fragile équilibre de sentiments mêlés réside sa victoire : « Tout tient ensemble, c’est ainsi, le bien et le mal enlacés à la façon de racines noires plantées dans mon cœur. »

QUELLE CONVERSION ECOLOGIQUE?

Publié le 01/09/2022 à 16:11 par papilacabane Tags : background place
Quelle conversion écologique ? Quelle conversion écologique ?

 

La pensée catholique a notamment dû s’affranchir d’une perspective trop anthropocentrée qui ne lui permettait pas de prendre en compte la « valeur propre » des autres créatures. SCStock - stock.adobe.com

 

« Se convertit-on à l’écologie ? »

Recherches de science religieuse

110/3, juillet-septembre 2022, 175 p., 25 €

Le colloque des Recherches de science religieuse se tiendra à Paris du 17 au 19 novembre (1). Comme à son habitude, la revue publie un dossier préparatoire qui servira de base pour les débats. Le thème retenu cette année fait écho à l’appel lancé par le pape François qui appelle de ses vœux une « conversion écologique » :« Nous avons besoin d’une conversion qui nous unisse tous, parce que le défi environnemental que nous vivons, et ses racines humaines, nous concernent et nous touchent tous », écrit-il dans Laudato si’ (n. 14). Mais qu’en est-il de cette conversion dont on comprend qu’elle ne peut être réduite à sa dimension religieuse, puisqu’elle concerne croyants et incroyants ?

Un double registre

Dans son éditorial, le jésuite Patrick C. Goujon, rédacteur en chef, indique l’hypothèse de travail qui préside à l’ensemble de ce numéro des RSR. Elle consiste à entendre la conversion « sous un double registre ». Le premier est écologique, sans être commandée par la notion évangélique de conversion à Dieu : « Elle se pose comme urgence d’une situation impossible à contourner, et en cela elle ne souffre aucun délai. »

Le second registre est théologique et relève d’une théologie de l’Alliance, « et précisément d’une théologie de la coopération des créatures au Créateur, et donc d’une anthropologie théologique de la grâce et de la liberté », au nom de laquelle « les chrétiens doivent participer à l’effort mondial, et non spécifiquement chrétien, de la préservation de la planète et aux transformations qu’elle implique ».

Trois articles éclairent cette proposition. Retraçant l’histoire théologique de la notion de conversion, le jésuite François Euvé montre les déplacements que la pensée catholique a dû opérer pour prendre en charge la question écologique. Elle a notamment dû s’affranchir d’une perspective trop anthropocentrée qui ne lui permettait pas de prendre en compte la « valeur propre » des autres créatures.

Théologienne à Oxford, Rebecca Artinian-Kaiser fait le point sur différents modèles de conversion et interroge notamment celui de la restauration écologique. Cette pratique qui « vise à ramener les écosystèmes dégradés à une situation antérieure préférable » soulève la question des objectifs de la restauration (« doit-elle être orientée vers le passé ou plutôt vers l’avenir d’un écosystème ? ») et du rôle que peut y jouer l’être humain. Sa réflexion met en avant le motif de la rédemption – qui inclut toute la création – offerte au monde par Dieu « à travers la résurrection de Jésus-Christ ».

Vers un dialogue accru avec l’écologie politique

De son côté, Timothy Howles, également d’Oxford, explore les raisons qui conduisent les penseurs de l’écologie politique (comme Bruno Latour) à recourir au langage et à des concepts théologiques, sans souci d’orthodoxie. Il y voit un espace potentiel pour un dialogue accru, « c’est-à-dire pour que la nouvelle écologie politique puisse être mise au défi et être complétée par des perspectives émanant de la tradition catholique, et que la réflexion catholique puisse entrer en dialogue avec la “politique Gaïa” adoptée par Latour et d’autres penseurs… ».

Le dossier est complété par une approche de la Torah d’Israël comme « chemin de sagesse écologique » (Didier Luciani) et une plongée dans la pensée du XIIesiècle pour y découvrir « d’authentiques discours sotériologiques aux dimensions de la Création » (Arnaud Montoux). Un menu copieux qui pourra nourrir la réflexion tout au long de ce mois de la Création, qui se tient du 1erseptembre au 4 octobre.

