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Date de création : 30.11.2013
Dernière mise à jour :
31.01.2025
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« Au nom de notre foi, nous voterons contre l’extrême droite. » Cette tribune publiée dans le quotidien La Croix – signée par 6 000 chrétiens – appelle les fidèles « à voter massivement contre le Rassemblement national ». Elle demande également « aux institutions religieuses de se positionner explicitement » et de « se mobiliser fermement contre l’implantation des idées d’extrême droite dans notre pays ». L’Évangile est convoqué à l’appui de cet appel, particulièrement sur le thème de l’accueil de l’étranger.
Le fait de brandir sa foi et l’Évangile pour justifier un choix politique n’est pas une chose banale. Interpeller les responsables ecclésiastiques pour exiger d’eux de lancer, à leur tour, un appel similaire n’est pas neutre non plus : l’opinion de quelques-uns devrait ainsi devenir un impératif catégorique moral pour tous, validé par la hiérarchie religieuse.
Que des chrétiens jugent personnellement et expriment publiquement que le vote RN leur est impossible en conscience, c’est une chose. C’en est une autre d’affirmer que l’Évangile écarte absolument un vote particulier pour tous les chrétiens et que cela doit être affirmé explicitement par les responsables religieux. Or, ces derniers sont fondés à condamner de grandes idéologies telles que le communisme et le nazisme, mais pas à intervenir directement dans des choix électoraux.
Je désapprouve cette manière de mettre l’Évangile au service de ses propres opinions : cela conduit à exercer sur les autres fidèles une pression morale, et sur la hiérarchie ecclésiastique une pression politique. Le vote est un choix personnel qui, pour être libre et éclairé, doit être, autant que possible, à l’abri de telles contraintes. D’autre part, disqualifier par principe un vote conduit à écarter sans examen les idées susceptibles de le motiver.
Or, de mon point de vue, la nécessité d’une politique migratoire plus ferme et restrictive fait partie des options qui ne méritent pas une réprobation religieuse via l’agitation de l’épouvantail RN. Au contraire, cela demande un examen politique sérieux au lieu de culpabiliser des chrétiens qui ont des inquiétudes légitimes pour l’avenir de leur pays et de leurs enfants.
Le primat de la conscienceJ’estime plus fructueux de débattre en se fondant d’abord sur la raison politique et en acceptant des options divergentes plutôt que d’ériger en absolu ce qui est jugé « catholiquement correct » ou non. Par ailleurs, je me méfie du littéralisme appliqué aux textes sacrés, notamment : « J’étais un étranger et vous m’avez accueilli. » Le chapitre XXV de Matthieu est un sommet de l’Évangile mais ne constitue pas une politique migratoire.
Le fait de voir des chrétiens invoquer leur livre sacré, pour qualifier ou disqualifier de manière irréfragable une option politique, ne me convient pas. Cependant, je ne veux pas dire que l’Évangile n’ait rien à nous dire en matière de choix politiques. Il est nécessaire, en effet, de passer ses propres opinions au tamis de la foi ou de la loi naturelle. Mais j’affirme, en ce domaine, le primat de la conscience et le refus de la pression sur celle-ci.
Je suis catholique et cela ne heurte pas ma conscience d’envisager une politique migratoire qui conduirait à une reprise en main de nos frontières, à l’expulsion des immigrés clandestins et des délinquants étrangers, à la redéfinition de notre politique de visas ou encore des conditions d’accès à la nationalité française, dans le cadre d’un État de droit et dans le respect de la dignité humaine. Il n’y a, selon moi, pas de trahison de l’Évangile dans le fait de penser que, si notre pays ne met pas un terme au désordre migratoire actuel, notre sécurité intérieure et notre cohésion nationale, déjà largement affectées, plongeront dans l’abîme.
En revanche, cela heurterait ma conscience que la France aille au-delà des nécessités politiques pour abandonner absolument toute possibilité d’asile, pour refuser de secourir des migrants sur un bateau en Méditerranée et/ou pour organiser un mouvement de « remigration », c’est-à-dire des expulsions visant des personnes qui n’ont fait aucun mal et des mouvements de populations inhumains. De tels projets ne sont heureusement pas portés par le RN. Je reconnais ainsi bien volontiers que la froide rationalité politique n’est pas seule en cause dans un choix.
D’une certaine manière, il y a un double mouvement dans une délibération personnelle, au moment de choisir son bulletin de vote : d’une part, évaluer la pertinence de mesures précises, leur faisabilité concrète, mais aussi la capacité personnelle et collective de ceux qui les proposent à les mettre en œuvre, ou encore le contexte et les rapports de forces politiques du moment ; d’autre part passer ces mesures précises au crible de la loi naturelle et de nos principes de civilisation qui doivent tant à l’Évangile du Christ.
Le défi du paradigme ethniqueAu cœur de ce débat, il me semble nécessaire d’évoquer le défi brûlant du paradigme ethnique. L’ethnicisme est à la fois étranger à la tradition française – la France n’est pas une nation-ethnie – et contraire à la vision chrétienne universelle de l’égale dignité de tous les hommes. Il est vrai que l’ethnicisme peut faire son nid de manière glissante dans les questions migratoires. Mais j’observe qu’il se loge aujourd’hui dans la dialectique des luttes de la gauche radicale, opposant en quelque sorte « blancs » et « racisés ».
Jean-Luc Mélenchon l’affirme : « Il faut tout conflictualiser ! » Jusqu’à conflictualiser la race ? Monsieur Mélenchon a théorisé le concept de « créolisation » comme moyen d’aboutir à ce qu’il nomme « un nouveau peuple », allant jusqu’à affirmer que « ceux qui s’appellent Français de souche posent un problème à la cohésion nationale ». Voici comment il conflictualise clairement l’enjeu ethnique…
Enfin, il faut souligner que les signaux d’alerte concernant une fracturation grave de la nation française vont bien au-delà de l’immigration : fracture sociogéographique, fracture entre le peuple et les élites, fractures religieuses, etc. Probablement les chrétiens ont-ils une spécificité à apporter – comme artisans de paix.
Mais il ne me semble pas qu’il suffise d’appeler à lutter contre tel « diable », comme si un seul « démon » menaçait la concorde et la fraternité, ou encore d’appeler à «rejeter les extrêmes », comme le fait le bloc central pour garder la main. Il faut surtout traiter les enjeux sur le fond : déclassement social, sentiment de dépossession, insécurité culturelle, violence endémique dans nos rues, précarité grandissante, injustices sociales, faillite éducative, absence de projet commun, etc. Alors, in fine, pour qui voter, dans ce marasme politique, face à la crainte des radicalités et de la violence et compte tenu de la maigre confiance que nous accordons aux partis ? À chacun de se déterminer… en conscience.