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SOULAGES A REJOINT L'OUTRENOIR

Publié le 27/10/2022 à 09:11 par papilacabane Tags : sur roman vie moi france saint monde homme papier femme amis travail centre dieu nuit art bleu enfant soi

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Soulages a rejoint l’outrenoir Véritable monument de la peinture française, l’artiste est décédé mercredi 26 octobre à l’âge de 102 ans. À la fois épurée et puissante, son œuvre abstraite, dominée par le noir lumière, a su toucher le grand public par son intériorité. Soulages a rejoint l’outrenoir

 

Pierre Soulages en 2014, dans son atelier. Frankenberg Roberto/Modds

 

C’est un géant qui vient de s’éteindre. Un homme dont la haute stature de rugbyman – 1,90 mètre ! – s’accordait aux peintures imposantes. Un contemporain acclamé comme un « classique » par le grand historien Georges Duby et célébré par nombre d’expositions à travers le monde, de Mexico à Tokyo, en passant par Dakar, sans oublier Saint-Pétersbourg, où il fut en 2001 le premier peintre vivant admis au sein des prestigieuses collections de l’Ermitage. Il n’y a que l’Amérique du Nord qui, après avoir reconnu cette peinture très tôt, a fini par la négliger un peu.

Rien de tel évidemment en France. En 2009, la rétrospective Soulages au Centre Pompidou a enregistré plus de 500 000 entrées. Depuis 2014, l’inauguration à Rodez, sa ville natale, d’un superbe musée à son nom, doté d’importantes donations, a attiré plus d’un million de visiteurs. Le centenaire de l’artiste, le 24 décembre 2019, a même été salué par une exposition au Louvre, une consécration pour un artiste vivant réservée seulement jusqu’alors à Chagall et Picasso.

Parallèlement, les voix critiques se sont faites de plus en plus rares, comme celle du philosophe Luc Ferry rappelant en 2014 que « le premier monochrome noir est né en 1882 sous le pinceau de Paul Bilhaud, un des piliers de l’esprit fumiste ». L’intériorité de la peinture de Soulages, en dépit d’une apparence austère dans laquelle dominent les noirs, ces fameux « outrenoirs » réflecteurs de lumière, a su toucher un large public. « Pour moi, confiait l’artiste en 2009 à La Croix (1), l’œuvre n’est pas un signe. Elle ne doit renvoyer ni à un passé, ni à une psychologie ou à une anecdote, sinon elle perd de sa présence. Elle est un objet capable de mobiliser ce qui nous habite au plus profond. »

Cette haute exigence aura guidé toute sa vie, entièrement vouée à la peinture : l’hiver dans son atelier parisien, l’été sur sa colline de Sète, dans cette thébaïde qu’il avait conçue en 1959, tapie dans la végétation et ouverte à 180 degrés sur l’horizon marin. Là, Soulages recevait avec affabilité ses visiteurs choisis. Surtout, il respirait l’air du large, lui qui aimait voir loin et par-delà les siècles, admirateur des peintures rupestres comme des tapas d’Océanie.

Enfant, à Rodez, il avait découvert émerveillé les statues-menhirs du Musée Fenaille. Un autre souvenir marquant fut sa première visite, à 5 ans, à l’abbatiale Sainte-Foy de Conques, emmené là juste après le décès de son père par sa mère très croyante. En y retournant avec sa classe, à 12 ans, l’adolescent bouleversé « par cette nef, la plus haute de l’art roman, cette massivité alliée à tant de grâce » décida « que l’art serait au centre de sa vie » (1). Beaucoup plus tard, entre 1987 et 1994, il réalisera des vitraux opalescents aux sobres lignes courbes pour cet édifice, classé depuis au patrimoine mondial de l’Unesco. Et il renouera ainsi avec l’Aveyron, qu’il avait quitté à 19 ans pour suivre des cours de dessin à Paris.