 

AUVENT MAUVAIS

Publié le 01/09/2022 à 16:06 par papilacabane Tags : background place sur roman vie belle enfants femme 2010 femmes film livre
« Au vent mauvais » de Kaouther Adimi : les mots de l’Algérie « Au vent mauvais » de Kaouther Adimi : les mots de l’Algérie

 

Petites filles dans une ruelle de la casbah d'Alger, circa 1960, Algérie. Jean-Louis Swiners/Gamma/Rapho

 

Au vent mauvais

de Kaouther Adimi

Seuil, 262 p., 19 €

Depuis le début de la vie d’écriture de l’écrivaine algérienne Kaouther Adimi, en 2010 à 25 ans, quatre romans ont montré son attention aimante et lucide à l’histoire troublée de son pays. Nos richesses retraçait l’histoire de la librairie Les vraies richesses, à travers des figures lumineuses d’Algérois portant la mémoire oubliée d’une fière Algérie. Son premier livre, Des ballerines de papicha (1), faisait le portrait en kaléidoscope d’une famille algéroise populaire dont les membres s’inventent des vies meilleures.

Le nouveau roman de Kaouther Adimi rejoint ces inclinations en une fresque très aboutie. L’écrivaine dresse un tableau sensible et puissant de son pays au long du XXe siècle. Son personnage est à nouveau une famille – dont on comprend dans une adresse finale magnifique de délicatesse qu’elle emprunte beaucoup à la sienne –, et plus particulièrement un couple, Tarek et Leïla, nés dans les années 1920 d’un village de l’est de l’Algérie. C’est toutefois séparément que le lecteur les rencontre, chacun faisant rayonner une partie du livre et une époque, en deux regards complémentaires. Cette construction vient souligner l’incommunicabilité poignante entre deux êtres émouvants et taiseux à qui les mots manquent.

Tarek est né d’une femme muette, qui a nourri avec lui un enfant d’extraction plus aisée dont la mère n’avait plus de lait. Saïd et Tarek ont ainsi grandi ensemble, comme des frères, avant que la réalité sociale ne les sépare. Enfants, jouant près des figuiers de barbarie, tous deux étaient subjugués par la belle Leïla, que Tarek épousera plus tard. Bien des guerres balaieront les vies et les rêves secrets de Tarek et de Leïla : la Seconde Guerre mondiale puis, une fois Tarek rentré, celle de l’indépendance, et les incidences de la décolonisation… Avant d’autres départs, d’autres expériences impossibles à partager.

Une fidélité inamovible

L’un et l’autre se réfugieront dans un silence propre. L’intense beauté et la pudeur de ce roman tiennent peut-être – au-delà des paysages, des scènes et des caractères superbement restitués – dans ce halo de non-dits et de complicité qui tient lieu d’amour à Tarek et Leïla. Une fidélité inamovible, malgré la distance, chacun acceptant son rôle, chacun offrant pour l’autre le sacrifice de ses renoncements.

Et c’est d’une Algérie soumise à de violentes contradictions, qui bouleversent jusqu’à l’intime les hommes et femmes, que Kaouther Adimi fait le flamboyant portrait. Les ressorts politiques complexes et la richesse culturelle du pays sont abordés à travers plusieurs épisodes réels, par exemple le tournage du film La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo, dans la casbah d’Alger en 1965 avec des non-professionnels.

Une jeunesse en pointillé

Les mots qui manquent à Tarek et Leïla leur seront non pas rendus, et même comme volés par la vocation d’écrivain de Saïd. « Si la littérature peut sauver, elle peut aussi être un vent mauvais », note Kaouther Adimi, dont le roman lumineux est empreint d’une poignante gravité. «C’était notre guerre, écrit-elle encore en référence à la guerre civile. Et comme nos grands-parents et nos parents, nous n’en parlerons pas. Nous ne dirons rien des réveils gris et cotonneux, des nuits au décompte macabre, de notre enfance et de notre jeunesse en pointillé, de la vie qui ne s’arrête pas, non, qui fait tout le contraire, qui s’étire indéfiniment, dans une lenteur épouvantable, et où chaque jour est calqué sur le précédent. »

 

JOURNAL D'ITALIE

Publié le 23/06/2022 à 15:28 par papilacabane Tags : sur mer vie place saint monde soi voyage homme papier création nuit livre
« Journal d’Italie » de Max Picard, un voyage intérieur « Journal d’Italie » de Max Picard, un voyage intérieur

 

Jeu de reflets à Venise. Denis Darzacq/Agence VU

 

Des cités détruites au monde inaltérable. Journal d’Italie

de Max Picard

Traduit de l’allemand par Jean-Jacques Anstett

Éditions la Baconnière, 252 p., 20 €

Dans l’Italie du début des années 1950, un homme se promène. Milan, Bologne, Ravenne, Padoue, Venise, Assise…, de ville en ville, au pas lent de ses pérégrinations à pied, en train ou en autocar, il observe et écrit. Mais ce qu’il couche sur le papier n’a rien de touristique, de prosaïque ou d’anecdotique. La contemplation éveille des visions intérieures. L’œil, l’esprit et le cœur communient en une méditation sur l’existence.

Avec ce Journal d’Italie, les Éditions la Baconnière poursuivent leur entreprise de redécouverte de l’œuvre du philosophe et poète suisse Max Picard (1888-1965), médecin ayant bifurqué vers le soin de l’âme, figure intellectuelle et spirituelle du milieu du XXe siècle, qui fut l’ami du poète Rainer Maria Rilke, de l’écrivain Hermann Hesse et du philosophe Gabriel Marcel. Après avoir réédité son maître ouvrage Le Monde du silence,écrit en 1948, elles proposent aujourd’hui ce carnet de voyage, étonnante épure d’une Italie lumineuse.

Récit tout en images

C’est un récit silencieux, tout en images, que propose Max Picard dans ce carnet de voyage, dont il parlait comme d’« une école pour apprendre à poser un regard imagé sur les choses et les êtres ». Loin des clichés sur l’agitation et la vitalité habituellement associés à la péninsule, l’Italie apparaît ici nimbée dans une paix mystérieuse, captée au ras des pierres des palais de la Renaissance, à la surface argentée des oliviers et dans le vert profond des cyprès, dans l’éclat d’or des tableaux des primitifs italiens.

Si le pays apparaît marqué par la brutalité de la Seconde Guerre mondiale, s’il porte les stigmates d’une modernité angoissante, ce n’est pas cette face sombre qui retient l’attention de Max Picard. Le voyageur quête l’inaltérable, une Italie persévérant dans son être au milieu de l’effondrement, offrant à qui sait la regarder la nourriture nécessaire à la vie : lumière, temps, espace, intériorité, beauté, compagnie fraternelle et promesse d’éternité.

Visages et plénitude

À Forte dei Marmi, l’écrivain est sensible à « la plénitude en soi qui est là. La mer, la plaine, les montagnes, tout est rempli à pleins bords ; la plénitude repousse tout ; la plénitude veut déborder, se métamorphoser. » À Venise, la place Saint-Marc lui apparaît « posée par les hommes comme un fondement afin que la nuit, tandis que les hommes dorment, les dieux érigent sur la place quelque chose dépassant l’humain ».

Les visages aussi retiennent son attention. Visages vidés, absents à eux-mêmes, comme celui de l’homme « qui ne se sait pas regardé d’en haut et qui alors se regarde soi-même »ou, au contraire, visages offerts à la rencontre, portant « une disponibilité pleine de beauté à l’égard des autres hommes et des autres choses », tel ce visage d’un ami poète visité à Bologne, « dont les deux moitiés sont comme deux coupes d’argent(…) deux minces coupes où les choses se laissent tomber pour lui. Quand elles tombaient, le son clair de leur chute se métamorphosait en un éclair dans les yeux ».

Dans la postface, Michaël Picard, fils de l’auteur, décrit fort justement cet ouvrage comme « un livre d’images sur des images » et rappelle les mots de son père : « Quand je ne regarde pas, il me semble que je ne vis pas non plus. »Dans ces pages, les choses et les êtres ont l’espace et le temps de se déployer, de se dilater, de rayonner. Refusant tout dualisme, Max Picard célèbre une création où tout est relié et unifié par une source cachée, « sur la terre comme au ciel ».