En 1939, le jeune Pierre Soulages réussit en effet le concours d’entrée à l’École nationale supérieure des beaux-arts mais, redoutant un enseignement trop académique, il fuit la capitale. La guerre éclate. Démobilisé en 1941, il s’inscrit aux Beaux-Arts de Montpellier où il rencontre sa femme, Colette Llaurens, son indéfectible soutien. Réfractaire au STO (Service du travail obligatoire), il se cache comme régisseur d’un vignoble. Son voisin, l’écrivain Joseph Delteil, encourage sa vocation de peintre et lui fait découvrir les poètes, Guillaume IX d’Aquitaine, Jean de la Croix, Agrippa d’Aubigné et bien d’autres… Soulages, doué d’une mémoire prodigieuse, aimait à réciter leurs vers, phares sur son chemin.

En 1947, ses premiers tableaux exposés au Salon des surindépendants basculent dans l’abstraction. Tracées au brou de noix sur papier blanc, leurs lignes épaisses comme des étais donnent un élan vigoureux en ces temps de reconstruction. D’autres peintures au goudron sur des fragments de verre s’inspirent directement des colmatages des verrières de la gare de Lyon, brisées dans les bombardements. Un témoignage du don d’observation de l’artiste, sans cesse à l’affût, même d’un accident, comme lors de cette séance de gravure où il perça sa plaque de cuivre et créa une trouée étincelante de blanc.

À cette époque, avec ses amis Hans Hartung et Jean-Michel Atlan, Soulages se considère déjà comme un franc-tireur. Il le restera toujours, attaché à sa liberté d’inventer sa propre voie en peinture. Ce qui ne l’empêcha pas d’accueillir, plus tard, les jeunes peintres du mouvement Supports/Surfaces avec bienveillance, d’apporter son soutien à Daniel Buren et à ses colonnes ou même de s’engager dans les grands débats de son temps, pour la paix en Algérie en 1956 ou contre la guerre en Irak en 2003. Curieux de tout, Pierre Soulages avait noué au fil de sa longue existence des amitiés aussi bien avec le chantre du Nouveau Roman Claude Simon qu’avec le sociologue Pierre Bourdieu, l’historien Pierre Nora ou le physicien David Quéré, avec lequel il aimait à deviser de la dynamique d’une goutte d’eau.

La réception de ses premières œuvres est favorable. Salué par Picabia, exposé dès 1949 à New York, acheté en France pour le Musée national d’art moderne par Jean Cassou et Bernard Dorival en 1951, puis dès 1953 par le Museum of Modern Art (MoMA) de New York, le grand gamin de Rodez prend confiance. Il crée quelques décors de théâtre notamment en 1951 pour Louis Jouvet qui meurt d’un infarctus en pleine répétition, presque dans les bras du peintre. Bientôt, ses tableaux de près de deux mètres de haut rivalisent sans complexe avec les formats des expressionnistes abstraits américains. Soulages se lie d’amitié avec Robert Motherwell et Mark Rothko, dont les champs colorés et vibrants font écho à ses propres recherches. Sous de larges bandes noires, il laisse sourdre des blancs, des ocres ou des braises, comme un feu qui couve. Il ose des bleus profonds, en écho à la Méditerranée. Et crée ailleurs des transparences en diluant ses couleurs.

« Soulages, en occitan, vient desol agens, soleil agissant », aimait-il à dire pour expliquer son irrésistible attrait pour la lumière, en dépit d’une palette dominée par le noir, cet instrument de puissants contrastes. « Le noir pour moi est une couleur intense, plus intense que le jaune », ajoutait cet admirateur de Courbet, dont il possédait un petit Portrait de femme.

À la fin des années 1960, le noir menace déjà d’envahir sa peinture, comme dans cet immense tableau du 14 mai 1968, aujourd’hui au Musée national d’art moderne, semblable à un mur de grands boucliers. Les manifestations enflamment alors le Quartier latin où l’artiste a son atelier. Au début des années 1970, Soulages aère alors ses lignes en boucles ou en souples jambages, sur des formats panoramiques. Puis survint cette nuit de travail fameuse, qu’il a racontée maintes fois, où broyant littéralement du noir, désespéré parce que celui-ci avait fini par recouvrir toute la surface de sa toile, il finit par aller dormir. De retour à l’atelier, il s’avisa que son tableau émettait une étrange lumière. L’outrenoir était né, d’abord baptisé « noir lumière » à cause de sa capacité à réfléchir, à moduler la clarté, par sa brillance et les irrégularités de sa surface.

Soulages tenait à préciser le miracle de cette peinture « dont la lumière vient au-devant du spectateur, créant un espace qui nous englobe », comme une mystérieuse présence. Un jeu qu’il renforçait souvent dans ses expositions en présentant ses toiles, non pas clouées au mur mais présentées dos à dos sur des câbles, parfois en polyptyques. « Je ne crois pas en Dieu,disait-il, mais je crois au sacré. »

Dès lors, cet expérimentateur insatiable s’attachera à explorer les possibilités infinies de cet outrenoir. Comme les artisans de son enfance à Rodez, il ne cessera de s’inventer des outils, des racloirs, des couteaux, des balais, pour créer des variations de reliefs, des sillons profonds ou des caresses sensuelles. Vers la fin des années 1990, abandonnant progressivement l’huile pour l’acrylique plus fluide, il peindra par empreintes laissant réapparaître, ici et là, la trame immaculée de ses toiles.

Il découpera ses peintures en bandes, pour mieux les recomposer. Il imprimera des coups de bâton dans sa peinture avec un rythme musical. Il opposera des surfaces lisses ou peignées, brillantes ou mates, avec parfois une veine de bleu ou de brun, réminiscences de ses débuts. Un cinglant démenti à tous ceux qui lui reprochaient parfois la monotonie de ces outrenoirs, faute de savoir goûter toutes leurs nuances, minutieusement décryptées dans le catalogue raisonné de son œuvre par Pierre Encrevé, décédé en 2019. Juste avant ses 100 ans, l’artiste avait encore osé de nouveaux formats, des toiles verticales, grandes comme trois carrés superposés selon les formules mathématiques qu’il affectionnait. Des stèles rythmées de friselis et de plages plus calmes, tel le vaste horizon méditerranéen.

L’aventure des vitraux de Conques Pour illuminer l’abbatiale de son enfance, l’artiste s’était lancé dans huit années d’ardentes recherches. L’aventure des vitraux de Conques

 

L’artiste a réalisé les 104 vitraux de l’abbatiale de Conques (Aveyron). Patrice Thebault/OnlyFrance.fr

 

Sollicité en 1984 par un conseiller de Jack Lang, ministre de la culture, pour réaliser des vitraux d’abord pour la cathédrale de Nevers, Pierre Soulages préfère réorienter la commande deux ans plus tard vers l’abbatiale de Conques, qui l’avait ébloui durant son enfance dans l’Aveyron. Dans ce somptueux vaisseau, le plus haut de l’art roman, classé plus tard au patrimoine mondial de l’Unesco, l’artiste obtient de refaire la totalité des baies (95 fenêtres et neuf meurtrières), pourtant dotées en 1952 de vitraux multicolores. Ce qui suscitera au départ l’hostilité des habitants de Conques.

Soucieux de respecter l’élan de l’architecture, le recueillement du lieu, Pierre Soulages se lance dans d’exigeantes recherches pour trouver un verre accordé aux subtiles tonalités des pierres. Un verre opaque « effaçant totalement la vue de l’extérieur et faisant de l’édifice un lieu clos, à l’écart de toute distraction » (1) mais un verre laissant filtrer « les variations de la lumière naturelle »qui passe selon le temps, de l’or au gris-bleu. Plus de 700 échantillons d’essai, avec des grains de verre plus ou moins fins, sont réalisés en France et en Allemagne, avec le maître verrier toulousain Jean-Dominique Fleury.

Avec son aide, Soulages dessine au ruban adhésif sur carton le dessin des plombs et des barlotières, rythmant la surface de chaque baie. En écho à la fixité et à la verticalité de l’architecture, il crée pour ces trouées de lumière « des lignes obliques, souples, légèrement courbes, évoquant plutôt le souffle que la pesanteur ». Inaugurée en 1994, cette commande publique rappelle ces mots de l’historien Georges Duby comparant l’art « dénudé » de Soulagesà celui des cisterciens « qui ne saurait tendre à monter un spectacle, ni narrer un récit de soi-même ou des autres. Sa fonction première est de signifier l’indicible ».

Homme d’une liberté totale et en même temps d’une fidélité profonde à ses racines, ses premiers attachements, Soulages avait confié à Michel Ragon (2), en réponse à ses détracteurs : « Quand on aime passionnément une chose, cela exclut tout le reste. Plus les moyens sont limités, plus l’expression est forte. »